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BOULEVARD POISSONNIÈRE
IIe, IXe arrondissements de Paris (Histoire de Paris
rue par rue, maison par maison, Charles Lefeuve, 1875)
Notice écrite en 1860. Commençant : rue Poissonnière, 35 et rue du Faubourg Poissonnière, 3. Finissant : rue Montmartre, 178 et rue du Faubourg Montmartre, 2. Origine du nom : voisinage de la rue Poissonnière. Le Bonnetier. – Cheuvreux-Aubertot. – Mme de Vandré. – M. Silhouette. – M. de Cramayel. – Honoré. – M. de Boulainvilliers. – Mlle Cavaignac. – M. Balleroy. – L'Abbé de Saint-Phar. – M. Montholon. – D'Ailly. – M. Augeard. – MM. Besson et Odier. – Le Cul des perdu et retrouvé. – Le 2 Décembre 1852. Sur le boulevard Poissonnière, au coin de la rue du même nom, la boutique d'un bonnetier porte cette inscription : Anciennes limites de la Ville de Paris, an 1726. M. Girault de Saint-Fargeau, en son Dictionnaire des Communes, enchérit sur ce document : Là, dit-il, dans les murs de la maison, à la hauteur du premier étage, était encastrée une pierre monumentale. Cette pierre était gravée et des armes de France et d'un édit de Louis XV, qui défendait de bâtir plus loin et d'étendre la ville au-delà. La ville s'est gardée d'exécuter l'édit et a bien fait ; mais il n'aurait pas fallu enlever la pierre, qui a été détruite vers 1739. Les Dezègre, marbriers, qui spéculaient en grand sur les terrains de Paris, ont créé l'immeuble dont s'agit. Une autre enseigne figure sur la porte d'un grand magasin de nouveautés que présente le n° 7, mais qui s'étend aussi jusqu'à la rue : Cheuvreux-Aubertot, maison fondée en 1786. La noblesse commerciale vient à son tour, et pourquoi pas ? ce n'est pas un tour de faveur elle a encore plus de crédit qu'une autre ; elle se rattache au nom d'un fondateur, qui la transmet avec le fonds. La maison de commerce du boulevard Poissonnière s'essaya d'abord à Pantin sa première étape dans la ville ne l'amena qu'au faubourg Saint-Martin ; mais il y avait des liens étroits de parenté entre les chefs de ce comptoir et ceux d'un établissement du même genre dans la rue des Moineaux. Les dames qui vont acheter des robes auraient encore le temps à perdre de les marchander, une par une, si les maisons Cheuvreux-Aubertot et Bourruet-Aubertot n'avaient pas inventé le prix fixe à cette époque : jusque-là on débattait le prix, de part et d'autre, pour un fichu comme pour un cachemire, et, du moment qu'il y avait emplette à faire, il fallait un peu moins, d'argent à qui avait la langue mieux pendue que le marchand de nouveautés. A l'année 1822, se rapporte, en réalité, le déballage au grand boulevard du magasin du faubourg, Saint-Martin. A cette hauteur, sur le Cours, un pavillon se rengorgeait dans la verdure d'un jardin en terrasse lorsque Terrat, chancelier du régent, y était reçu par sa maîtresse, Mme de Vandré. Silhouette, trésorier des tailles de Limoges, avait eu le même cottage pour petite-maison. N'est-ce pas comme homme d'affaires de la maison de Noailles que ce comptable des deniers de l'impôt avait contracté les habitudes de gestion qui le firent condamner à une restitution de 110, 000 livres le 7 novembre 1716 ? Son fils n'en est pas moins devenu chancelier du duc d'Orléans à son tour, puis contrôleur général des finances, du 4 mars 1769 au 24 novembre de la même année il avait épousé la fille d'Astruc, riche médecin de Paris. Le terrain embrassé par les rues du Sentier et Saint-Fiacre, en bordure du Cours, avait été adjugé le 6 avril 1686 à Nicolas de l'Épine, architecte des bâtiments du roi. La duchesse douairière de Richelieu et de Fronsac, née Thérèse de Rouillé, en était propriétaire quarante-deux ans plus tard, et le fermier général Fontaine de Cramayel en 1767. Sous Louis XVI, l'envoyé de Prusse avait sa résidence sur l'autre allée du boulevard, et le n° 6 en dépendait. Une fabrique de porcelaine bien connue y perpétue depuis ses magasins, et M. Honoré, lauréat de la Société des gens de lettres, y succède à son père comme manufacturier : M. Honoré fils remplit aussi les fonctions de secrétaire de la Société amicale des anciens élèves du lycée Bonaparte, collège Bourbon. L'hôtel de l'envoyé de Prusse était suivi, sur notre boulevard, d'un magnifique jardin, laissant voir la maison de la rue Bergère dont il était le luxe principal. Boulainvilliers, nommé prévôt de Paris en 1766, avait là un hôtel de campagne à la ville, remplacé aujourd'hui par la rue Rougemont et des immeubles également modernes. Puis venaient des maisons qui se retrouvent en notre temps, et d'abord une à Mme Cavaignac. Henri IV avait anobli un Bertrand Cavaignac pour ses loyaux services ; nous croyons que le nom de la même famille, rendu odieux plus tard par le conventionnel, mais restitué au jour honorable de l'histoire par le général Cavaignac, chef du pouvoir exécutif dans des circonstances difficiles, et par un autre général, qui survit, était porté au boulevard Poissonnière par la mère du conventionnel. Néanmoins ce dernier, qui était né en 1762, avait très bien pu épouser, antérieurement à la Révolution, la fille de M. Garancez, un ami de Jean-Jacques Rousseau : cette dame Cavaignac, tricoteuse d'une main en 1793, égrenait pourtant en dévote son chapelet de l'autre main, et sa double conviction n'a pas été sans influence posthume, en 1848, sur la politique à deux fins de son fils, le dictateur. Balleroy disposait, d'une maison voisine peut-être le n°24 qui a appartenu postérieurement à Honoré père, peut-être le n° 26, où fort longtemps le café Arrondelle, que fréquentaient les courtiers de l'usure et des effets de commerce au grand rabais, a précédé le restaurant Désiré. Une propriété contiguë, qui commençait par un étroit jardin formant terrasse, allait jusqu'à la rue du Faubourg-Montmartre : elle était à l'abbé de Saint-Phar, ainsi que le rappelle un hôtel garni, dit Saint-Phar, exploité dans le même immeuble. Moins constant, le boulevard Montmartre, nommé aussi Saint-Fiacre en ce temps-là, est celui qu'on appelle maintenant Poissonnière. En traversant de nouveau la chaussée, nous saluons d'abord deux constructions modestes, comme les ayant déjà vues sur le plan de la ville en 1739, où elles faisaient pendant aux maisons du coin de la rue Poissonnière, à une distance presque entièrement remplie par des murs. L'hôtel Montholon, moins ancien, est du dessin de Soufflot le Romain, élève et neveu de l'architecte du Panthéon ; mais on y voyait sous l'Empire, à la place du magistrat Montholon, propriétaire du clos Cadet, le marquis Lelièvre de Lagrange, et le dépôt y existait déjà de la manufacture de tapis d'Aubusson. Comment oublier, au surplus, les beaux bals, que nous a donnés plus récemment à l'étage supérieur, M. le bâtonnier de l'ordre des avocats, présentement procureur général (M. Chaix-d'Est-Ange.) ? M. de Lagrange n'avait pas attendu l'Empire pour acheter cet immeuble à réméré ; un peu avant la République, il en était déjà le détenteur, et six autres propriétaires, qui se suivaient entre la rue Saint-Fiacre et ledit hôtel, avaient noms M. Chaussard, M. Talara, M. Davillier-Odier, Mme Baguenault, Mme Cousin, Mme Adanson. Plus près de la rue Montmartre résidait l'ambassadeur de Naples au même temps ; mais nous ne savons pas si c'était chez Guichard qui avait la pénultième maison sur le boulevard et une autre à deux pas, mais rue Montmartre. M. Besson, ancien président du conseil municipal et ancien pair de France, occupe le n° 19, édifié en 1787 pour son beau-père, M. Cousin de Méricourt, caissier général des États de Bourgogne ; sur une place qui s'était détachée du territoire de l'hôtel d'Uzès de la rue Montmartre. L'architecte Célerié y avait pris un appartement, après avoir fourni le plan de la maison à Henri Trou, maître maçon ; celui-ci faisant mieux, avait profité de l'occasion, et des rognures de matériaux sans doute, pour élever à son propre compte le 21. L'autre tenant de Cousin de Méricourt s'appelait d'Ailly ; sa propriété garde par-devant une belle terrasse et par-derrière l'ancien cul-de-sac Saint-Fiacre, qui fait le mort sur la carte de Paris, mais qui s'est tout bonnement cloîtré. Cette impasse donnant rue Saint-Fiacre, après avoir touché aussi le jardin de l'hôtel d'Uzès, existe encore, moins passante que jamais ; les locataires de trois maisons du boulevard l'ont pour seconde issue, propriété particulière l'usage a cessé d'en être public. La fille de Derbais, marbrier du roi et allié aux Dezègre, vendit à Chaussard, architecte, un terrain adjacent et partant de la rue Saint-Fiacre, sur lequel Augeard, fermier général, conseiller au conseil du duc d'Orléans, avait déjà sa résidence au moment de la mort de Louis XV. Plus tard, ce financier ayant émigré, son hôtel passa en diverses mains, et M. Odier père, négociant et banquier, s'en rendit acquéreur vers la fin de l'Empire : la veuve du général Cavaignac est la petite-fille de M. Odier. Les pierres de ces belles façades, que le temps ne rend pas plus tendres, tant s'en faut, ont résisté à une rude épreuve le 2 décembre 1851 : de tels jours, ne sont-ils pas pleins d'événements confus à expliquer ? Des clameurs menaçantes, que profèrent seulement des passants, qu'écoutent des curieux en foule, mais qu'on croit parties également des fenêtres et des balcons, provoquent par-là les premiers coups de fusil, auxquels paraissent répondre d'autres balles, mais qui sont presque toutes celles des soldats, renvoyées par les murs avec des éclats de pierre. De là une horrible mêlée, et jusqu'à des canons braqués à portée de pistolet sur les maisons qu'habitent M. Besson et M. Decaen, maire de l'arrondissement. Les boulets et les balles vont vite en besogne : le boulevard Poissonnière est bientôt évacué. Par malheur le sang a coulé. Qui sont les blessés et les morts ? des soldats en très petit nombre, et, pour la plupart, des curieux. Le libraire Adde a été tué en un clin-d'œil sous les yeux de sa femme et de sa fille, devant sa boutique ; des cadavres d'hommes et de femmes sont couchés devant le magasin du Prophète, en attendant que quelqu'un les reconnaisse : Scène assurément déplorable ! Où trouver cependant une révolution qui ait fait répandre moins de sang et moins de larmes que la journée du 2 décembre ?
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