Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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RUE GEOFFROI-LANGEVIN
(Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, Charles Lefeuve, 1875)

Notice écrite en 1864.

Une Pruderie de Voltaire. – Étymologie des trois premières Lettres du Mot CUL-DE-SAC. – M. Geoffroi-Langevin. – Les Dames de Sainte-Avoye. – M. de la Varaigne et ses Voisins, vers 1720. – M. Simon-Lefranc. – M. de Mesmes et ses voisins, sous Henri IV. – M. de Maintenon. – L'Abbé de la Bletterie. – Largilliere. – Chanlaire. – Les Trois-Etoiles.

Voltaire, bien qu'il ait souvent dépassé les historiens de Paris eux-mêmes pour le sans-gêne des expressions, Marnait l'emploi du mot cul-de-sac et y substituait le mot impasse, en affichant une fausse pudeur dont le masque, pour nos édiles, tient encore bon il exagérait à plaisir une incongruité dont, à la vérité, on ne s'est effarouché qu'après. Bref ce grand homme ne craignait pas d'écrire que l'objet désigné par le substantif dont il requérait magistralement la condamnation, « ne ressemblait pas plus à un sac qu'à un cul ». Rabelais eût exprimé assurément l'avis contraire, sans reculer devant les mêmes images. D'autres écrivains moins illustres ont confondu avec la rue Geoffroi-Langevin un cul-de-sac y ayant donné au XIIIe siècle, et telle en était la dénomination qu'on aurait évité un pléonasme en l'accolant, par anticipation, au synonyme voltairien, pour dire voici l'impasse Cul-de-Pet. La rue elle-même avait eu pour parrain Geoffroi (dont la famille était de l'Anjou) avant l'année 1273.

Dix années après, Jean Séquence, chevecier de Saint-Merri, achetait rue Sainte-Avoye et rue Geoffroi-Langevin une propriété, avec un oratoire sous l'invocation : de Dieu, de Nostre-Dame et de Madame sainte Avoye cette sainte avait été prieure de Mécré, monastère de l'ordre des prémontrés au diocèse de Cologne, vers la fin du siècle précédent. Les chanoines de Saint-Merri, dont la censive seigneuriale embrassait, dans lesdites rues, des terrains qu'ils avaient détachés de leur domaine, en rachetèrent une autre portion. Au moyen de cette annexion, Jean Séquence établit, en 1293, une communauté de veuves dites les Bonnes femmes de Sainte-Avoye, près la porte du Temple. De leur maison ont fait partie et le n° 4, dont la porte cochère est condamnée rue Geoffroi-Langevin, et le n° 6, qui a changé d'aspect on entre maintenant dans ces deux propriétés par la rue de Rambuteau.

La communauté, au lieu de 40 membres dont elle s'était composée, n'en avait plus que 9 quand Mme Sainte-Beuve, née Luillier, veuve d'un conseiller au parlement, et M. Gui Houssier, curé de Saint-Merri, leur proposèrent d'embrasser la règle de saint Augustin et les constitutions des ursulines : cette dame leur offrait aussi 1, 000 livres de rente. Ayant consenti, le 10 décembre 1621, à la substitution, les religieuses de la rue Sainte-Avoye accueillirent, le mois, suivant, des ursulines de la rue Saint-Jacques, dont elles prirent l'habit.

La combinaison, réussit ce point que, pendant un siècle, des agrandissements successifs témoignèrent d'une prospérité croissante chez les filles de Sainte-Avoye. En cette rue Geoffroi elles acquéraient une maison de M. Feydeau, dans le courant de l'année 1627 ; une autre de la succession Pellerin, en 1631 ; une autre, à l'enseigne du Pied-de-Biche, de M. Richer, notaire, en 1646 ; une autre de M. Poulet, auditeur des comptes, en 1659 ; encore une de M. Rétié de Verdun, avocat, en 1662 ; une autre enfin de M. Joseph de la Varaigne, lieutenant général des eaux et forêts, en1719.

Voulez-vous connaître les dignitaires du couvent à cette date ?

La pension d'éducation était de 500 livres par élève, et les élèves ne manquaient pas. Le curé de Saint-Merri avait gardé les droits fondamentaux de ses prédécesseurs sur la direction de cette maison religieuse, et chaque année, dans l'église paroissiale, les ursulines de Sainte-Avoye faisaient présenter à l'offrande, le jour de la fête du saint, un écu d'or adhérant à un cierge qui pesait une livre.

Ainsi les dépendances du grand couvent de la rue Sainte-Avoye prenaient de la nôtre la moitié d'un côté. M. de la Varaigne vendait à Mlle Marie Eudes, fille majeure, une maison contiguë, et les héritiers de M. Lecat étaient propriétaires sur la même ligne, au coin de la rue Sainte-Avoye, présentement ajoutée à la rue du Temple. L'angle d'en face appartenait à M. Titon de Villegenoux, seigneur de Jansac, inspecteur général des magasins d'armes du roi.

De ce côté-là, mais plus loin, 8 maison occupée par M. Chaufourneau, maître de musique, était laissée, vers la même époque, par M. Nicolas Lescot, docteur en Sorbonne, à ses neveux ; M. de Faverolles en possédait une autre, et Mme Mariage, notre n° 5, dont la façade étroite et haute est encore coiffée d'un toit en forme d'accent circonflexe.

Le 7, à porte gigantesque, fit partie originairement d'une vaste propriété, dont l'entrée principale était rue Simon Lefranc et qui comprenait trois maisons. Elle n'aurait été rien moins, pour commencer, que le château du parrain de cette rue parallèle, d'après une tradition purement orale, qui ne présente rien que de vraisemblable. Nous ne connaissons pourtant avec certitude, des anciens habitants de l'hôtel, que M de Mesures, sous Henri IV ; M. Essaim, valet de chambre du jeune roi, sous la régence de Marie de Médicis, et un ou deux magistrats au XVIIIe siècle. Ledit-M. de Mesmes y succédait sans doute à son père, le surintendant de la reine Louise de Lorraine, qui avait négocié avec les protestants une paix aussi boiteuse que les prières des héros d'Homère il était, lui, le conseiller d'Etat en faveur de qui la terre d'Avaux s'érigea plus tard en comté.

Passons maintenant au 17, pour admirer son diadème de mansardes, puis les balustres qui, comme une fraise montante, y garnissent un escalier. A-t-on gravi ces marches d'un pas léger pour pénétrer chez la belle Gabrielle ? Faut-il encore que nous prêtions l'oreille au bruit qui s'en est répandu tout doucement, comme une caressante indiscrétion ? Dans tous les cas, la première crémaillère n'a pas été pendue en cet hôtel par M. Jean-Paul, seigneur de Maintenon, qui le vendait, de compagnie avec deux maisons contiguës, le 15 octobre 1698, à Ml1e Françoise Solu, épouse non commune en biens de M. François le Juge, écuyer.

Mais qui diable se permettait de taire ainsi son nom patronymique, en se parant encore de celui d'une terre que Louis XIV avait achetée et donnée, nombre d'années auparavant, pour faire oublier les deux noms que portait jusque-là Mme de Maintenon ? Probablement le droit en avait été réservé pour les rejetons et, successeurs de Louis d'Angennes, un des vendeurs. Au milieu du siècle suivant, l'abbé, René de la Bletterie, historien et littérateur, logeait à l'ancien hôtel de Maintenon. Il avait cessé d'enseigner à l'Oratoire la rhétorique et l'histoire ecclésiastique, à cause d'un nouveau règlement sur les perruques qui contrariait ses goûts, ses habitudes ; d'ailleurs, il était professeur d'éloquence au Collège de France et membre de l'académie des Inscriptions et belles lettres.

Au 3, enfin, si ce n'est pas au 7, Nicolas Largillière, le célèbre peintre de portraits, se fit un hôtel à sa guise d'un ci-devant jeu de paume, qui comportait déjà deux petites maisons, avec jardin, avec seconde entrée rue Simon-Lefranc, et qu'il avait acquis, en 1713, de M. Charles Benoit, conseiller honoraire au parlement. Largillière y forma un cabinet de peinture qu'on ne visitait pas le dernier si l'on passait en revue les curiosités de Paris. Il mourut à l'âge de 90 ans, dans cette maison, qu'il laissait à son fils, conseiller au Châtelet. Sous l'Empire, y demeurait le géographe Chanlaire, auteur et éditeur de l'Atlas national.

Sur la ligne opposée, l'auberge des Trois-Etoiles offrait le gîte et la table au milieu de l'autre siècle.



 

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