Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places, quartiers de Paris : comment ils ont évolué, comment ils sont devenus le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places, quartiers de Paris dont un grand nombre existe encore.
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RUE CUVIER
Vème arrondissement de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, par Charles Lefeuve, paru en 1875)

Notice écrite en 1859. Monuments classés : Muséum d'histoire naturelle : porche d'entrée au n° 57. Jardin des Plantes (bâtiments, sols et clôtures). Historique : Précédemment, rue de Seine Saint-Victor ; anciennement, chemin devers Seine, rue derrière les Murs Saint-Victor, rue du Ponceau. Elle est indiquée sur les plans du XVIe siècle. Origine du nom : Le baron Georges Chrétien Léopold Dagobert Cuvier (1769-1832), zoologiste et paléontologiste français ; voisinage du Muséum d'histoire naturelle.

L'Abbaye Saint-Victor. – Les Nouveaux- Convertis. – Leur Cuisinier. – Les deux Ruelles. – L'Hôtel Magny. – Les Marchands de Bois – Le Jardin du Roi. – L'Etat-Major du Muséum.

« Rue derrière les murs de Saint-Victor » telle était, en l'an 1552, la dénomination de la rue dite ensuite du Ponceau, puis de Seine, puis Cuvier. En effet, le mur des victorins longeait cette voie publique à droite, comme la bordent de nos jours à gauche les maisons du Jardin des Plantes, et un ponceau était jeté, sur la Bièvre, au milieu de la rue, quand cette petite rivière traversait encore l'enclos de l'abbaye.

Un temps fut où toutes les maisons de la rue, qui n'en avait alors que du côté opposé audit monastère de Saint-Victor, appartenaient au séminaire des Nouveaux-Convertis, comme le dit M. Deleuze, dans son Histoire et Description du Muséum d'Histoire Naturelle. Pierre-François de Riencourt était alors supérieur et recteur de cet établissement, fondé dans la Cité par le capucin Hyacinthe de Pâris, puis transféré là. L'institution avait pris pour modèle celle des Nouvelles-Catholiques elle n'avait reçu l'approbation de l'archevêque de Paris, du pape et du roi, qu'à la condition de s'en tenir au séculier et de ne pouvoir jamais se convertir en maison de profession religieuse. Quant aux propriétés que cette œuvre avait réunies dans la rue dont nous vous faisons les honneurs, elles étaient, antérieurement à leur sorte d'entrée en religion.

Le Chapeau-Royal, à Mme de Beaufort ; le Rabot, à Marie Deffita, veuve de Jacques Violle ; la Douce-Vie, à la même dame, y succédant à Antoine Voullemier, et un hôtel, avec chapelle,et grand jardin, vendu en 1656, par Thibault, sieur de la Boissière, à Cyrus, de Villiers de la Faye, conseiller du roi, évêque de Périgueux, directeur de la Congrégation, et à Antoine Barillon, chevalier, seigneur de Magny et de Morangin, conseiller du roi.

Deux autres maisons, acquises pour faire partie de ce collège d'abjuration protestante, qui n'eut de raison d'être que jusqu'à la révocation de l'Edit de Nantes, s'élevaient dans la ruelle du Tondeur, plus rationnellement qualifiée du Cochon. Celle-ci rampait le long de l'hôtel et donnait par une porte chartière sur le Jardin des Plantes du roi, après avoir servi d'avenue à un dépôt municipal d'immondices.

Antoine Vallot, premier médecin du roi avait fait bâtir, dans une ruelle parallèle et dans celle-là, qu'avait habitée après lui l'abbé Vallot, avec ses fières. Or l'abbé Fagon occupait, du temps de Riencourt, dans la rue du Tondeur, une des maisons Vallot, qui n'avait pas été englobée avec les autres. Une autre enfin et son jardin, avaient par là pour propriétaire Jean Dubois, maître cuisinier de l'établissement religieux et du Jardin des Plantes.

La seconde ruelle devait la dénomination de Jean de Cambray à l'acquéreur qu'y avaient eu l'abbé et les religieux de Saint-Victor par contrat du 28 juillet 1546. Jean de Cambray avait laissé à son fils le grand logis et le jardin, tenant d'un côté au rue de la Bièvre, et qu'eurent à leur disposition : Claude Hubert, puis sa veuve, puis Etienne de Meuve, puis sa veuve, puis leur fils, puis Marguerite-Hélène de Meuve, veuve du marquis des Réaulx, puis le marquis Foucault de Magny.

Ce dernier, bien qu'il fût antiquaire et littérateur, se distingua dans l'administration, comme intendant de diverses généralités, et ne se vit qu'ensuite appelé à Paris ; le roi l'y fit conseiller d'Etat, et Madame, chef de son conseil. Ayant obtenu l'érection en marquisat de la terre de Magny, acquise en Normandie, ce premier marquis de sa famille mourut rue de Seine-Saint-Victor, en 1721. Son fils servit, non sans éclat, dans les armées. Leur propriété, contiguë au Jardin du Roi, ne se bornait pas à celle de Jean de Cambray, qu'ils avaient accolée à un hôtel construit rue de Seine, sur le plan de Bullet, une vingtaine d'années après la fondation des Nouveaux-Convertis.

Cet autre hôtel avait appartenu à M. de Vauvray en 1708, à M. Voulions en 1707, à M. Chomel en 1701, à l'abbé Le Pileur vers 1690 et à Jean Debray auparavant. M. de Vauvray lui-même y avait ajouté un cottage, dont les héritiers de Mme La Reyne avaient reçu le prix. Les Magny, non contents de cette nouvelle agglomération, augmentèrent les dépendances de leur propriété, en acquérant encore : et un autre jardin, qui provenait de Jean Debray, et les Trois-Visages, maison et jardin dont ne se défit pas avant 1740 Dubuisson, maître maçon, successeur de Turpin ; qui l'était de Philippe Leduc, et jusqu'à la propriété du traiteur Jean Dubois, dont les fourneaux se rallumèrent sans encombre à peu de distance.

La marquise de Fresnoy était locataire de l'avocat Langlois, dès 1764, dans l'une des anciennes propriétés de la Propagation de la Foi Deux années plus, tôt, Pierre Angot, maître charpentier, avait fait bâtir une maison de l'autre côté de la rue, au coin de celle Saint-Victor (de ce côté la rue Saint-Victor s'appelle aujourd'hui Linnée), sur une place que l'abbaye de Sainte-Geneviève avait baillée à cens. Au nombre des voisins de Magny, d'Angot et de Mm de Fresnoy, étaient des marchands de bois à ces enseignes : Saint-Pierre, Saint-Louis, le Chêne-Vert, Saint-François, la Providence.

Buffon obtint en 1787 que tout l'hôtel Magny fût acheté par le roi et incorporé à son Jardin des Plantes. Le principal pavillon de ce groupe vous est encore facile à distinguer, lorsque vous entrez au Jardin par le n° 57 de la rue Cuvier : ledit bâtiment ceint pour diadème un fronton, comme s'il voulait toujours tenir son rang. Le prince des naturalistes installa Daubenton et Lacepède à l'ancien hôtel de Magner. Lacepède n'était encore que sous démonstrateur ; Buffon lui légua, en mourant, son héritage scientifique. Daubenton était professeur d'histoire naturelle au collège de France et d'économie rurale à Alfort, garde et démonstrateur du cabinet d'histoire naturelle, avant la mort de son illustre ami et collaborateur.

Le ci-devant hôtel ne s'en trouvait pas moins une maison d'éducation au commencement de la Révolution, et parmi les élèves de cet établissement en bonne réputation, que patronnaient sans doute les savants ses voisins, figura le jeune Défriche, plus tard célèbre sous le nom de baron Desgenettes. La Convention transforma le ci-devant Jardin du Roi en école publique, dite Muséum d'histoire naturelle ; Daubenton y fut pourvu de la chaire de minéralogie, et c'est alors qu'il se fixa dans le pavillon au fronton. Les honneurs qui n'avaient pas manqué à la vie politique de Lacepède s'étendirent moins vite au vieillard que l'étude de la nature lui avait donné pour émule et qui cessa de vivre peu de temps après sa nomination de sénateur.

Fourcroy, qui garda vingt-cinq ans la chaire de chimie à laquelle Buffon l'avait nommé en 1784, séjourna également à l'hôtel Magny pendant un certain temps, comme deux autres notabilités : André Thouin, fils du jardinier en chef, devenu professeur de culture ; grand voyageur, auteur de livres estimés, et Bose, inspecteur des pépinières de France. Ce dernier occupait le bâtiment qu'on trouve à droite en entrant dans la cour et qui s'était substitué aux moulins du nommé Léger, riverains de la Bièvre. L'autre construction, celle de gauche, abrita l'abbé Haüy, physicien distingué, membre de l'ancienne académie des Sciences. Quant au fameux Brongniart, ex-apothicaire de Louis XVI, pharmacien militaire en même temps que professeur, il ne profita pas personnellement de son appartement sous le même toit que l'abbé ; mais il y installa son frère.

La porte du 43, qui rivalise de haute mine avec celle du 57, ne vous aide-t-elle pas à reconnaître l'ancien purgatoire de l'apostasie ? Ce n'est pourtant qu'une des maisons dont se composa la belle hôtellerie de la conversion. Ah ! si Dubois nourrissait aussi bien les catéchumènes que le recteur les logeait, cela valait évidemment une messe. La pilule des prêches protestants se dorait ailleurs pour d'autres néophytes, mais moins bien. Les fiacres ont eu leur régie dans l'hôtel qui avait dû être la résidence du recteur de la communauté. Puis le grand bureau des fiacres s'est converti lui-même en un magasin à farine. La cour de la ci-devant régie, où figure encore de nos jours un très populaire mammifère de l'ordre des cétacés, lui a dû le nom de cour de la Baleine.

L'extension du Jardin des Plantes a érigé cet immeuble, avec tous ceux qui lui forment une ceinture, en colonie d'une classe de savants dont les travaux font de cette ville à part la métropole des sciences naturelles, et dont les noms acquièrent lentement leur gloire. Plus un naturaliste se sent vieillir, plus il utilise les moments dans la crainte des loisirs forcés, et sa seule retraite est la mort. On a eu bien raison de donner le nom de l'un d'eux, choisi dans les illustres, à la rue qu'ils habitent le plus volontiers.

Où demeure M. Cordier, c'est-à-dire n° 33, demeurait Faujas de Saint-Fond, éminent géologue, dont le fils fut maréchal de camp.

Le 15, dont dépendait le 17 a gardé une porte cintrée, contemporaine sans doute de Calvin. Georges Toscan, bibliothécaire du Muséum, ex-rédacteur de la Décade philosophique, était propriétaire du 13, où vécut ensuite Laugier et où se : retrouve M. Duméril, qui des pieds à la tête est encore vert, bien qu'il ait tâté le pouls, comme médecin, à cinq générations de la famille de l'auteur du présent recueil, et que Toscan l'ait connu en 1797 chef des travaux anatomiques à l'Ecole de Médecine. Les murs déjà séniles du 11 atterraient en ce temps-là à des chantiers, qu'a englobés le Jardin depuis ; un marchand de vin y tenait table ouverte.

Enfin M. Antoine-Laurent de Jussieu, ce membre d'une famille féconde en naturalistes connus, fut le premier savant qui s'établit au n° 61, lors de la constitution du Muséum, en 1793. C'était l'une des maisons de la rue de Seine annexées au Jardin des Plantes à cette époque, qui vit aussi y amener la ménagerie de Versailles.

Entre ce n° 61, qui avait été le plus peuplé des bâtiments de l'établissement religieux, et le n° 57, se reconnaît l'ancienne chapelle de la communauté ; on allait dernièrement en faire un logis de portier, quand la mort du prince Charles Bonaparte, qui devait, pour suivre ses goûts bien marqués de naturaliste, se fixer aux Nouveaux-Convertis, est venue imposer un deuil à la science et laisser la chapelle historique au statu quo de magasin.



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