Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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RUE DES ENFANTS-ROUGES
IIIème arrondissement de Paris
(Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, Charles Lefeuve, 1875)

Notice écrite en 1859.

La Dlle Riquet. – M. de Pressigny. –Tallard. – E Tutti Quanti.

Les poitrinaires n'étaient pas encore à la mode lorsque la Dlle Riquet fut enlevée à 19 ans, avec les, premières feuilles de sa dernière année et au crépuscule du matin, le 13 septembre 1760. Cette fille grêle, aux grands yeux bleus, avait déjà pris une retraite encore plus prématurée, comme danseuse de l'Opéra, et elle demeurait rue Croix-des-Petits-Champs. On lui avait connu le comte de Brancas, M. Rouillé d'Orfeuil et le baron de Vambre. Mais le plus honnête des soupirs qu'elle eût exhalés de sa vie était reçu, à l'heure suprême, par M. de Pressigny, fils de M. de la Maisonrouge, à qui nul ne le disputait plus. On vit ce jeune homme, rue des Enfants-Rouges, rentrer chez lui avant qu'il fit grand jour, comme après une nuit passée dans la débauche.

Dame ! il avait les yeux bien gros. Quelqu'un s'en aperçut et se demanda s'il n'avait pas perdu au pharaon plus que la fortune de son père. Comment deviner qu'il venait d'assister, tout seul, aux derniers moments de la petite masque, ange du libertinage, qui, dans son incessante crainte d'être trompée par un amant, prenait toujours, la première de l'avance ? La mort est seule à ne jamais pardonner ! M. de Brancas héritait, par le fait, d'un contrat de rente viagère de 2, 000 livres, constituée par lui à la défunte, et celle-ci laissait encore une petite fortune à sa propre famille, en mobilier et en diamants.

Or cette Dlle Riquet, qui avait eu toujours à soutenir sa grand mère, avec l'amant de sa mère et une tante n'était pas tout à fait comme feu Marie Duplessis, la véritable Dame aux Camellias ; elle ne s'affichait pas tous les soirs dans quelque théâtre, souvent avec un bouquet blanc, qui signifiait appel à tout venant, huit jours par mois avec un bouquet rouge, qui voulait dire : Vous repasserez. La maîtresse inconstante de Pressigny jouissait, bien au contraire, d'une réputation relative de décence, qui faisait naître plus d'estime que ses faveurs ne tuaient d'amour, et elle fût devenue millionnaire, en dépit de ses grosses dépenses, sans se donner pour de l'argent à ce dernier, en le comptant comme appoint, elle croyait faire assez d'honneur !

L'amant qui, de cette infortunée, regrettait tout, en face de l'agonie, tout, jusqu'aux infidélités, résidait au n°13, chiffre néfaste ! Ledit hôtel, dont une rampe de fer et divers ornements de vestibule illustrent l'escalier, était déjà distinct de l'hôtel contigu, n° 11, au temps de la Fronde ; mais les deux n'en faisaient qu'un lorsqu'on appelait ruelle du Chantier-du-Temple. Cette petite voie de communication. Elle devint rue des Enfants-Rouges, sous le règne de François Ier, à l'occasion de la création de l'hospice d'orphelins du même titre, réuni aux Enfants-Trouvés du faubourg Saint-Antoine en 1772.

Un bien autre escalier, ma foi, et tout en pierre, se développe avec une majesté dont tout le mérite ne revient pas à l'âge, et avec une belle cour carrée pour introduction, n° 2. J'en félicite l'ancien hôtel Tallard, qui a été exécuté sur les dessins de P. Bullet, auteur de la porte Saint-Martin. Tallard, maréchal de France, duc et pair, membre du conseil de régence et ministre d'État, a acquis cette propriété d'Eynard, grand-maître des eaux et forêts qui la tenait de Denis-Jean-Amelot de Chaillou, maître des requêtes. Saint-Simon fait ainsi le portrait du maréchal : « c'était un homme de médiocre taille, avec des yeux un peu jaloux, pleins de feu et d'esprit, mais qui ne voyaient goutte, maigre, hâve, qui représentait l'ambition, l'envié et l'avarice ; beaucoup d'esprit et de grâce dans l'esprit, mais sans cesse battu du diable par son ambition, ses vues, ses menées, ses détours, et qui ne pensait et ne respirait autre chose. » Devant l'ennemi, il n'est que trop vrai, Tallard essuya des revers, il fut prisonnier de guerre à Londres huit années ; mais il eut aussi ses grands jours et il sut présenter au roi, sous le côté qui consolait, les événements les moins heureux de ses campagnes : – Sire, disait-il alors, nous avons pris à l'ennemi plus d'étendards que votre majesté n'a perdu de soldats !

Le fils aîné du maréchal mourut des blessures qu'il avait reçues, auprès de son père, à Hochstett ; les fiançailles de son autre fils avec une des filles du prince de Rohan se firent dans le cabinet du roi, et il s'y donna le plaisir de signer au contrat avant le père de la mariée. Cet héritier de ses biens et de ses titres, Marie-Joseph duc d'Hostun, comte de Tallard, gouverneur de Besançon, demeura sans postérité et laissa pour légataire universelle sa nièce, Mme Sassenage, marquise de Pont, comtesse de Montellier, épouse séparée de biens du marquis de Sassenage. Puis la maison de la rue des Enfants-Rouges devint passagèrement hôtel Nicolaï, entre les mains d'un premier président à la chambre des comptes.

Près du maréchal demeurait l'échevin Geoffroi, qui y laissa sa veuve et qui avait eu pour vendeur Trudaine, intendant des finances. Ledit financier était héritier de son aïeule, femme de Charles Trudaine, laquelle avait acquis en l'année 1655 des héritiers de Guibert de Bussy, successeur de Durier. Les filles de Saint-Magloire achetaient la maison d'après, en 1705, du même Durier, y régnant en maître après Legrand, receveur des tailles de Melun.

Puis venait un hôtel où l'avocat Lesguillon avait eu les prédécesseurs que voici le comte de Surgères ; la mère de ce gentilhomme, Roux, conseiller du roi ; Denyert, premier valet de chambre du roi ; Frémont d'Ablancourt ; Jean Scarron ou Seurron, seigneur de Vaujour, conseiller au parlement ; Louis Dalis ; Amelot, archevêque de Tours, qui avait vendu à Dalis en 1653, et Delahaye.

Mme de Guichinville, propriétaire au-delà, y était contiguë aux Enfants-Rouges, dont l'église faisait suite à des dépendances de leur hôpital, dû à Marguerite de Navarre. Le marché du même nom n'avait été ouvert qu'en 1628 près de cet hôpital.

 


 

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