Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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RUE BARBETTE,
IIIe arrondissement de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, paru en 1875)

Notice écrite en 1857. Précédemment, rue Neuve Barbette. Origine du nom : Rue ouverte sur l'emplacement de l'ancien Hôtel Barbette. Il n'y a de plus jeune, dans la rue Barbette, que le n° 5.

Étienne Barbette :
Le Journal des Travaux publics du 14 août 1851 a raconté en une demi-colonne le passé de cette rue Barbette, dont nous voudrions bien fixer l'histoire d'une manière plus complète. Le père et parrain en fut Étienne Barbette, un maître des monnaies, ensuite prévôt des marchands de 1298 à 1304. Son séjour, un morceau de roi, avait en effet pour assiette le parallélogramme formé par les rues Vieille-du-Temple, des Francs-Bourgeois, Payenne, du Parc-Royal et de la Perle. Philippe-le-Bel, conseillé par ce financier, altéra trois fois les monnaies, au grand mécontentement du populaire, qui se rua, en l'an 1306, sur l'hôtel de ce conseiller économiste, qu'il saccagea par le fer et la flamme jusqu'à raser les arbres des jardins.

Le nom de la Courtille-Barbette restait pourtant à ces parages, et l'hôtel fut réédifié par Jean de Montaigu maître d'hôtel du roi et vidame de Lannois, qui en reçut postérieurement le prix des deniers du Trésor royal. Charles VI fit augmenter la propriété, et notamment d'un bâtiment élevé à proximité de la porte Barbette, qui n'était pas la seule entrée de la courtine aristocratique.

Isabeau de Bavière :
Ainsi ce palais de plaisance, mis sous l'invocation de Notre-Dame, prit des proportions gigantesques, et, pour se faire une idée de son ampleur, on peut rendre une visite encore à une jolie tourelle du coin de la rue des Francs-Bourgeois et de la rue Vieille-du-Temple, qui le bornait d'un côté. Ce fut « le petit séjour de la Reine » Isabeau de Bavière à laquelle ou reprochera toujours d'avoir ouvert la porte de la France aux Anglais, pour un siècle, et d'avoir détesté son propre fils, Charles VII ; mais le faste déployé par cette princesse, justement décriée, a inauguré à la cour l'ère des magnificences royales, qui ont assurément servi a éblouir toutes les autres cours, au profit de l'influence française. La fécondité d'Isabeau donna lieu à des fêtes, dont la mémoire lui survit ; en 1407 elle accoucha, rapporte Sauval, d'un enfant mort dans le palais Barbette.

Le Duc d'Orléans :
Cette reine n'en inventa pas moins, vers la même époque, les bals masqués, et à la faveur de cette initiative se nouèrent ses relations illégitimes avec le duc d'Orléans, frère du roi. Seulement la Chronique de Saint-Denis avoue que cette inauguration de l'incognito nocturne donna le signal d'une course aux aventures qui devint tout de suite générale, et que l'intrigue sous le masque fit fureur, presque toute la cour en partageant l'ivresse. Quelque progrès que réalisât l'art de s'amuser, deux factions se trouvaient en présence. C'est près de la porte Barbette que le chef de l'une, Jean Sans Peur, duc de Bourgogne, fit assassiner le duc d'Orléans, chef de l'autre, le 23 novembre 1407, au moment où ce prince sortait de chez la reine : il y avait dix jours que les meurtriers, sous la conduite de Raoul d'Ocquetonville, épiaient un moment favorable à l'accomplissement de cet ordre, embusqués dans une hôtellerie à l'image de Notre-Dame.

Diane de Poitiers :
L'ancien hôtel Barbette passa ensuite à la maison de Brezé, et Diane de Poitiers, duchesse de Valentinois, le tint de son mari, Louis de Brezé, comte de Maulevrier, grand sénéchal de Normandie. Cette reine de la main gauche y recevait les visites de Henri II. Les duchesses d'Aumale et de Bouillon, ses filles, divisèrent la propriété pour la vendre à des particuliers en l'année 1561.

Le Maréchal d'Estrées :
Partie des constructions furent jetées bas, pour faire place aux rues des Trois-Pavillons, du Parc-Royal et Barbette. Mais cette dernière rue s'est dessinée respectueusement au pied de l'ancien logis du prévôt des marchands, reconstruit sur la rue Barbette et sur celle des Trois-Pavillons pour le maréchal François-Anne d'Estrées, père de la belle Gabrielle. La Briffe, procureur-général au parlement de Paris, succéda aux d'Estrées, et le président Bourée de Corberon ne vint qu'après.

La Légion-d'Honneur :
En 1793 la Nation confisqua l'immeuble, et le sieur de Baleine s'en rendit séance tenante adjudicataire, pour le revendre le 22 novembre 1810 à l'État, qui en fit la maison-mère des demoiselles de la Légion D'Honneur, ayant le château d'Écouen pour maison suffragante.

Que si, en 1714, l'hôtel d'Estrées était la seule maison que le plan de La Caille honorât dans cette rue de traits figuratifs, il y en avait pourtant 12 autres en ce temps-là, comme au jour où nous sommes, et 8 lanternes. Les actes n'avaient pas encore cessé et ne cessèrent même pas avant la Révolution de qualifier Barbette, l'hôtel d'Estrées et d'étendre, qui plus est, à plusieurs autres maisons de la rue cette accollade. : « ancien hôtel Barbette. » Le papier terrier du Temple en 1789 appliquait ladite rubrique non seulement, aux censitaires de la rue Barbette que voici :

dame Cornier, veuve Souchet, ayant eu pour prédécesseur indirect : le président Thumery de Boissise ; M. de Turgot, frère et héritier de l'ancien ministre, celui-ci ayant succédé indirectement à la présidente de Pommereuil ; Mme Le Mayrat, veuve du lieutenant général Legendre d'Onzenbray ; M. Lemarié d'Aubigny, conseiller secrétaire du roi, aux droits de Lefèvre d'Ormesson ; mais encore à d'autres propriétaires dans les rues attenantes et adjacentes.

Or Mme Cornier, qui faisait face à M. de Corberon, tenait à M. de Turgot, et les autres susnommés du registre censuel avaient leurs maisons sur la même ligne. L'hôtel Thumery de Boissise avait été aliéné en 1748 par la veuve de J. B. de Flesselles, comte de Brégy, petite-fille de Boissise, le président au parlement, qui l'avait hérité de sa mère : Le Coigneux et Gilbert des voisins en avaient été propriétaires antérieurement. Le président, son fils et sa petite-fille avaient également disposé, dans cette rue, d'une maison moins importante touchant à celle de la présidente de Quincy et à la rue Vieille-du-Temple.

Lorsque le n° 9, immeuble contigu à celui dont nous venons de parler fut confisqué sur M. Turgot, présumé émigré, le chevalier de ce nom, frère du célèbre ministre et ancien gouverneur de la France équinoxiale, avait lui-même cessé de vivre. Tous les deux étaient fils de Michel-Étienne Turgot, marquis de Sousmont plus ou moins authentique, mais pour sûr prévôt des marchands, qui leur transmit une propriété dans la rue Barbette, mais qui résidait rue Port foin. La mère du prévôt des marchands et M. Pierre Boutet de Marivatz, seigneur de Livry, premier gentilhomme ordinaire du régent, dont elle était l'héritière, MM. Le Meneust de Bois-Briand, la présidente de Pommereuil, le comte de Bermonville et son beau-frère, le marquis de Coqueromont, avaient laissé leurs noms dans les titres de propriété ; seulement ces titres manquent à M. Deschamps, le propriétaire de nos jours, parce que son auteur a acquis de la Nation en messidor an III.

Le Mayrat. MIle des Tournelles. Molé. Les Turgot. Dupuis. Bigot de Morogues, etc :
Vous plaît-il de passer maintenant avec nous au n° 11 ? Il appartenait sous Louis XIV à Le Mayrat, seigneur de Nogent, conseiller du roi, maître en sa cour des comptes, qui le tenait de damoiselle Parfait des Tournelles, laquelle l'avait affermé en 1682 à messire Louis Molé, seigneur de Champlâtreux, Luzarches et autres lieux, conseiller du roi, président en son parlement. Ce magistrat, fils de l'immortel Mathieu Molé, représenté dans le tableau de Vincent, et petit-fil d'Édouard Molé, qui avait négocié l'adjuration de Henri IV, n'avait pas dédaigné de se soumettre aux conditions d'un bail qui prouve que la prudence en cette matière n'est pas de date récente : la location était consentie pour 6 ans, moyennant 1,800 livres par an, à la charge pour ce président « de garnir ladicte mayson de meubles exploictables à luy appartenans pour seûreté dudict loïer. » Antoine Le Mayrat n'acheta cet hôtel qu'après le mariage de Mlle des Tournelles avec Louis de Milan, seigneur de Maupertuis, capitaine des mousquetaires du roi et il le laissa, en mourant, à Joachim Le Mayrat, marquis de Bruyères-le-Chatel, seigneur de Praville, président en la cour des comptes. Aussi bien les Le Mayrat en transportèrent la jouissance, moyennant un revenu qui variait de 3,300 à 2,500 livres, d'abord à la famille parlementaire de Baudran, puis à Boussan de Thoiry, au marquis de Cernay, maréchal héréditaire du comté de Hainaut, et enfin à la femme de Bouret, fermier général, dont le ménage ne se contentait pas de faire deux lits, puisque le chef de la communauté demeurait rue de Richelieu-Grange-Batelière.

Au reste, les charges de la propriété bourgeoise n'avaient rien de léger à cette époque, nous le disons bien haut pour la consolation des propriétaires d'à présent. Le seigneur président Le Mayrat payait 330 livres pour la taxe du dixième du revenue de sa maison, due à la Ville de Paris, en l'année 1734, et il avait, outre cela, des droits de cens à acquitter au profit de la commanderie du Temple, la suzeraine féodale du quartier. Puis c'étaient les boues et lanternes, impôt d'un autre genre, et l'avertissement forfait encore chandelles, au lieu de lanternes, du vivant des sieur et dame de Maupertuis. Enfin, sauf certains cas d'immunité, on payait tant par an ou tant une fois donné pour n'avoir pas a recevoir de billets de logement à l'ordre des gardes-françaises. Nous avons eu entre les mains des quittances relatives à ces impositions, plus une note écrite par messire Le Mayrat, avec ce titre : État de ce qu'il m'en a coûté pour faire rebâtir ma maison en 1729 ; le total est de 39,805 livres, sans compter les glaces que son père avait fait poser ; le vieux, plomb échangé pour du neuf, avec du retour, et tous les matériaux anciens qu'on avait pu utiliser. Je remarque aussi dans cette pièce un petit article que voici : « Pour la gratification à l'architecte qui m'a donné des dessins et fait exécuter, 4,000 livres. »

En vérité, ce n'est pas cher, pour une construction importante, que les connaisseurs du XIXe siècle peuvent encore expertiser, puisque MM. de Clermont et Cie, négociants, la possèdent et l'entretiennent dans sa noble solidité. Mme la baronne de Septenville a vendu à M. de Clermont ; mais l'immeuble a appartenu précédemment à M. de Montbel et à M. Carouge, juge à la cour d'appel sous la première république, et au comte Legendre d'Onzenbray, lieutenant-général des armées royales, qui avait là pour locataire, à la fin du règne de Louis XV, messire de Mareuil, avocat général en la cour des aides.

Le magistrat, Lefèvre d'Ormesson tenait le n° 43, de la présidente de Quincy, née Lefèvre de la Barre ; il vendit en l'année 1756 à Lemarié d'Aubigny, maître des comptes. Mérault, seigneur de Bonnes, avait cédé la même propriété en 1668 à Delarche, conseiller au parlement. Dupuis, l'auteur de l'Origine des Cultes, membre du conseil des Cinq-cents, avait cette habitation au commencement de l'Empire, et de nos, jours c'est M. Delorme, négociant.

Si les quatre magistrales habitations précitées s'étaient détachées de l'hôtel, plutôt que de la Courtille-Barbette, le 5, ancienne gentilhommière de robe, que la ville acheta en 1815 pour y loger les officiers de la caserne de gendarmerie des Francs-Bourgeois, devait avoir fait partie du palais de la reine Isabeau. Quelles sont les deux autres portes imposantes. qui nous complètent ce côté de la rue ? D'où vient cet édifice d'avant la Renaissance, équipé d'une restauration qui lui permet encore un long voyage ? Pourquoi la fin prochaine de ce jardin, que peuplent des statues, est-elle annoncée par écriteau ? Dépêche-toi, passant, de regarder par ces deux ouvertures, derrière ce mur, au travers de ces arbres, le grand corps de logis, dont s'est accru le vieux séjour au commencement du siècle XV, en deçà de la porte Barbette, de galante et tragique mémoire. M. Haussmann, bien qu'il ait daigné souscrire pour quelques exemplaires aux Anciennes Maisons de Paris sous Napoléon III, devient un justicier sévère, qui ne pardonne rien à l'Histoire. Le Paris des Parisiens a fait son temps : on en fabrique un autre coûte que coûte. Sur les murailles de cet angle historique, bien qu'il cache beaucoup de son âge, un bec de gaz, même en plein jour, ressemble déjà à un anachronisme.

De l'autre côté, M. Bigot de Morogues, ancien intendant de la marine de Bretagne, avait plusieurs maisons en 1776. Toutefois à dix années de là M. Missa, docteur régent, censeur royal, était propriétaire du 6, construit en 1660, qui appartient à M. Cusinberche, notabilité commerciale, et Bigot avait vendu la maison à Lebastier, épicier de la rue Bourg-l'Abbé. Charles-Jean de Choisy, marquis de Morgueville, occupait le n° 10, ensuite confisqué et nationalement vendu à M. de Vallienne, allié à la famille de Joinville. M. Brière de Valigny, conseiller à la cour de cassation, y a plus longtemps résidé. Massu, receveur des tailles, avait acquis la propriété attenante de MM. Tristan et Tascher, gendres de l'intendant de marine. Le chevalier de Crussol l'eut-il aussi, comme on le dit ? Il représentait officiellement le comte d'Artois, dernier commandeur du Temple. La maison avait été bâtie sous la minorité de Louis XIV : la comtesse de Failly l'a habitée de 1800 à 1834. Si les murs en ont pu entendre les mazarinades de la Fronde, ils peuvent maintenant prêter l'oreille à des accords qui provoquent moins de dragonnades : un facteur de pianos, M. Mussard, s'y paye à lui-même son loyer. Quand à l'avant derrière maison, et ce sera pour nous la dernière, elle appartenait du temps de Bigot à Migieu de la Renne, officier aux gardes-françaises.

De notables commerçants, en somme, ont remplacé les magistrats qui habitaient principalement la rue Barbette, au siècle précédent, et celle-ci jouit toujours d'un immense crédit, dans une acception différente.


 

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