BOULEVARD DU PALAIS,
naguère rue de la Barillerie, Ier arrondissement de Paris
(D'après Histoire
de Paris rue par rue, maison par maison, paru en 1875)
Notice écrite en 1857, avant que le boulevard
du Palais n'eût pris la place de la rue de la Barillerie. Tout le côté oppose
au Palais-de-Justice y est neuf. Précédemment, partie du boulevard
de Sébastopol, a absorbé la rue de la Barillerie. La partie de
la rue de la Barillerie, du côté du pont au Change, a été appelée
rue Saint-Barthélemy (1220) ; de la rue de la Calandre au pont Saint-michel,
elle portait au XIVe siècle le nom de rue du pont Saint-michel. Anciennement
vicus Barilleria, la Grand Bariszerie (Guillot) ; Corrozet écrit Babillerie.
Origine du nom : La rue est situé devant le Palais de Justice.
Jules-César :
Un rédacteur de l'ancien Figaro, M. de
Saint-Geniès, jamais ne passe rue de la Barillerie sans penser à Jules-César,
qui a dû souvent la franchir pour se rendre au palais des Thermes : les
deux forts qui gardaient Lutèce à cette époque étaient,
pour ainsi, dire, aux deux bouts de la dite voie gauloise, et d'ailleurs ce
n'est pas sans peine que Ligarius, lieutenant du triumvir romain, eut raison
du courage des habitants de la grande ville naissante. Le savant homme d'esprit
dont nous parlons ne se borne pas à savoir par cœur ses Commentaires ; mais ses opinions philosophiques l'empêchent de penser aussi souvent à saint Éloi
qu'au conquérant des Gaules.
Saint Éloi :
L'orfèvre saint Éloi obtint du
bon roi Dagobert une concession de terrain précisément en cet
endroit, et il y établit des religieuses sous l'invocation de saint
Martial, évêque de Limoges. Les bons effets produits par cette
pieuse initiative l'autorisèrent à demander au souverain, dont
il était le confident intime, l'agrandissement de ce terrain, et l'on
crut un moment qu'il allait enfermer toute la Cité dans sa ceinture
; on en fut quitte pour la peur, car le couvent seul prit le nom de Ceinture
de Saint-Eloi. Au commencement du XIIe siècle, de graves désordres
firent disperser les religieuses dans d'autres monastères. L'abbaye
fut donnée à Thibaut, abbé de saint Pierre-des-Fossés,
lequel y installa un prieur et douze religieux. Étienne de Senlis, évêque
de Paris, fut supérieur du nouveau monastère pendant neuf ans,
puis en laissa le gouvernement direct aux religieux de Saint-Pierre, qui
y restèrent jusqu'en l'an 1530.
Les Barnabites :
L'édifice de la communauté tombait
en ruines lorsque l'archevêque de Paris le destina, en 1629, aux clercs
réguliers de Saint-Paul, dits barnabites ; ces missionnaires, que
précédemment Henri IV avait appelés en France, firent
rebâtir l'église, dont le portail date de 1704, et qu'on peut
voir encore au fond du n° 5, place du Palais de Justice. Ce monument
ex-religieux, s'il était appelé à reprendre sa première
destination, secouerait tout de suite la décrépitude apparente
qui est plutôt l'effet que la cause de son abandon : l'usine que la
grande république en avait fait pour la fonte des sous de cloches, épargné à ses
pieuses voûtes l'horreur d'en retentir depuis qu'elle s'est transformée
en dépôt général du mobilier de l'État.
Une partie des bâtiments conventuels avait été aliéné les
6 prairial et 1er messidor an V et le 11 thermidor an VI. La cour des moines
servait encore de passage au public en 1850, pour aller rue de la Calandre.
L'Architecte Lenoir :
L'église royale de Saint-Barthélemy
et l'église de Saint-Pierre-des-Arcis étaient, en face des
Barnabites, de l'autre côté de la place. Les assises de ces édifices
reposent encore, à ce qu'on dit, sur une autre église souterraine.
Leurs piliers, de toutes parts masqués pour les passants, semblent
avoir été rasés pour le moins à la hauteur du
sol ; mais on les revoit, encore inébranlables, au rez-de-chaussée
d'un pâté de maisons qu'ils supportent. Des galeries noires
et disposées en forme de croix relient, presque au niveau de la rue,
les quatre maisons dont cette cité se compose, et ouvrent sur des
voies différentes. L'extérieur des étages de cette maison
quadruple n'annonce pourtant pas une origine antérieure au règne
de Louis XVI, et c'est effectivement en vertu d'un arrêt du conseil
du 3 juin 1787 que Samson-Nicolas Lenoir, architecte, prit possession des
maisons et terrains nécessaires pour construire toute la place semi-circulaire,
qui devait mettre le Palais de Justice en communication, par la rue de la
Vieille-Draperie, aujourd'hui Constantine, avec le haut de la Cité.
Lenoir, cet architecte expéditif du théâtre
de la Porte Saint-Martin, n'alla pas aussi vite en besogne dans la rue de la
Barillerie, où il se trouvait à l'étroit dans le cercle
qui lui avait été tracé de par le roi, et il acquit, au
commencement de la Révolution, presque tout le territoire de Saint-Barthélemy
et des Arcis, occupé aujourd'hui par la maison à quatre portes.
Or si les fondations de ce quadrinôme de pierres nous paraissent
des plus profondes, nous nous souvenons aussi de vieilles maisons voisines,
que l'on a démolies rue Constantine, rue du Marché-aux-Fleurs
et rue de la Pelleterie, il y a très peu de temps, et qui comptaient
trois berceaux de caves l'un sur l'autre ; il est aisé d'en inférer
que le sol de la Cité, depuis Jules-César et les mérovingiens,
s'est exhaussé.
Théâtre de la Cité :
On voit encore sur la façade de la rue
Constantine cette inscription :
« Théâtre du Palais-Variétés.»
Elle rappelle une salle de spectacle, construite
par le même architecte, où des drames et des vaudevilles ont été joués,
avec plus ou moins de succès, par des acteurs qui se sont répartis
dans les meilleurs théâtres de Paris lorsqu'en 1806 l'empereur
eut ordonné la clôturé du théâtre de la Cité,
en même temps que celle d'autres théâtres. On y avait représenté en
1793 le Jugement dernier des Rois ; neuf ans plus
tard, une troupe allemande en avait fait une scène lyrique ; ensuite
l'acteur Beaulieu avait tenté de
restituer cette salle à son genre primitif de représentations,
mais il avait mal réussi, et il s'était brûlé la
cervelle, au deuxième étage sur le devant, au-dessus du café d'Aguesseau
; enfin les successeurs de l'infortuné directeur n'avaient été rien
moins que les acteurs des Variétés, notamment Tiercelin et Brunet,
pendant la construction le la salle des Panoramas. Au commencement de l'Empire,
Napoléon et Joséphine assistaient à une fête dans
le ci-devant foyer de ce théâtre, transformé en loge maçonnique
: la fête était donnée par le maréchal Lannes et
le prince Poniatowski, l'un et l'autre pourvus du grade de vénérables.
Le Prado :
Chacun sait qu'on danse actuellement dans les
salles du Prado, depuis que l'art dramatique n'y est plus à l'ordre
du jour ; des étudiants en composent le public, et cette circonstance
explique peut-être la prévoyance quasi paternelle avec laquelle
un commissionnaire au Mont-de-Piété a eu l'idée de s'établir
tout près, côté du quai aux Fleurs.
Au coin du même quai est un magasin de quincaillerie, fondé en
1809 sous le titre des Forges du Vulcain, légende d'un beau tableau
d'enseigne, peint par Aubert sous la Restauration. La porte d'ensuite, ou
jadis était celle de l'église royale, ouvre depuis 1806 sur
un grand bazar d'horlogerie, derrière lequel, dans la cour, se retrouvent
des inscriptions tumulaires en lettres gothiques. Les premières factures
présentées par M. Aréra, père et prédécesseur
de l'horloger, donnaient son adresse rue Saint-Barthélemy. La voie
publique dont nous nous occupons en a formé longtemps deux : l'une
de Saint-Michel, puis de la Barillerie, du côté du pont Saint-Michel,
et l'autre de Saint-Barthélemy. A la fin du règne de Louis
XIV celle-ci comptait 14 maisons, 30 échoppes et 5 lanternes, et celle-là 36
maisons, 50 échoppes et 10 lanternes : il va sans dire qu'à cette époque
les deux rues étaient plus étroites et séparées
des monuments voisins, excepté de la tour de l'Horloge, près
laquelle se réunissaient encore les agents de change vers midi pour
la négociation des lettres et billets de change.
Café d'Aguesseau :
Après la porte du Prado, les avocats ont
leur buvette fashionable ; ils viennent s'y mettre à table en traversant
la rue, presque toujours en robe noire, et souvent avec un client, qui a
payé d'avance le droit de raconter à satiété toutes
ses affaires au défenseur qu'il poursuit jusque-là. Guyon,
Favre et Recordon ont tenu cette buvette, ancien café Thémis
; aujourd'hui, café d'Aguesseau. Sous la Restauration encore, les
habitués de la maison avaient souvent sous les yeux un spectacle qui
n'était pour les avocats qu'une représentation, en pantomime,
d'un drame déjà joué aux assises. On exposait publiquement,
sur la place, des condamnés, qui restaient six heures attachés
sur un tabouret, dans le principe, puis une heure seulement, mais debout
: on a supprimé, depuis, cette exposition au carcan.
Deux belles Enseignes :
Traversons de nouveau cette place du Palais, qui
est un renflement de notre rue ; arrêtons-nous devant une maison, également
bâtie par Lenoir sur le modèle de celles du demi-cercle, mais
pour le compte de la grand'mère de l'abbé Hamelin, curé de
Sainte-Clotilde. La famille Hamelin, elle aussi, se livrait au commerce de
la quincaillerie, et son enseigne de la Flotte d'Angleterre faisait
presque pendant aux Forges de Vulcain : elle avait été peinte
sur cuivre au milieu du XVIIIe siècle, époque de l'ouverture
du magasin, qui n'a pas encore changé de place. Le fabricant d'Outils,
père
de l'ecclésiastique, a corrigé un livre en trois volumes in-4°,
dont un de planches, intitulé le Manuel du Tourneur et
publié d'abord
par Bergeron, son auteur, vers 1780 ; cet ouvrage spécial, qui a été réédité,
fait encore bonne figure chez le libraire Roret : Quant à l'abbé Hamelin,
il a reçu le baptême à la Sainte-Chapelle, église
rendue au culte pendant six mois de l'année 1806 et dont les registres
ont été transférés à Saint-Thomas-d'Aquin,
pour faire place aux Archives du Palais.
Un Reposoir :
Que si les condamnés traversaient autrefois
la rue de la Barillerie, pour aller de la Conciergerie à l'échafaud,
les rois prenaient le même chemin en sens inverse pour se rendre du Louvre à Notre-Dame.
Un jour de Fête-Dieu, sous le règne de Louis XVIII, un joli reposoir
avait été établi à la Flotte
d'Angleterre ; Monsieur,
comte d'Artois, la Dauphine et la duchesse de Berry s'y arrêtèrent,
en se rendant à l'église métropolitaine. |
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