|
|
|
||||||||||||
QUAI DE L A
RAPÉE
XIIe arrondissement de Paris (Histoire de Paris
rue par rue, maison par maison, Charles Lefeuve, 1875)
Notice écrite en 1864. Commençant : quai de Bercy, 240. Finissant : boulevard de la Bastille, 2. Historique : la partie A a été élargie à 31 et 44 m de 1962 à 1967, puis en 1994 par emprise sur le port de la Rapée, pour permettre la construction de la voie Georges Pompidou et du pont Charles De Gaulle. Origine du nom : ancien fief de la Rapée. Les Martiniens. – La Grange-aux-Merciers. – Le fief de la Râpée. – La Terre du même Nom. – Les Luxembourg-Brienne. – MM. de Berci. – La Vigne de Chaulnes. – Le Duc de Gesvres. – L'Étang de Berci. – Pajot d'Ons-en-Bray. – Le Contrôleur de la Maison du Régent. – Orry. Mme de Parabère et ses Voisins. – Les Frères Pétris. – Le Port. – La Barrière. – La Chapelle Saint-Bonnet. – La Ruelle aux Mousquetaires. – M. de la Râpée. – Le Procureur de la Cour. – Les Marronniers. – Les Joutes. – Les Matelotes. Dès l'année 1098, le prieuré de Saint-Martin-des-Champs exerçait des droits seigneuriaux à Confians, dont la cure demeura à la nomination du prieur. Berci et la Râpée faisaient partie de la paroisse de Confins, en même temps que du fief de la Grange-aux-Merciers, déjà connu sous ledit nom en 1172. Lechef-lieu de cette seigneurie était d'abord une maison de campagne, ou pour le moins un grenier d'abondance, à l'usage des merciers de Paris, dont la communauté se fonda, qui plus est, dans la circonscription censuelle et sur la paroisse de Saint-Martin-des-Champs, rue Quincampoix. Dès l'an 1119, les mêmes martiniens étaient propriétaires d'une place aux Halles, dites à l'origine marché des Petits-Champs, ou des Champeaux, et l'on y débitait de la piquette appelée vin de râpure ou râpé ; sur cette place, Adelende Genta fit construire une maison, avec un four, pour lequel elle obtint du roi, en l'an 1137, non seulement des immunités, mais encore le privilège d'une exploitation aux Halles. Ayant été acquis, depuis lors, par Adam, évêque de Thérouanne, ancien archidiacre de Paris, maison et four lui rapportaient 13 livres. Un fief de Thérouanne était voisin, du côté de Saint-Eustache ; il appartenait à l'évêché de Thérouanne, avant de rentrer dans le domaine du roi. Adam fit donation du four et de la maison de Genta aux religieux de Saint-Martin en 1223, et, à six ans de là, cet évêque entrait simple moine à Clairsaux. Comme ladite propriété a été fief, donnant aux seigneurs religieux des droits de mesurage, d'étalonnage, de justice, et principalement connue sous la désignation de la Râpée, nous ne découvrons pas en pure perte que plus d'un rapport la relie au fief de la Grange-aux-Merciers ou de Berci, duquel s'est détachée une terre de la Râpée. La Grange-aux-Merciers a plus d'un titre à la célébrité, comme théâtre de grandes assemblées sous Charles VI ; puis sous Louis XI, et pour avoir appartenu à Pierre de Giac, chancelier de France, puis à Jean de France, duc de Berri. Rappelons aussi que, lors de l'avènement de François Ier, Antoine de Luxembourg, comte de Brienne, et sa femme, née de Coëtivy, laquelle avait eu pour mari en premières noces Jacques d'Estouteville, chambellan du roi, se virent tous les deux condamner, étant propriétaires de la terre de Berci ou Grange-aux-Merciers, à payer 4 livres 14 sols aux religieux de Saint-Martin, seigneurs haut justiciers de la Grange-aux-Merciers terres et prés, etc. Quarante années plus tard, des commissaires ayant été chargés de remplacer par des constructions plus régulières toutes celles qui déparaient le groupe des grands marchés, si bien embelli d'un côté par la fontaine des Innocents, on rebâtissait de fond en comble notre hôtel de la Râpée, au coin du marché aux Poirées et de la rue de la Cordonnerie bâtiment assez agrandi par sa transformation pour qu'on le divisât ultérieurement en quatre. Le principal de ces corps de logis, qui se trouvait la boutique d'un cordonnier, avait encore une Râpe pour enseigne. L'image de Saint-Martin ne domina qu'en 1554 ; elle décorait une autre face de l'hôtel de la Râpée, dit également du Four-de-Saint-Martin, dont les maltiniens tiraient 3, 000 livres de revenu sous Louis XIV. Seulement Berci a reconnu d'autres seigneurs que ces moines. A l'époque même où, sur un différend entre les religieux de Saint-Martin-des-Champs et Antoine de Luxembourg, une sentence avait prononcé, à cette époque déjà la terre de Berci n'appartenait-elle pas à plus d'un propriétaire ? Elle n'était pas entrée tout entière, sous Louis XII, dans la famille Malon, originaire du Vendômois, par le mariage d'Anne Robert, fille d'un greffier criminel au parlement, avec Jacques Malon. Nicolas, fils de Jacques, en hérita et succéda aussi à son beau-père, comme greffier. Puis une génération de Malon se composa de Claude, qui épousa une Séguier ; de Bernard, secrétaire de Catherine de Médicis, et de Charles, président au grand-conseil, comme son fils le fut ensuite. Anne-Louis-Jules, que la reine Anne d'Autriche et Louis XIV, représenté par Mazarin, avaient tenu sur les fonts baptismaux, était maître des requêtes et fondé à se qualifier seigneur de Berci, de Conflans, de Pont-de-Charonton, des Carrières et de la Grange-aux-Merciers ; il ne se faisait appeler M. de Berci tout court qu'en petite tenue. Son arrière-petit-fils alla plus loin, en prenant le titre de marquis ; aussi bien de conseiller au parlement il passa capitaine de cavalerie au Royal-Cravate. A cette famille, du reste, appartenait exclusivement le château de Berci, dessiné par Mansard, qui fut acheté ensuite par les Nicolaï, et qu'on a démoli depuis un petit nombre d'années, pour y faire passer un chemin de fer. Cependant, que devenait la portion de la même terre acquise à MM. de Luxembourg ? Antoine, dans cette famille, avait été la tige des branches de Brienne et de Pinéi la première s'éteignit en 1608 et la seconde passa, en 1620, dans la maison d'Albert de Luynes. De plus, Marguerite de Luxembourg, fille dû duc de Pinéi, s'était mariée dans la maison de Gesvres Par conséquent, si le hasard tout seul a remis un d'Albert et un de Gesvres, à Berci, quelque peu en possession de ce qui avait appartenu à Luxembourg, comte de Brienne, est-ce que le hasard n'a pas assez bien fait les choses ? Charles d'Albert, duc de Chaulnes, filleul de Charles Ier, roi d'Angleterre, et de Henriette de France, qui fut trois fois ambassadeur à Rome, pour assister aux élections de Clément IX, de Clément X et d'Alexandre VIII, avait à la Râpée de Berci la Vigne de Chaulnes. Plus près de Paris et moins loin de Berci, une maison de campagne à Potier, duc de Gesvres, gouverneur de Paris, se remarquait vers la fin du grand règne. Entre ces deux propriétés s'étalait l'étang de Berci, dont l'eau presque dormante descendait de Montreuil pour s'écouler, comme à regret, dans la Seine. C'était une pièce d'eau toute faite pour l'agrément d'un jardin dessiné dans la vigne de Chaulnes par Lenôtre. Un buffet d'eau et des bassins y furent établis par un carme, Sébastien Truchet, mécanicien très distingué, membre de l'académie des Sciences. Louis-Léon Pajot d'Ons-en-Bray, intendant général de la poste aux lettres, qui ne succédait pas directement au duc de Chaulnes réunit là des oiseaux aquatiques. Une ménagerie, une orangerie, un laboratoire de chimie et un cabinet de curiosités donnaient alors de l'importance à cet hôtel de campagne ; le bâtiment en était placé du côté de la rue de Berci, c'est-à-dire au fond du jardin, et il était simple, mais plus grand que les pavillons du même genre qui se suivaient, les uns près de la rue, les autres près du quai de la Râpée, appelé chemin le long de la Rivière. Au nombre de ceux-ci figurait la maison de plaisance de M. de Gesvres, acquise en l'année 1717, ou peu s'en faut, par un M. de la Croix, que tout nous porte à croire Pierre de la Croix, contrôleur de la maison du régent ; une rivière anglaise était formée dans le jardin de cette villa par l'écoulement du trop-plein de l'étang, et un ponceau voisin livrait passage, sous le chemin, à ce cours d'eau, qui, sans fracas, se perdait dans la Seine. M. Pajot, qui laissait au roi, par testament, les curiosités de toute sorte qu'il avait rassemblées, cessa de vivre en 1754. Les deux maisons que nous venons de citer paraissaient les aînées de quatre autres, qui embrassèrent également l'étang. L'une touchant à l'ancienne vigne de Chaulnes, appartenait à Mme Le Vayer ; une ensuite, à M. de la Vieuville, ayant Mme de Maulevrier pour locataire ; celle d'après, à M. de la Croix, déjà pourvu de l'ancienne maison de Gesvres, et la propriété qui séparait, l'une de l'autre les deux siennes était à M. Orry. Ne sait-on pas que Philibert Orry, ce financier si malmené dans les Mémoires de Sain-Simon, est devenu contrôleur général ? Son frère, Orry de Fulvy, a été conseiller d'État, intendant des finances. Celui des deux Orry qui a acquis ladite maison de plaisance en cède la jouissance, peu de temps après, Mme de Parabère, née Coatker de la Vieuville, maîtresse en titre du régent. Elle a pousé, en 1711, César-Alexandre de Beaudéan, comte de Parabère ; mais celui-ci n'a pas tardé, comme nous le dit Saint-Simon, à comprendre que rien de bon ne le retenait en ce bas monde. Mme de Parabère, est veuve : tant mieux, en vérité, pour son mari ! Car elle s'est dit : Tout est permis, pourvu que la raison conserve son empire ! Le duc d'Orléans lui a donné tout récemment un château à Asnières ; elle demeure néanmoins, aux antipodes d'Asnières, locataire de cet autre château en miniature, où une galerie, une orangerie et des écuries rendent le jardin encore plus exigu. Comme Mme de Parabère et sa cour y seraient à l'étroit, si M. de la Croix, dont le régent fait la fortune, n'ouvrait pas à droite et à gauche deux portes de communication, qui triplent la villa de la favorite ! A cette époque, le duc de Rohan a sa petite-maison sur la même ligne, mais plus éloignée de Paris que l'hôtel de campagne Pajot. Une ou deux autres villas au notaire Lechanteur sont les dernières à distinguer au-delà. L'ancienne terre des Luxembourg ne va pas plus loin dans ce sens. Tout près est la Grange-aux-Merciers, ancien chef-lieu de justice féodale, au bout et en face de la vue de Berci. A Berci même, les Malon ont vendu quelques-uns des jardins de leur château aux quatre frères Pâris, qui ont fait élever à la faveur de cette acquisition, sur le plan de Dulin, un si beau pavillon que parfois on le décore également du titre de château. Ces frères Pâris, enrichis par la fourniture des vivres aux armées d'Italie et de Flandre, présentent au régent un mémoire contre le système de Law, qui d'abord les fait exiler en Dauphiné ; mais, alors qu'arrive la débâcle, il sont rappelés et chargés d'une opération qui consiste à soumettre au visa tous les papiers du Système pour en écarter la valeur fictive des dettes réelles dont l'État est garant. Ainsi rivalise la fortune des Pâris avec celle de Law, et c'est le crédit surtout de l'Égérie de la Râpée, Mme de Parabère, qui fait pencher tour à tour la balance de l'un et de l'autre côté. La rue de Berci se qualifie en ce temps-là de la Râpée, depuis la rue Contrescarpe jusqu'au clos de Rambour, qui doit sa dénomination soit à un sire de Rambures ou Rambour, près d'Abbeville, soit aux grosses pommes de rambour, dont la réputation s'est faite dans cette localité picarde. Le port de la Râpée commence nominativement à la hauteur de la rue Traversière, point où l'on cesse de l'appeler port au Plâtre. Il s'y décharge une quantité de pierres de taille et de moellons, venant de Charonne et de Montreuil, qu'on transporte plus loin, par eau, à la remonte ou à la descente ; ça et là, des piles de bois de charpente et à brûler, fraîchement débarqué, séparent aussi la Seine du chemin. Mais le chantier ne domine qu'en deçà du clos de Rambour ; au-delà, c'est la petite-maison. Différence qu'expliquerait la situation de la barrière urbaine, dite de Saint-Bonnet, qui touche au clos, rue de Berci. Mais, du côté de la rivière, Paris est limité plus bas voyez plutôt la patache des douaniers, ancrée au-dessous du port au Plâtre ! La chapelle Saint-Bonnet a été, établie sur le port de la Râpée par Jean Bonnet, avec une succursale de l'hôpital du Nom-de-Jésus. Cet établissement de bienfaisance, que saint Vincent-de-Paul avait fondé au faubourg Saint-Laurent pour 30 vieillards des deux sexes, incapables de gagner leur vie, était desservi par des sœurs de la Charité, sous la direction des prêtres de la Mission-de-Saint-Lazare. Jean Bonnet avait été élu, le 10 mai 1711, général de cette congrégation lazariste ; nous le regardons comme originaire de Clermont, où saint Bonnet avait été évêque. Le jardin de la succursale hospitalière succédait partiellement au clos de Rambour ; elle n'occupait pas que la maison, convertie sous la République en filature, qui porte maintenant sur le quai le n° 58. La ruelle anonyme qui débouche près du 56 fut la ruelle aux Mousquetaires ; on pouvait déjà s'y couper la gorge, entre soldats de cette arme, avant l'édification du n° 52. Le chef-lieu seigneurial de la Râpée fut néanmoins représenté par ledit 52. C'est vraisemblablement au milieu du XVIe siècle que les martiniens étendirent à une maison des champs la dénomination du petit fief en ville dont le siège était bouleversé par la transformation des Halles. L'aliénation de ce bien de campagne n'en sépara pas tout à fait les honneurs de la seigneurie, à une époque où Bassompierre connaissait maintes seigneuries par-dessus lesquelles un lièvre n'avait pas de peine à sauter tous les jours. Un commissaire général des guerres fit reconstruire la maison de la Râpée, qui fut, de plus, à son profit, une savonnette à vilain. Les parvenus aimaient à changer de nom, fussent-ils mêmes gentilshommes de nouvelle impression. Il y eut donc un M. de la Râpée, mais beaucoup moins longtemps qu'un M. de Berci. Plus tard, Mme de Parabère avait pour seigneur honoraire, à la Râpée, M. Hébert, procureur de la cour, qui ne gardait des droits du seigneur que les honneurs à la chapelle ; mais un seul mur le séparait d'une des deux maisons de M. de la Croix ; officier chez le duc d'Orléans et voisin de Mme de Parabère. Sous les fenêtres de M. Hébert stationnait le bac, dans lequel on passait la Seine. Son jardin se ressentait aussi des agréments que distribuait aux propriétés riveraines l'étang de Berci, ultérieurement réduit à l'état de rue de Montreuil, puis encaissé dans l'égout de la Râpée. Des marronniers, devant la porte, avaient sans doute été plantés par les religieux de Saint-Martin-des-Champs. Aussi la maison de la Râpée devint-elle postérieurement la guinguette des Grands-Marronniers, où l'on buvait surtout et l'on dansait. Raynal y donnait, à l'occasion, autre chose à boire que du râpé ; il servait déjà des matelotes et des fritures qui rivalisaient avec celles des traiteurs du Port-à-l'Anglais. Pas si sot que d'arborer encore l'enseigne de la Râpe, surtout si cette image représentait une grappe de raisin sans ses grains. L'ancien fief devait très probablement son nom au vin de la seconde pressée qui se buvait aux portes de la ville avant même que celle-ci englobât les Champeaux ; mais on appelait aussi Râpée au Moyen Âge une sorte de jeu de quilles, ou d'emplacement pour y jouer, connu dans les guinguettes. Quant à la Râpée de Berci, avant son incorporation dans la grande ville, elle servait, avec Berci, d'entrepôt aux vins de Bourgogne : jus de la treille on ne peut moins râpé, lorsqu'il justifiait sa bonne réputation ! Les mariniers du port n'en étaient que plus nombreux. Ils avaient obtenu la permission de donner des joutes, auxquelles la pantomime et la musique militaire fournissaient des intermèdes et qui se terminaient le plus souvent par un feu d'artifice. Pour assister à ce spectacle, le public prenait place dans une enceinte réservée ; mais les propriétaires riverains, plus nombreux que précédemment, se trouvaient aux premières loges. Les piétons qui, pour aller à la Râpée ou en revenir, suivaient le bord de l'eau, payaient 3 deniers de péage sur un petit pont qui dominait l'égout des fossés de l'Arsenal. Les gros traitements des fonctionnaires et dignitaires de l'Empire amenèrent assez rapidement l'enchérissement des matelotes, à l'ombre des grands marronniers on en servait au prix de 36 à 300 francs jusque dans un bateau, sous une tente, en face de la maison derrière laquelle, par bonheur, on dansait à bien meilleur compte les dimanches et jours de fête. Ce restaurant ne tarda pas toutefois à se transférer à Berci. Plusieurs autres des maisons dont nous avons parlé n'ont pas entièrement disparu. Mais faut-il allonger encore l'histoire du quai de la Râpée ? Elle tenait avant nous en trois lignes.
|
|
|||||||||||||
:: HAUT DE PAGE :: ACCUEIL |
|