Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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RUE BLEUE, (D'ENFER)
VIème arrondissement de Paris

(Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, Charles Lefeuve, 1875)

Notice écrite en 1859. Le prolongement du boulevard Saint-Michel, dit d'abord de Sébastopol (rive gauche), a ultérieurement absorbé la rue d'Enfer jusqu’à celle de l'Abbé-de-l'Epée. L'école des Mines, qui de la rue a passé sur le boulevard, a vu s'accroître ses bâtiments ; l'ancien hôtel de Vendôme en fait toujours partie, bien que l'abaissement du niveau ait érigé son rez-de-chaussée en premier étage. Le ne 64, qui vient après sur le boulevard, était notre 26 de la rue d'Enfer, à laquelle appartenaient aussi les n°s 103 et 105 de la voie nouvelle. Commençant : rues du Faubourg Poissonnière, 67, et Papillon, 1. Finissant : rue La Fayette, 72. Historique : s'est appelée, pendant longtemps, rue d'Enfer, par opposition avec le nom de la rue de Paradis, qu'elle rejoignait rue Saint-lazare. C'était anciennement la ruelle des Volarnaux. Elle aurait aussi porté le nom de Saint-Lazare. Elle est indiquée sur le plan de Gomboust (1652). Un décret du 27 août 1859 avait déclaré d'utilité publique la suppression de la partie comprise entre les rues La Fayette et Cadet. Cette opération n'a pas été réalisée et un arrêté du 20 février 1911 a attribué les nos 65 et 65 bis de la rue La Fayette aux maisons qui portaient les nos 36 et 38 de la rue Bleue. Origine du nom : a reçu le nom de rue Bleue sur le désir de ses habitants. L'arrêt du Conseil du Roi du 14 février 1789 décide : « La rue d'Enfer s'appellera désormais rue Bleue ; nom qui se retiendra plus facilement que tout autre, attendu que, dans le même quartier, il y en a une qui porte le nom de rue Verte ».

Mme de Maintenon. – Les Princes de Vendôme. – Mme de Navailles. – Mme de Graffgny. – M. Le Feuve de la Faluère. – Le Duc de Chaulnes. – Les Carmélites. – Port-Royal. – L'Oratoire. – L'Infirmerie de Marié-Thérèse. – L'Archer de la Ville. – Les Chartreux. – Lesueur. – Les Feuillants. – Le Général Ernouf. – Royer-Collard. – Lest Boullenois. – Le Séminaire. – L'hôtel Marillac.

Il y a eu quatre rue d'Enfer ; Mme Maintenon en a habité deux. Dans la rue Basse-des-Ursins, via infera elle a occupé, avec Scarron, un appartement que nous n'avons pas su y retrouver. La rue d'Enfer, via interna, n'était pas la plus jeune des quatre ; elle a passé le temps de répudier la dénomination qui rappelle que saint Louis y donna l'enclos de Vauvert aux chartreux, à la charge d'en chasser le Diable. Il parait que l'exorcisme a réussi, les religieux étant demeurés cinq siècles et demi en possession du clos. Quand au diable de Vauvert, qui faisait les cent coups au-delà de la porte Saint-Michel, il était si populaire à Paris que nous en reparlons encore sans le vouloir, en disant d'un l'homme éloigné, qui court le risque de ne pas revenir : Il est au diable au vert.

La Biographie Michaud se trompe un peu quand elle affirme qu'une maison a été donnée près de Vaugirard à la veuve de Scarron, devenue gouvernante des enfants de Louis XIV et de Mme de Montespan. On a fait certainement disposer pour elle un assez bel hôtel dans la rue d'Enfer Saint-Michel, et nous croyons que ce fut le 34 actuel, dont le jardin n'a pas disparu. Un domestique suffisamment nombreux pouvait encore s'y mouvoir ; l'écurie n'en était pas vide. Bref le train de maison mis au service de la veuve du poète n'était déjà pas trop indigne du rang, où devait l'élever par étages sa rare destinée, mais n'était pas encore de force à éveiller trop de surprise, partant trop de conjectures, dans le monde qui la visitait.

La surveillance de la couvée semi royale s'est exercée avec un grand mystère ; tant que l'âge des enfants n'en a pas érigé les soins en une véritable éducation. La petite d'Heudicourt, qui fut depuis la marquise de Montgon, avait été confiée également aux soins de Mme de Maintenon, pour que cette participation déroutât le calcul prématuré des probabilités. Le roi ne voyait les enfants qu'à de longs intervalles et dans l'incognito, et s'il demandait aux nourrices quelle en pouvait être la mère, une double satisfaction résultait pour lui de cette réponse : – On voit bien que ce sont les enfants de la dame qui les soigne : son affection en dit assez ! – Et leur père, quel homme est-ce ? Ajoutait aussitôt le roi. – Il se cache, lui répondait-on il faut que ce soit un président.

L'une des nourrices habitait Vaugirard ainsi s'explique une confusion de lieux, qui n'empêche pas l'article-Michaud, consacré à Mme de Maintenon d'être une bonne miniature de son histoire. Pour lever jusqu'aux derniers doutes, extrayons quelques lignes du XIe Entretien de l'héroïne elle-même :

Le fracas des carrosses du temps de Louis XIV n'a pas fait trop broncher les hôtels, en assez grand nombre, qui se groupaient vers ce temps-là autour du grand hôtel de Vendôme, maintenant le plus ancien des bâtiments de l'école des Mines. Car les enfants de Mme de Montespan commençaient à grandir en face d'un petit-fils de Gabrielle d'Estrées. La légitimation, cette seconde paternité, moins aveugle que la première, avait sous les yeux son exemple. D'un ministère de cardinal à l'autre, les princes de Vendôme avaient bien affronté l'exil et les bastilles ; mais le sang de Henri IV ne mentait pas dans leur bravoure, dans leur entraînement au plaisir. Louis XIV employa souvent le duc de Vendôme, bien qu'il ne l’aimât guère, et les revers que lui fit essuyer le prince Eugène n'empêchèrent pas ce capitaine d'avoir ses jours de gloire et de fortune.

Son frère, le grand-prieur de France, fut lui-même lieutenant général ; il recevait au Temple, comme le duc de Vendôme au château d'Anet, Chaulieu, Lafare, Palaprat, Jean-Baptiste Rousseau, aussi bien que d'autres amis d'une condition plus brillante, pourvu qu'ils bussent comme des templiers. Campistron, secrétaire des commandements du duc, convenait avec philosophie du désordre inouï d'une maison princière où l'on courait risque de mourir tantôt de faim, tantôt d'ingestion.

Un petit hôtel Vendôme servait plus spécialement aux réunions intimes, auprès du grand ; il s'est transformé en habitation affectée à des employés du Sénat et porte un n° 26, désignation plus ouvertement reconnue que celle d'autrefois Petit enfer ! Les habitudes des Vendôme, en Campagne, ne se modifiaient presque pas ; ils passaient gaiement la nuit blanche sous la tente du commandement, puis dormaient la grasse matinée et se réveillaient juste à temps pour reprendre en un tour de main, les avantages trompeurs que leur sommeil avait valus à l'ennemi. Quel mal pourtant n'a-t-on pas dit de ces deux frères, trop convives l'un de l'autre ! S'il n'y avait d'épicuriens que les princes, n'en compterait-on pas à toutes les époques beaucoup moins ? Les vices cachés vont encore bien plus loin que ceux qui se décrient d'eux-mêmes au grand jour.

Va pour 26 ; mais prenons garde que le numérotage en cette rue a déjà changé une fois depuis l'année 1846, où M. Girault de Saint-Fargeau mettait l'ancien hôtel Vendôme au n° 34, l'ancienne porte des Chartreux et le jardin botanique de l'Ecole de Médecine au 46. Ne savons-nous pas, d'autre part, que Proudhon, le philosophe socialiste, demeura au 46 ? (Le peintre Courbet a reproduit la maison de sou ami Proudhon.)

Avant de passer duègne de cour près des filles d'honneur de la reine, elle avait rendu plus d'un service à Anne d'Autriche et à Mazarin : Louis XIV lui en demanda d'autres, qu'elle hésita courageusement à rendre. Disgrâce, en conséquence, pour elle et le maréchal, son mari. Plus tard, ils n'en fixèrent que mieux leur résidence dans la maison numérotée 27, où mourut la duchesse dans la première année d'un nouveau siècle. Le maréchal, en dernier lieu gouverneur du prince Philippe d'Orléans, duc de Chartres, laissa-t-il l'hôtel à sa famille ? François de Navailles fut officier au régiment de Navarre ; puis son fils, vicomte de Navailles, servit en la même qualité au régiment du roi.

Un plus modeste toit, qu'un toit moins large encore sépare d'une des entrées du Luxembourg, presque en face la rue Saint-Thomas, abrita longtemps une femme auteur du XVIIIe siècle, dont les Lettres Péruviennes firent la réputation. C'était Mme de Graffigni, née Françoise d'Issembourg d'Apponcourt, petite-nièce de l'illustre Callot. Son mari, chambellan du duc de Lorraine, la battait ; elle s'en sépara, et il finit par mourir en prison. Mme de Graffigni était arrivée à Paris en y suivant Mlle de Guise, qui venait épouser le duc de Richelieu. Elle avait commencé par écrire des nouvelles ; sa comédie de Cénie réussit ; malheureusement il n'en fut pas de même pour un drame joué plus tard, La Fille d'Aristide. Un fauteuil lui appartenait à l'académie de Florence.

Ses livres engageaient à la voir, mais sa conversation trop sérieuse souffrait de la comparaison. Cette femme d'esprit cessa de vivre en 1758, à l'âgé de 64 ans. La maison à deux corps occupée par elle seule avait sa petite porte sur le jardin privilège que n'ont pas encore perdu toutes les habitations bordant le Luxembourg. Pothenot, gentil homme de la vénerie du roi ; l'avait acquise, avec les deux immeubles contigus à droite et à gauche de Marie, lieutenant de la maîtrise des eaux et forêts de Fontainebleau. Les actes disaient ces, trois maisons sises rue de la Porte-Saint-Michel, pseudonyme qui n'est pas le seul qu'ait essayé la rue d'Enfer.

Ledit lieutenant d'administration avait au n° 13 un supérieur dans Alexandre Le Feuve de la Faluère, chevalier conseiller du roi, en ses conseils, grand-maître, enquêteur et général réformateur des eaux et forêts de France au département de Paris.

Plus haut, en la même rue se remarquait le duc de Chaulnes, sous Louis XVI. Ayant quitté son régiment à 24 ans, ce colonel s'était voué à l'étude des sciences naturelles, avec une passion qui dérangeait l'ordre de ses affaires et singularisait son caractère, tout en ayant ses bons côtés. Physicien et chimiste, il fit des découvertes, publia des mémoires fut membre de la société royale de Londres. Bruit se répandit de ses expériences sur un parasol aérien, lesquelles avaient lieu sur le boulevard perpendiculaire, à la rue d'Enfer. Le savant duc, dont le père avait été lui-même honoraire de l'académie des Sciences, soupçonna le premier, l'utilité de l'alcali volatil pour porter secours aux asphyxiés.

Un essai sur des animaux prouva qu'il avait eu raison d'attribuer une vertu précieuse à cette substance ; mais, voulant que l'épreuve décisive en fût faite sur lui même au péril de ses jours, il chargea son domestique de l'enfermer hermétiquement, avec un réchaud de charbon déjà allumé par-dessous, dans un cabinet tout en vitres. Une entière transparence permettait au préparateur de suivre du dehors tous les progrès de l'asphyxie sur son maître, et d'entrer au moment où sa respiration serait réellement suspendue pour déboucher un flacon d'alcali et procéder à son emploi. Quand cette expérience courageuse eut donné un bon résultat, M de Chaulnes se décida à publier sa découverte.

L'habitation du duc porte aujourd'hui le chiffre 59 ; des maîtres y préparent des élèves à passer divers examens, ce qu'on appelait prendre ses degrés dans les anciennes universités. La propriété avait assurément fait corps, en des temps plus reculés, avec celle d'à-côté des traces d'arceaux murés démontrent qu'il y a eu continuité. Il est vrai qu'au temps des Romains il s'élevait, là un temple de Cérès ou de Mercure, dont la construction a été reprise et modifiée à l'époque du roi Robert, puis fondue dans le domaine des carmélites. On y montrait publiquement un antique caveau, pendant la République.

Les, carmélites, comme beaucoup d'autres nonnes, avaient plusieurs maisons particulières dont elles cédaient la jouissance à des dames et à des familles, qui s'y retiraient, n'ayant plus qu'un pied dans le siècle, et la demeure de M. de Chaulnes avait dû être de ce nombre au XVIIe siècle. Peut-être même que la séparation n'existait pas encore en ce temps-là.

Sur l'un des anges déchus que rapatria ce couvent mémorable, quelle muraille aurait empêché tous les regards du monde de converger ! La duchesse de Lavallière n'y a-t-elle pas rendu son âme à Dieu, sous le nom de saur Louis de la Miséricorde, dans la trentième année de sa pénitence ? Quel cœur encore ne palpite pas un peu, au tendre souvenir de la faute qu'elle a commise et qui a de sublime, les sévères grandeurs du repentir, comme l'autorité sans égale du complice ! Ces carmélites de la rue Saint-Jacques ; car elles n'avaient rue d'Enfer que des portes de derrière, tenaient alors bien plus de place que celles dont la congrégation, héritière indirecte de la leur, en fait revivre les traditions. Leur territoire ne finissait qu'aux frontières mêmes de la ville, et leur église enrichie d'œuvres de Philippe de Champagne, de Sarazin, de Stella, de Lebrun et du Guide, avait reçu, avant les dépouilles mortelles de la royale repentie de l'amour, celles de l'historien romancier Vacillas, du duc de Montausier, gouverneur du Dauphin, et de Julie d'Angennes, sa spirituelle et vertueuse épouse.

La rue d'Enfer, au-dessus des Carmélites, suivait aussi les murs de Port-Royal, mais en s'appelant chemin de l'Enfant-Jésus. A l'hospice de la Maternité, qui porte également la dénomination peu engageante de la Bourbe, des femmes pauvres font leurs couches dans les vieux bâtiments de la métropole du jansénisme. La Révolution ayant converti ce monastère en une prison de Port-Libre, où elle enfermait les royalistes, le Directoire y avait mis à son tour des révolutionnaires, qui en retenaient le nom de bourbiers. Port-Royal et ses dépendances n'avaient sur notre rue qu'une de leurs portes ; elle y roule encore sur ses gonds, au seuil de la maison du Bon-Pasteur, rachetée vers 1819 par la Ville de Paris pour cette œuvre, dont les hospitalières de Saint-Thomas-de-Villeneuve ont la direction.

La Maternité, sous le premier empire, avait une succursale de l'autre côté de la rue, n°100. Au lieu de mères, à présent, on y assiste des enfants, que leurs parents ont abandonnés ou soumis eux-mêmes à l'épreuve d'un régime de punition. Le 98, qu'occupent les dames de la Visitation, est avec le 100 d'une origine, commune qui nous reporte, au temps où les pères de l’Oratoire y jurent leur monastère aux pieuses munificences de Pinette, trésorier de Gaston de France, duc d'Orléans, dont le Luxembourg était le palais. Cet établissement servit surtout de noviciat à la congrégation oratorienne, qui produisit Malebranche e, Massillon et de lieu de retraite aux abbés de Rancé et Le Camus, au marquis de l'Aigle au comte de Santenais, au marquis d'Urfé, à Henri de Barillon, évêque de Luçon, au chancelier de Pontchartrain, et à d'autres pénitents de qualité. La maison de l'Enfant-Jésus, attenante au marais du même nom n'avait-elle pas été le berceau de ce couvent ? Le cardinal de Bérulle avait fondé en 1811 l'institut de l'Oratoire-de-Jésus à l'imitation d'une congrégation qui instruisait déjà les enfants à Rome.

Le petit hôtel que ces pères avaient donné en location à M. de Pontchartrain, était au-dessus de leur monastère, dit encore de l'Enfant-Jésus, et ils avaient au-dessous pour locataire M. d'Aroüy, conseiller d'Etat. Plus haut, mais de l'autre côté, les commis percevaient les droits d'entrée en ville dans une maison, avec jardin, qui était aussi à l'Oratoire. Puis venait une hôtellerie.

La charité a plus d'un compte ouvert dans l'ancien chemin de l'Enfant-Jésus les établissements utiles ont poussé dru dans le marais fertilisé par les oratoriens ! M. et Mme, de Châteaubriand ont d'abord habité, sous la Restauration, la propriété dans laquelle, leur initiative a créé l'infirmerie de Marie-Thérèse. Outre, une distribution de soins et de médicaments aux malades, l'œuvre avait pour but, dans le principe, accueillir des personnes tombées d'un rang assez élevé.

Pour souffrir encoreplus que d'autres, des atteintes de la misère. Mais depuis 1838, l’ârchevêché y a placé ses invalidés ; des prêtres vieux et infirmes, parmi lesquels il reste encore d'eux dames de la première fondation, qui doivent être exemptes de la crainte de mourir sans confession. Fussent-t-elles encore dams leur maison de campagne, ni l'une ni l'autres ne s'y promènerait près de corbeilles de fleurs plus fraîches et de plates-bandes mieux, tenues que dans le jardin de l'Infirmerie. Noue avons retrouvé une rue rayée de la carte de Paris depuis que W. de Chabrol, préfet de la Seine en à fait bail à la communauté, moyennant 40 fr. par an sur la demande de l'auteur des Martyrs. Cette rue de la Caille était petite, malpropre et mal famée, avant d'entrer en religion ; heureusement les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul assainissent et purifient tout ce qu'elles touchent.

Ramenons le lecteur en face des Carmélites et reconnaissons-y l'a place que le bureau de la Ville vendait, le 6 février 1708, à Estienne Bouquet, garde et archer, qui avait bâti là de quoi se loger, sous le bon plaisir du bureau, « pour être plus à portée de la garde et conservation des arbres du rempart. » A la fin du siècle précédent, la Ville avait acheté ledit terrain du père procureur de ces chartreux dont le territoire a plus tard tant agrandi le Luxembourg !

Depuis que le château de Vauvert, élevé pour Robert II, fils de Hugues Capet, avait fait place Chartreuse, comme ce domaine monastique était semé de beaux jardins !

Chaque chartreux en avait un petit avec un pavillon particulier. Un potager de 340 hectares et une pépinière de 80 trouvaient place dans cette chartreuse, avec un moulin pour son blé, et un pressoir pour son raisin. Par-derrière elle avait, en outre, un vaste clos, dans lequel Jean de Marivaux, tenant pour le roi, et Claude de Maroles, pour1a Ligue, avaient rompu une lance, d'après les règles de la chevalerie, le 2 août 1589. Le mur du convent longeait alors la rue d'Enfer à partir de la rue de Vaugirard. Son jardin était encore en mitoyenneté avec celui du Luxembourg au moment de la Révolution.

Riche communauté, puisqu'elle jouissait de plus de 100, 000 livres de rente ! Aussi les révérends, pères faisaient-ils du bien ils donnaient à dîner tous les vendredis à bon nombre de pauvres honteux. Chez eux le novice n'avait pas de pension à payer, et la profession de foi n'entraînait ensuite pas plus de frais le postulant restait un mois en habit séculier et puis, s'il était agréé sur la présentation du prieur, il commençait son année de noviciat.

Comme les chartreux ne faisaient jamais gras, ils avaient eu originairement le droit de choisir leur poisson, avant tout le monde, aux Halles. Ils tenaient de Le Mazurier, premier président au parlement de Toulouse, le fief de Poissy, principalement assis rue de la Tonnellerie, entre ces Halles, et la rue Saint-Honoré. Dans leur église, bâtie en 1324, on admirait les stalles en menuiserie, qui entouraient le chœur, et des tableaux de Philippe de Champagne, Jouvenet, Boullongne frères, Lafosse, Coypel. A côté de l'église, le cloître était décoré de vingt-deux tableaux de Lesueur, représentant la vie de saint Bruno.
Cette galerie demanda trois années de travail au premier peintre de l'école française sous Louis XIV ; mais il était déjà de la maison à cette époque.

La perte de sa femme et les persécutions de l'envie n'avaient pas été seules à le dégoûter du monde. Un jour où ses fonctions d'inspecteur des recettes aux entrées de Paris l'avaient appelé à cette extrémité de la ville, il s'y était pris de querelle avec un gentilhomme, qui voulait frauder les droits, et comme dans leur duel au pied du mur conventuel, l'adversaire avait succombé, le vainqueur se reprochant cette mort s'était consacré à la retraite dans le couvent éclaboussé d'un, sang versé de sa main.

Les deux seigneuries dont relevait le vaste territoire de cet établissement religieux, n'y furent pas toujours d'accord sur la délimitation de leurs censives ; à ce sujet intervenait le 20 mars 1709 une transaction notarialement passée devant Bobus et son collègue, entre les seigneurs religieux de Sainte-Geneviève et Magnien, prêtre du séminaire de Saint-Sulpice, fondé de procuration des supérieurs et directeurs du séminaire d'Orléans, auquel appartenaient les biens, droits et revenus du prieuré de Notre-Dame-des-Champs, et l'acte concluait ainsi :

Cette grande porte aujourd'hui sert d'entrée à la pépinière orientale du Luxembourg, où le jardin de botanique médicale fut créé en 1835 (ce jardin à l'usage de l'Ecole de Médecine a été depuis transplanté rue Cuvier). Le vénérable bâtiment que vous y voyez était aux chartreux, comme presque toutes les constructions qui le séparent de l'ancien hôtel de Vendôme.

L'avenue du 32 est tout au plus un dégagement moderne ; le cardinal Fesch, sous l'Empire, est l'abé Affre avant d’être prélat, ont résidé dans cet immeuble ainsi fait de nos jours, M. Huguenin, statuaire.

Le général Ernouf, qui a servi l’Empire et la Restauration, se trouvait bien lui-même, au n°49, des reste d’un autre monastère. La première pierre des Anges-Gardiens, noviciat des Feuillants, avait été posée par Pierre Séguier, garde-des-sceaux , le 21 janvier 1633. L’édifice principale en est visible au 47, et nul doute que son entourage ne fût primitivement à la disposition desdits religieux. Est-ce que d’une bâtisse à l'autre, des communications préexistantes ne se trahissent pas ? Voyez encore ce bénitier, dans le jardin du 45 il n'a pas quitté depuis longtemps la place qu'il occupait tout près, au rez-de-chaussée de l'habitation.

Royer-Collard, l'éminent fondateur du parti libéral en France, ne quitta la Chambre des députés, dont il avait été le président, qu'à un âge avancé. Il habitait déjà, étant l'idole de l'opinion publique, une maison de la rue d'Enfer, qui fut aussi celle de la maréchale Lannes et du comte Bérenger, pair de France ; il y mourut en 1845, et la rue Saint-Dominique-d'Enfer, qu'il avait eue en regard de ses croisées, devint après lui Royer-Collard. Comme Philosophe avait combattu l’école sensualiste de Condillac, dans son cours à la faculté des Lettres ; il devait, d'ailleurs, à son éloquence plus qu'à ses rares écrits d'être entré à académie.

Le 14, qui appartient depuis deux siècles à la même famille, se composait originairement de deux hôtels, reconstruits en 1767 pour Adrien de Boullenois, écuyer, conseiller roi et substitut du procureur général au parlement de Paris. Celui-ci eut pour héritier son frère Louis, avocat, auteur de bons ouvrages de droit. Vint ensuite Louis-Jean-Charles de Boullenois, receveur des finances, enfin M. Frédéric de Boullenois, qu’a eu pour chef de son cabinet M. de Rambuteau préfet de la Seine. L’immeuble est de ceux où l’on jouit d'une grille et d'une sortie sur le jardin public. Ses locataires de marque en notre siècle, ont été : le chimiste Berthollet, le comte Lebrun, frère du duc de Plaisance, l'amiral Verhuel, ami de la reine Hortense, les fils du maréchal Lannes, Wilhem, fondateur des écoles populaires de chant, et M. Jullien, publiciste distingué, père de l'ingénieur.

Louis de Marillac, curé de Saint-Jacques-la-Boucherie, avait fait abandon par testament d'une des maisons voisines, dans laquelle M. de Noailles, archevêque de Paris, avait ouvert, aidé des libéralités du roi, le séminaire de Saint-Pierre-et-de-Saint-Louis, que la Révolution ferma. Les bâtiments en étaient occupés plus tard par les soldats vétérans de la Chambre des pairs, puis l'église convertie en usine à gaz. Y en a-t-il encore pierre sur pierre ? nous ne disons ni oui ni non.

Ne connut-on même pas, près la porte Saint-Michel, un hôtel Marillac dès le XVIe siècle, lorsque le chancelier et le maréchal Marillac n'étaient encore que des enfants ? Nous n'osons pas remonter plus haut, bien que cette famille ait été aux Croisades. Le collège du Mans, au XVIIe siècle, vint s'installer dans ledit manoir, moyennant 37, 000 livres de prix d'achat, après en avoir tiré 53, 156 des bâtiments où il avait été fondé en 1519 par Philippe de Luxembourg, évêque du Mans, et qu'avait englobés l'accroissement du collège de Clermont (lisez Louis-le-Grand). Celui-ci, un siècle plus tard, recueillit les boursiers du Mans, et la Nation, trente ans après, fit vendre l'ancien hôtel Marillac en tant que provenance du ci-devant collège Egalité (lisez encore Louis-le-Grand).

Les feudistes, si peu qu'il en reste, nous en voudraient peut-être si nous n'ajoutions pas que le fief de la Grande-Confrérie-aux-Bourgeois touchait, dans le faubourg Saint-Michel, au fief des Jacobins, qui appartenait aux jacobins de la rue Saint-Jacques.



 

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