Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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RUE DU FAUBOURG-SAINT-HONORÉ
XIe, XIIe arrondissements de Paris
(Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, Charles Lefeuve, 1875)

Notice écrite en 1859. La rue de l'Elysée, le prolongement de la rue de Berri, le boulevard Haussmann et l'avenue de la Reine-Hortense sont de formation plus récente dans la rue du Faubourg-Saint-Honoré, dont l'extrémité a cessé d'être une des barrières de Paris. Commençant : rue Royale, 15-19. Finissant : avenue de Wagram, 46 et place des Ternes, 2. Monuments classés : au n° 55 : palais de l'Elysée ; au n° 85 : Hôtel de la Vaupalière (façades et toitures, décorations intérieures de certaines pièces, grand escalier et jardin) ; au n° 152 bis : église Saint-Philippe du Roule. Historique : précédemment, rue du Faubourg Saint-Honoré (partie A) et rue du Faubourg du Roule (partie B). La partie B s'est appelée chaussée du Roule (1635), rue du Bas Roule et rue du Haut Roule. Cette voie est indiquée sur une charte de 1222 comme chemin allant de l'église Saint-Honoré au pont du Roule. Origine du nom : principale rue du faubourg formé en dehors de la porte Saint-Honoré.

La Porte Saint-Honoré. – Sous cette porte, quand elle ne servait plus que de décoration à l'entrée de ce qui se dit encore le faubourg Saint-Honoré, passait-on aussi facilement que sous la porte Saint-Denis ? Sans mobilier, je ne dis pas non, mais on y regardait à deux fois avant d'emménager au-delà. Ce n'était pas un faubourg comparable à tant d'autres, qui l'emportaient par la joyeuseté de leurs guinguettes ou par une industrie locale, par les avantages d'une villégiature économique ou par les piquantes équipées de leurs petites-maisons. Au contraire, tout portait à croire qu'on y travaillait moins qu'ailleurs, sans que la vie fût à meilleur marché, et qu'on s'y amusait avec modération, en affichant des prétentions exorbitantes pour un quartier naissant. Dès les premiers pas qu'on faisait dans la principale rue de ce faubourg, à l'aspect des façades qui, depuis la Régence, s'y renouvellent moins qu'elles ne s'alourdissent, on a pressenti de bonne heure une contrefaçon du faubourg Saint-Germain ; elles étaient presque vierges, dans leur neuf, des enseignes commerciales qui surchargent leur toilette, volants plus vite fanés et remplacés que la robe. Le président. Bailly, le marquis de Mouchy et M. de Boisfranc demeuraient simultanément du côté droit, avant la rue de la Madeleine (maintenant rue Pasquier).

Le Joueur. – Quant à M. de Boisfranc, il épousa Mme de Feuquières, fille unique d'une dame d'honneur de la princesse de Conti mariage qui ne tourna pas bien. Un parent de Mme de Boisfranc, le marquis de Feuquières, frère du maréchal, habitait justement, de l'autre côté de la rue, une maison au sieur Lefort. Ne la cherchons pas au 19, qui n'était pas encore bâti, et qu'occupa plus tard Cambacérès ; avançons jusqu'aux n°s 23, 25, 27, un trio de maisons refaites, dont était l'ambassade de Prusse avant 1814, hôtel Montaran avant 1848. Le conseiller d'État Michel Amelot avait fait emplette de l'une d'elles avant la fin du XVIIe siècle. La division permettait à Feuquières d'y avoir pour voisin le marquis de Bordage, qui était joueur comme les cartes. Celui-ci faisait les parties de son amie, Mme de Polignac, qui se ruina et en tomba malade ; il courut après elle au Puy, chez son mari, et assista à ses derniers moments avec un chagrin indicible. Avant de remonter en voiture, Bordage avala de l'opium, et ses valets, à un relais, le trouvèrent sans mouvement, gisant sous les coussins ; mais un joueur a la vie si dure, et celui-là fut abreuvé d'une telle quantité de vinaigre, que le poison n'y put tenir. Le marquis, ramené à Paris, en fut étique pour une année ; puis il reprit sa vie de jeu.

Les Coches. – Dès le règne de Louis XIV, la cour des Coches avait pour occupant le fermier des carrosses de la cour. La loge du Grand-Orient y tint plus tard ses assemblées. Le girondin Guadet, arrêté à Saint-Emilion et exécuté à Bordeaux, avait eu pour domicile à Paris un corps de bâtiment de la cour des Coches ; il n'avait ménagé, comme orateur, ni Marat ni Robespierre.

Hôtel Montbazon. – C'est le 29. La serrure de sa porte cochère, volumineuse comme un livre, infolio, fit aller et venir son pêne, au commencement, devant le carrosse d'une duchesse de Montbazon mais de la quelle ? Inutile de penser à celle dont la mort décida l'abbé de Rancé, qui s'était épris d'elle, à s'ensevelir à la Trappé. L'amour prit sa revanche sur une autre duchesse de Montbazon, que poussa dans la tombe sa passion malheureuse pour le chevalier de La Rue. De ce que l'hôtel s'éleva en 1719, sur le plan de Lassurance, à la place d'une des maisons avec marais qu'avaient eues les sieurs Brisacier, nous devons inférer que ce fut pour la veuve du Rohan-Montbazon mort fou dans une abbaye de Liège vingt ans plus tôt. Ce prince avait eu pour frère Rohan-Guéménée de Montbazon, qui avait enlevé Hortense Mancini, porté ses vues jusqu'à Mme de Montespan et subi la peine capitale, pour un autre crime de lèse-majesté, en 1674 ; il laissa le titre de duc de Montbazon à son fils, qui se le fit reconnaître en parlement, mais qui ne cessa pas de signer prince de Guéménée. Le fermier général Richard acheta la propriété en 1761 son héritier fut M. Richard de la Bretèche, dont Mme de Saint-Sauveur prit la place à prix d'argent en 1792. Après MM. de Belletrux et Desèze, légataires de cette dame, vint M. de Lapeyrière, receveur général, en 1819, puis le comte de la Panouse, quatre ans après...

Hôtel Marbeuf. – Contigu à celui des Montbazon, il fut élevé en 1718 pour Blouin, premier valet de chambre et confident de Louis XIV, gouverneur de Coutances, puis de Versailles et de Marly. Ce personnage avait affiché ses amours avec la fille de Mignard, vivante mignardise ayant servi de modèle pour maints tableaux de son illustre père, et puis il avait obtenu, celle-ci, épousant le marquis de Feuquières, que le roi signât au contrat. La famille de M. de Marbeuf, gouverneur de la Corse, donna de l'a notoriété à son occupation du même hôtel, qui fut, ensuite Saliani ou Saligny, bien que Joseph Bonaparte l'habitât sous le Consulat. Puis l'empereur en fit son présent de noces à Suchet, l'une de nos gloires militaires. Le maréchal Suchet, duc d'Albuféra, pair de France, mourut à Marseille en 1826.

MM. de Rothschild et Pereire. Entre Blouin et le prince d'Egmont, il y avait seulement contiguïté mais la juxtaposition n'était pas le seul rapport qui reliât la résidence du prince à celle du marquis de Guébriant. Conçues, sur le même plan et nées ensemble, elles étaient sœurs jumelles, et leurs jardins faisaient si bien la paire que des, arbres de même essence y entremêlaient leurs branchages pour cacher la séparation. Les deux cours n'étaient séparées que par un mur, encore debout, dont le peu d'élévation suffit à rappeler une fraternité, démentie par la dissemblance actuelle des bâtiments. Ce double hôtel avait été fondé en1714 pour M. Chevalier, président honoraire au parlement, et sa sœur, Mme Le Vieulx, respectivement prédécesseurs de M. Legendre et du président Montigny, ayant pour locataires. MM. d'Egmont et Guébriant. Par malheur, il ne reste plus que la moitié de cette construction géminée, qui avait essayé de l'unité comme hôtel Montchenu M. le baron de Rothschild en cède la jouissance à l'ambassade de Russie. Dans l'autre moitié, M. Émile Péreire a dérangé la superbe ordonnance qu'aucune servitude, il est vrai, ne l'obligeait à respecter, et il a satisfait ses propres goûts au détriment du goût la vue que sa nouvelle demeure a conservée sur l'ambassade n'est que trop payée de retour. Chacune des deux propriétés a, comme douze autres formant file avec elles, son jardin et sa grille sur l'avenue Gabriel, ancien marais des Gôurdes.

Hôtel Charost Dû au crayon de Mazin, ingénieur du roi, y travaillant pour le duc de Charost, gouverneur de Louis XV dans sa jeunesse. La princesse Pauline Bonaparte, duchesse de Guastalla, y résida, en vivant séparée de son second mari, le prince Camille de Borghèse elle tenait alors une petite cour dans son château de Neuilly, plutôt que dans son palais en ville. Le gouvernement anglais, fit l'acquisition de ce dernier, en l'année 1816, pour ses ambassadeurs.

Hôtel Duras. – Germain Boffrand, neveu de Quinault, fit des pièces pour la Comédie Italienne et donna dans le solide à titre d'architecte les leçons de son oncle ne lui profitèrent pas autant que celles de Mansart. De lui l'hôtel Duras, qui se carrait encore sous Louis XVI dans tout l'espace compris entre les rues d'Aguesseau et Duras, mais qui s'est divisé sans que les principaux bâtiments en aient disparu. Le maréchal duc J. B. de Duras, qui honora Boffrand de cette commande, avait épousé en 1706 Mme de Bournonville, que menait danser à la cour la maréchale de Noailles, et il vécut jusqu'à 87 ans. Une grande maison bourgeoise, qui appartenait à la Ville avant la Révolution, se retrouve au-dessus dudit hôtel et en deçà de la place Beauvau, dont une monographie respecte l'autonomie dans ce recueil.

La Fille de la Nation. – On a édifié sous Louis Philippe un palais de la Renaissance, où Mme de Pontalba a tout de suite déployé un grand luxe de réception. Cet immeuble en avait absorbé un autre, qui pouvait passer pour le plus royaliste des hôtels au moment de la Restauration. Pourtant M. de Morfontaine, qui était le maître du logis, avait épousé Mme Le Peletier de Saint-Fargeau, que la Nation avait proclamée sa fille adoptive après l'assassinat de son père, conventionnel qui avait voté la mort du roi.

Hôtels Brunoi et Xavier. – Le général Beurnonville, qui joua un rôle politique important, n'était pas de l'ancienne famille de Bournonville ; son père avait tenu un restaurant dans les Champs-Elysées. Il n'en porta pas moins jusqu'au bâton de maréchal ; il épousa une Dlle Durfort-Duras et ferma pour jamais les yeux presque en face de l'hôtel. Duras, le 23 avril 1821. C'était au n° 47, ancien hôtel Brunoi, dont la restauration récente profite au prince de Wittgenstein, qui nous devra le plaisir d'apprendre que le comte Maurice, de Saxe en personne fut aussi l'un de ses devanciers. Le grand capitaine du XVIIIe siècle y était locataire de M. de la Faye, qui possédait aussi le 49 et le 31, hôtel Xavier, puis Sébastiani, dont il ne survit plus que la porte. Les prodigalités du marquis de Brunoi, né Pâris de Monttnartel, ont amené son interdiction ; les fastueuses processions qu'il organisait à Brunoi l'eussent fait prendre pour un illuminé dissipateur ; mais ce n'était qu'un grand buveur, dont le sommeil n'éteignait plus l'ivresse. L'un des héritiers du marquis ne fut-il pas, par le fait, lord Wellington, a qui Louis XVIII donna plus tard son titre seigneurial, sans le château ?

Sa maison de ville eut le maréchal Bourmont, duc de Raguse, pour habitant, avant le maréchal-Beurnonville, que n'y remplaça pas sans intervalle la princesse Bagration, qui eut la meilleure table de son temps. Le maréchal Sébastiani, ancien ministre, eut la douleur de perdre tragiquement sa fille dans l'autre hôtel ; c'était la duchesse de Praslin, assassinée par son mari à qui un médecin du quartier fut secrètement autorisé à apporter dans sa prison, le poison qui le sauva de l’échafaud. L'appartement qu'occupait naguère le maréchal de Castellane, dans l'immeuble au chiffre suivant, avait servi au marquis de Caraccioli, spirituel ambassadeur, contemporain du maréchal de Saxe. Que si nous remontons encore le cours des années, nous découvrons que lesdites propriétés n'en formaient que deux en 1700 et appartenaient alors à Mlle Françoise Langlois, veuve d'André Lenôtre, le jardinier des rois. Au palais de l'Élysée viennent de s'annexer 51 et 53.

L'Elysée. – Lenôtre n'avait eu à attendre aucun ordre, aucune permission, pour semer jusqu'à des maisons dans un vaste terrain, au milieu duquel 5 arpents formaient un héritage, indépendant. Cette propriété insulaire donnait à Mme Lenôtre une voisine dont le nom avait aussi quelque chose de bien mémorable Mme Geneviève Bossuet. Il fut avant peu remplacé sur le Terrier du roi par le nom du comte d'Evreux, pour trois maisons au lieu d'une seule. Impossible que la contenance eût crû dans les mêmes proportions. N'était-ce pas toutefois un château que, sur le tracé de Mollet, s'y donnait en 1718 Louis d'Auvergne, comte d'Évreux ? Mme de Pompadour, qui en fit le boudoir de la royauté, le salon d'attente du crédit, le temple du goût et de la mode, y donna l'audience de la faveur et celle de la disgrâce à des ministres, des instructions confidentielles à des ambassadeurs et des marques de protection à ses nombreux flatteurs, à Voltaire tout le premier. Que d'architectes et de peintres, d'orfèvres et d'ébénistes, d'habilleuses et de coiffeuses eurent l'air de prendre exclusivement. leurs inspirations ou leurs modèles chez cette marquise ! N'étant pas que la maîtresse du roi, elle personnifiait une époque et un genre, qui ont encore des courtisans posthumes. Mme de Pompadour, ayant charge à la cour, put à ce titre mourir au château de Versailles, sans forfaire à l'étiquette, le 15 avril 1764 ; néanmoins on se dépêcha de la rapporter sans bruit dans son hôtel, sur la paroisse de la Madeleine.

Le marquis de Marigny, son frère, surintendant des bâtiments, renouvela si bien les Champs-Élysées que leurs plantations multipliées méritaient à l'ancien hôtel d'Évreux de s'en estimer le chef-lieu. N'est-ce pas peu d'années après que l'Élysée par excellence passait à Louis XV, voulant y loger les ambassadeurs extraordinaires ? L'état de Garde-Meuble de la Couronne n'y fut que provisoire. Beaujon, riche financier, se rendit à son tour propriétaire en 1733, chargea l'architecte Boullée d'une restauration générale et, en restant usufruitier à vie, revendit à Louis XVI, moyennant 1, 100, 000 livres, plus 200, 000, pour les glaces et les tableaux. La duchesse de Bourbon, après la mort de Beaujon, fixait sa résidence à l'Élysée et formait dans le jardin un groupe de chalets, dit hameau de Chantilly, comme celui du prince de Condé au parc de Chantilly. Quand tout cela fut un bien national, des entrepreneurs à loyer y donnèrent les fêtes champêtres de l'Élysée et du Hameau-de-Chantilly, en affectant les salons du château à des jeux de hasard et à des bals. Murat, à titre d'acquéreur, en fit autrement les honneurs, avec sa femme, la princesse Caroline Bonaparte, duchesse de Clèves et de Berg ; mais lorsque ce prince Murat monta sur le trône de Naples, son palais, érigé en Élysée-Napoléon, devint la résidence favorite de l'empereur. Hôte de passage en 1814 et en 1815 le tzar Alexandre. Le duc et la duchesse de Berri d'occuper ensuite l'Élysée-Bourbon ; puis leur fils, le duc de Bordeaux.

Le gouvernement de Juillet maintint simplement l'Élysée, sans destination utile, au nombre des palais dépendants de la liste civile, et le prince président de la République y stationna en 1849, sur le chemin des Tuileries. Mais de l'autre côté de l'avenue Marigny, dont l'origine justifie le titre, il faut chercher, pour le trouver, l'ancien hôtel de campagne de Lenôtre. Rien n'en donne sur le faubourg, rien sur les Champs-Elysées ; mais il est demeuré fidèle à l'avenue tirée de ses dépendances et de celles du grand hôtel, dont il a pu lui-même faire partie. On y a vu particulièrement des d'Argenson et des Bauffremont, peut-être même des Simons. De plus, l'hôtel Blerzy, rue du Cirque, 14, n'est autre chose qu'un ancien pavillon de l'hôtel Lenôtre.

A la Porte d'Argencourt. – Un dénombrement d'hôtels appliquait en 1813 à l'aile gauche de la rue du Faubourg-Saint-Honoré, passé l'avenue Marigny, les hôtels Simons, Conégliano, Praslin, puis Rœderer. Mais ce n'était déjà plus un désert à l'époque où le comte d'Evreux faisait bâtir un peu plus bas il s'y suivait dès lors plusieurs maisons. Aussi s'en faut-il que les plâtres du 71 aient été séchés par le général Dupont, ou même par les d'Houdetot, prédécesseurs du général, pas un de leurs contemporains n'aurait pu se flatter davantage d'avoir obtenu les prémices du 73, qui appartient au baron Rœderer. Mais le sénateur de ce nom, qui avait commencé par être conseiller au parlement de Metz, a personnellement habité, avant, Mme. Lehou, avant le comte Molé, ce ministre du premier empire hostile au second, un hôtel dont l'avenue répond en notre rue au chiffre 86, et où les avait précédés le marquis de la Vaupalière, ensuite émigré. Ce propriétaire venait lui-même après M. de Ghastenay, qui l'était du chef de sa femme ; or M. Le Barcle, marquis d'Argenteuil et gouverneur de Troyes, avait marié sa fille à M. de Chastenay en 1738. Le constructeur avait eu bien raison, de tenir l'habitation à une honnête distance de la rue, à cause d'un égout qui, à cette hauteur, prodiguait les odeurs désagréables.

La porte d'Argenteuil, barrière urbaine, devait sa dénomination à l'hôtel du marquis d'Argenteuil, et comme il n'y avait que des cassines pour affronter de plus près l'infection du déversoir d'eaux sales, on disait par corruption : porte d'Argencourt. Qui devinerait qu'un quartier devenu avec le temps si distingué, si riche, a commencé sous de si pauvres auspices ! Il y a bien aussi comme une annonce de logis aristocratique à l'entrée séculaire des n°s 89 et 91, où, de la porte d'Argencourt, on a vu aller et venir des La Trémoille ; depuis de longues années, des travaux de construction y sont interrompus dans un édifice qui promet d'être superbe, mais qui ne paraît pas impatient de recevoir M. le duc de Coigny. Sous Louis XV un hôtel de Roy tenait le coin de la Petite-rue-Verte (la Petite-Rue-Verte fait actuellement partie de la rue Matignon).

Hôtel Castellane. – En voici un qui aura fait, ma foi, beaucoup plus de bruit qu'il n'est gros ! Des statues surchargent sa façade, une salle de spectacle s'est prise sur son jardin, et dire que tout Paris a tenu dans cette salle si petite ! De modestes paravents avaient suffi, Sous la Restauration, aux proverbes de Théodore Leclerc, et la révolution de Juillet avait éteint jusqu'au feu des salons. Le comte de Castellane mit fin à cet entr'acte en 1836, et son mariage ne le fit pas renoncer à l'exercice de la plus littéraire des hospitalités, qui n'en eut qu'un charme de plus. De grands bals se donnèrent, en outre, et le premier ornement n'en fut-il pas la châtelaine ? Mme de Castellane, qui était la fille du comte de Villoutreys, avait un frère beau cavalier ; sa mère, née Vanderbergue, s'était d'abord mariée, mais avait divorcé avec le général Rapp.

Il y a eu assez longtemps rivalité sur la scène de l'hôtel entre deux troupes l'une reconnaissait pour directrice la duchesse d'Abrantès, qui avait joué la comédie bourgeoise à la Malmaison et au château de Saint-Leu ; l'autre, Mme Sophie Gay. Des autres premiers-sujets citons Mme Tory, dans l'emploi des grandes coquettes ; Mme Colombat (de l'Isère), dans les amoureuses Mlle Davenay, qui a été ensuite artiste dramatique ; Mm de Darlu ; Mme Mézier ; Mme Anaïs Ségalas ; Mme Emmanuel Gonzalès ; Mme de Forges ; Mme de Contades ; le fils du général Bordesoulles, jouant les financiers ; le comte Grabowski ; M. Ternaux, jeune premier ; M. M. Mennechet, Cuchelet, Philippe Panel, Woldemar, Lac, de Rémusat. Au monde appartenait encore la contatrice Mlle de Lagrange, alors qu'elle s'est fait entendre sur le mignon théâtre du faubourg Saint-Honoré, et les petites danseuses viennoises y ont elles-mêmes débuté dans une miniature de ballet, avant de se montrer à l'Opéra. M. et Mme de Castellane étaient d'autant plus exposés aux contretemps, qui obligent un impresario ordinaire à mettre une bande sur l'affiche, que la ressource des doublures leur manquait. Pour assister exactement à des répétitions, cela gêne quelquefois d'être auditeur au conseil d'État ou chef de bureau, et les dames qui remplissent naturellement un rôle dans la bonne compagnie, indépendamment de ceux qu'elles étudient, n'en payent que mieux tribut aux crises nerveuses, sans compter qu'elles s'affectent d'un soupçon de rhume, ou du moindre symptôme d'état intéressant, à en garder la chambre. N'a-t-il pas fallu plus d'une fois parer aux accidents ou aux, caprices, en recourant à des acteurs et actrices de profession ? Encore eût-on laissé des regrets si l'on avait fait des choix moins heureux ! La Comédie-Française donnait surtout.

On a beau faire, ce qui convient le mieux à un public d'élite est la représentation de pièces inédites, et l'hôtel Castellane en a souvent monté. La Vengeance d'une Femme, par M. Mennechet, y a été donnée vers le même temps que le Gamin de Paris, joué par des amateurs. N’est-il pas, d'ailleurs, glorieux d'avoir fondé la réputation d'un musicien tel que Flottow, en faisant, connaître son Alice, son Rob-Roy et son Duc de Guise, trois ouvrages précurseurs de l'Ame en peine et de Marta ? Les Abencérages, opéra dont le poème était de Mm Collet, ont vu le jour au même théâtre, ainsi qu'un opéra-Comique d'Adolphe Adam, qui conduisait l'orchestre en son honneur. L'un des premiers essais d'Augustine Brohan s'y produisait en 1851 : Les Métamorphoses de l'Amour, et le spectacle ce soir-là commençait par le Caprice, avec Brohan et Fix. Deux ans plus tard, les deux mêmes actrices et plusieurs autres jouaient avec des amateurs une spirituelle charade, dont le mot était Galathée. Puis en 1856, et ce fut la dernière année, sans que s'annonçât la clôture, on jouait comme si de rien n'était, presque à la fois, le Coin du Feu, de Mme Roger de Beauvoir, une comédie de M. Jules Lecomte et un proverbe en vers d'Alexandre Dumas fils. Tout ce que tentent depuis la comédie et l'opérette de salon, à Paris comme à la campagne, n'est-il pas dépassé par le souvenir des soirées dramatiques de la jolie salle Castellane ? Mme la comtesse n’en a pas moins présidé elle-même, avec le caractère d'Henriette, des Femmes Savantes, a l'éducation de ses filles ; mais le château des Aigalades la retient trop souvent, en vue de la Méditerranée, pour qu'on ne soit pas ici jaloux de la mer.

Ah ! Mon cher comte, d'anciennes maisons se lézardent, quand l'été se prolonge pour elles plus longtemps qu'au calendrier. Votre hôtel, si bien rajeuni par des paysages toujours verts de Cicéri, par un jardin d'hiver, qui confond les saisons, et par une salle de spectacle qui a horreur du vide, comme la nature, et par conséquent d'un relâche qui se prolonge indéfiniment ; votre hôtel a le même âge, ou peu s'en faut, que cette belle tapisserie des Gobelins, aux figures vivement détachées, que le grand roi donna à votre aïeul et que l'isolement morfond plus que le temps. Le duc de Noailles, sous la Régence, fut le maître et seigneur de cette maison du faubourg, qui passa postérieurement à M.de Damas. Ce gentilhomme d'honneur de Monsieur, comte de Provence, fit la campagne d'Amérique, aide de camp de Rochambeau. Chargé de protéger la retraite de Louis XVI, Damas eut le malheur d'échouer dans cette mission capitale à Varennes ; il y perdit la liberté, que lui rendit seulement l'acceptation de la Constitution par le roi. Après avoir servi dans l'armée de Condé, il rentra en France sous l'Empire il fut ensuite fait pair, lieutenant général et duc ; il vécut deux années de plus que la duchesse de Damas, enlevée en 1827.

Le 116. – Mme la marquise de Louvois, née princesse de Monaco, n'a pas quitté le dernier domicile de son mari, membre de la commission des théâtres royaux, qui racontait lui-même avec plaisir quel était son seul titre à cette position pendant la grande révolution il s'était vu réduit, pour vivre, à s'offrir, comme aide machiniste, au chef du matériel de l'Opéra, qui l'avait accueilli sur sa bonne mine, et le petit-fils du grand ministre s'était initié de la sorte à tous les rouages du théâtre. Le général Soulès, sénateur, s'était accommodé en 1808 de cet immeuble pour son propre usage.

Le 118. – Déjà vieux par le fond, encore neuf par-devant, il a marqué sa place sous Louis XV, comme l'immeuble précité, sur territoire acquis de Sandrié, cessionnaire d'Adrien-Maurice de Noailles, par le sieur Arnaud. Un d'Entragues le laissa ensuite à son neveu, marquis d'Apollon.

Le 120. – Nous y eussions trouvé sous l'Empire le comte Hocquard ; sous la Restauration, M. de Saint-Didier, associé aux spéculations financières de M. des Tillières. Un âge plus reculé n'en est pas moins écrit dans la rampe en fer d'un escalier.

Lagrange. – Ce grand géomètre, près duquel aimait à s'asseoir, à l'Institut, son collègue Napoléon, a rendu le dernier soupir sous un toit où lui a succédé l'amiral Truguet, pair de France, à l'angle de la rue de Penthièvre. Le portrait du savant analyste prouve que son génie se reflétait sur des traits réguliers ; toutefois Lagrange ne voulait pas, poser devant un peintre ou un sculpteur les productions de la pensée lui paraissaient seules dignes de s'arrêter dans la mémoire des hommes. Oh que bien lui a pris de n'être pas témoin de cette furie de portraiture, dont tout le monde est possédé depuis, l'invention de Daguerre, qui fait paraître encore plus bêtes tant de figures sans expression !

Le Voisinage de Saint-Philippe. – Le 15 mai 1640, la Ville-l'Evêque, bourg que côtoyait une portion de la grande rue qui nous occupe, fut déclaré faubourg jusqu'à l'égout situé au-dessous du Roule. Hors de ville restait un marais de 2 arpenst, entre les rue Montaigne et d'Angoulême actuelles, et qui appartenait en 1700 à l'archevêque de Parie, dont la censive ne pesait plus, par suite ; d'un échange avec le roi, que sur la rive droite de la rue englobée en 1640 et qu'antérieurement on avait qualifiée chaussée du Roule à cette élévation. Sur l'emplacement du marais ne tardèrent pas à s'établir une brasserie et un hôtel, où vivait Mme de Cressy ; le marquis de Thorigny était propriétaire des deux. La maison aristocratique a été moins anciennement celle des Pages. On ne la distingue plus que par le nombre 107 ; le nom du général Gardanne n'y donne donc plus lieu à un jeu de mots, assez désobligeant pour les pages dont ce général était le gouverneur sous l'Empire.

Dans une maisonnette, qui est au second coin de la rue d'Angoulême, logeait tout bonnement, sous Louis XV, le maître d'hôtel du marquis de Brunoy, qui déployait son faste dans un hôtel au-dessous de l'Elysée ; cet officier s'appelait Carême, et n'était-ce pas l'ascendant d'un auteur de livres de cuisine en réputation ? Une maison de qualité, qui faisait face à celle de Thorigny, porte l'estampille 132. Nous ne pouvons nous tromper que guère en y donnant le marquis de Rais pour prédécesseur au maréchal Mortier, duc de Trévise, dont le fils occupe encore les appartements. Dulin, architecte du roi, avait eu dans les mêmes parages plusieurs maisons, et Lefèvre y fut en 1800 l'auteur ou le restaurateur de l'école d'équitation de M. Amelot, qui pouvait ne faire qu'une avec la maison des Pages. Mais ce disant, nous voici, arrivé à Saint-Philippe-du-Roule.

Le Roule. – C'était un village à part, qui commençait avant la barrière urbaine en 1738 le marquis de Langer avait en ce temps-là un marais sis au Roule ; bien que ce fût au premier angle de la rue de la Pépinière, et MM. de la Monnoye en avaient un contigu sur la grande rue. Près du second angle s'élevait une chapelle, érigée en paroisse Saint-Philippe avant la fin du XVIIe siècle Chalgrin lui donna les proportions d'une église en 1769. Cette chapelle dépendait d'abord de la maladrerie du Roule, qui fut antérieure de beaucoup au temps où le bienfaisant épicurien Beaujon, vivait à l'Elysée et de plus, avait au Roule ce qu'on appelait une Folie. L'hospice de sa fondation ne fut dans 1’origine qu'une sorte de pensionnat pour, 24 orphelins nés sur la paroisse du Roule. Mais quelle petite-maison que la Folie-Beaujon !

N'en a-t-on pas fait tout un quartier ? Le pavillon de la Chartreuse y dominait un grand jardin ; on remarquait en ce pavillon une salle de billard, décorée par Barbier, et un salon de forme octogone, orné de précieux tableaux ; ainsi qu'une chambre à coucher, avec des amours peints au milieu d'un plafond en voussure, et une autre, ayant l'apparence d'un bosquet, comme corbeille de fleurs, servant de lit, était suspendue à quatre arbres. Ce pavillon appartient au grand peintre Gudin, notre ami, et un autre corps de bâtiment, dans lequel Beaujon mettait ses petits appartements à la disposition de ses petites dames, eut dans la suite Balzac pour habitant. Cela faisait honneur au crayon de Girardin, ainsi que la chapelle Saint-Nicolas, qui était et qui est encore une succursale de Saint-Philippe. Vers le même temps, l'architecte Bellanger présidait à l'établissement des écuries d'Artois sur l'ancienne pépinière du roi. Marat y avait son logement, comme médecin des gardes- u corps du comte d'Artois, quand la Révolution vint déchaîner en lui des appétits, des haines, des fureurs implacables, que l'étude des sciences physiques ne retenait plus dans la sphère où les mauvaises passions sont impuissantes. Le ci-devant marquis Antonelle, juré au tribunal révolutionnaire, demeura de même aux Écuries ; ce citoyen ne redevint royaliste qu'à force d'aiguiser l'instrument des vindictes républicaines.

Quelque éloigné, du centre que fût le faubourg du Roule, il ne restait pas en arrière, il avait ses buveurs de sang. Là aussi que de mutations ! Un décret de la Convention ouvrait l'hospice du Roule, ex-Beaujon, aux malades et aux blessés. Le financier Bergerac avait acquis la Folie-Beaujon en 1787, puis il y avait eu division, et des fêtes publiques se donnaient dans le jardin ; la famille Vanderberghe achetait cependant une portion, de l'ancienne propriété, et le mariage de Rapp avec M. Vanderberghe se célébrait dans la chapelle en 1806. Un fournisseur des armées de la République occupait à la ville un appartement que Mme de Maintenon avait eu à la campagne, en ce n° 166 qui depuis a été l'hôtel de l'amiral Dupetit-Thouars. Le comte de Nogent s'y était pris à temps pour éviter une confiscation, en vendant à M. Loren père, avant d'émigrer, le 186, qui a pour vis-à-vis une autre maison centenaire. M. de Lachesnaye, propriétaire de celle-ci, avait une fille qu'il malmenait, et, pour locataire le marquis de Livry, qui souvent se formalisait de la mauvaise humeur du père. – Tenez-vous pour dit, finit par lui annoncer M. de Livry, que s'il vous arrive encore de brusquer votre fille, je l'épouse… La jeune personne reçut de très bon cœur, le lendemain matin, une correction, dont le bruit vint plus que jamais aux oreilles du locataire elle se laissait faire… marquise !

Hôtel Saint-Priest. – Une grande maison portait au XVIIe siècle l'enseigne de Saint-Denis. Le vicomte de Saint-Priest, en revenant de son ambassade à Constantinople, fut nommé gouverneur des Pages et fit de cette maison un hôtel à porte monumentale, qui depuis s'est encore amplifié ; le tout pourrait être divisé en une demi-douzaine d'hôtels, comme on en bâtit de nos jours. Une pension de demoiselles occupa, pendant quarante ans, un quart de cette propriété et sous-loua un appartement à Mme de Genlis, laquelle y expira pour ainsi dire avec la royauté de Charles. X. Pour habitants encore l'hôtel a eu le marquis de Beaurepaire, le général Margaron, M. de Rivero, ambassadeur du Pérou, et le maréchal Randon ; il y reste aujourd'hui M. le baron, de Seebach, ministre, de Saxe, M. le marquis de Corberon et d'autres locataires. Le propriétaire, M. André Haussmann, a pour neveu M. le préfet de la Seine ; il tient de son père l'immeuble contigu, qui va poser devant nous à son tour. La famille Thiérin vendait, le 27 frimaire an XI, à Nicolas Haussmann, député de Seine-et-Oise à l'Assemblée nationale et à la Convention, le n°168, qu'un de ses fils habite encore. M. Nisard, de l'Académie-Française, y a été locataire, longtemps après Nivelle de la Chaussée, également l'un des quarante. Nivelle, neveu d'un fermier-général, eût pu faire son chemin dans la finance, il préféra la condition d'homme de lettres, qui ne l'érigea qu'homme de talent. C'est passé quarante ans qu'il écrivit pour le théâtre ; son opéra de Zémire et Azor n'en fut pas moins la perle d'un écrin de nombreuses pièces qui, en général, affectionnaient les sujets tristes. Quant aux prédécesseurs du sieur Thiérin, d'après les titres de propriété, en voici la nomenclature :

Le Ménestrel, trésorier des bâtiments du roi, en 1623 ; la femme de Jan de Lannux, valet de chambre de feu la reine, 1687 ; Angot, bourgeois, 1693 ; Viger, marchand, consentant bail à Sudre, ancien ingénieur du roi, 1743 ; Fortier, 1747 ; la femme de Charpentier de Foissel, lieutenant général des Eaux et Forêts, 1775.

M. Haussmann a surélevé et augmenté de beaucoup, en 1853, cette construction ; elle n'avait pas été touchée depuis des réparations opérées pour le compte de Fortier, qui avait pour tenant du côté de Paris le contrôleur de la Pépinière du roi et, vers Neuilly, M. Moreau.

Une pièce, ayant trait à cette restauration du XVIIIe siècle, nous paraît propre à faire connaître la situation administrative du faubourg du Roule à cette époque ; en voici la copie conforme :


 


 

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