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RUE DU MAIL
IIe arrondissement de Paris (Histoire de Paris
rue par rue, maison par maison, Charles Lefeuve, 1875)
Notice écrite en 1860. Commençant : place des Petits Pères, 9 et rue Vide-gousset. Finissant : rues du Louvre, 37 et Montmartre, 83. Origine du nom : construite de 1633 à 1636, sur l'emplacement d'un mail établi le long des fossés de la ville. Voici le tableau des propriétaires de la rue, au milieu du règne de Louis XVI : Lebrun, en alignant ce distique, avait en vue Mme Fanny de Beauharnais, parente par alliance du premier mari de l'impératrice Joséphine ; elle publia des Poésies, et son fils Claude fut pair de France dans les premières années de la Restauration. Mme Fanny de Beauharnais, qui a reçu rue du Mail, près les Petits-Pères, Dorat, Cubières et d'autres beaux esprits, très probablement habita l'hôtel des Villarceaux, famille ministérielle, dont les mascarons datent évidemment du même siècle que la rue. La même résidence avait dû être celle de la maréchale d'Estrées. Quant à la rue, elle s'était ouverte en 1634, à la place d'un mail qui longeait les remparts de la ville à partir de la porte Montmartre : on appelait mail un jeu, qui commençait dès lors à ne plus être du goût des Parisiens, et le lieu même où il se jouait. La marquise d'Assi, qui était-elle ? Une famille du Berri, portant ce nom, a fait ses preuves de noblesse, puisque Mlle Anne-Rose d'Assi a été reçue à Saint-Cyr le 24 décembre 1695. Mais il y a eu plus récemment un Gouy, marquis d'Arcy, maréchal de camp, et les titres auxquels nous recourons ont souvent une façon d'écrire les noms propres qui laisse des incertitudes. Sur le Terrier de l'archevêché de Paris, d'où relevaient presque toutes les maisons de la rue du Mail, nous avons lu ceci : marquise Dassie. La propriété dont il s’agit avait été, dans le principe, au ministre Colbert ; M. Aguado l'a occupée en notre siècle. Elle en forme deux aujourd'hui n° 3, n° 5. Cette dernière, dont un mascaron énorme décore la porte, fut aussi, le bureau du journal le Temps sous le règne de Louis-Philippe. Mais ce n'est pas pour si peu que Colbert a fait bâtir en cette rue, quoiqu'il ait spéculé plus grandement rue Vivienne. Pour le compte également de ce ministre paraissent avoir été construites, vers 1666, sous la haute-main d'un architecte du roi, deux maisons à la suite, qui maintenant en sont trois. L'une d'elles devait à son illustre fondateur une couleuvre, emblème rappelant celles qu'on avale à la cour ; nous avons pu nous en convaincre avant qu'elle changeât de façade. Les pères de la Doctrine-Chrétienne, établis montagne Sainte-Geneviève, avaient pour locataire ou pour prédécesseur, n° 13, un trésorier de France et maintenaient un parc à cochons sur l'aile droite de la propriété. Érard, le facteur de pianos et de harpes, se défit de ce voisinage peu harmonieux et de mauvaise odeur, pour monter de beaux concerts dans une salle qui porte encore sort nom, au même endroit. Olympe de Gouges, femme Aubry, avait habité la maison. Cette grande et belle personne, que ses amants ne furent pas seuls à connaître, composait des pièces de théâtre ; elle était déjà d'un âge mûr quand la Révolution la mit au premier rang des tricoteuses, et puis, l'idée lui étant venue de s'attaquer au système de la l'erreur, ce revirement lui coûta la vie. En 1791, le club des Étrangers s'installa n° 19 ; c'était une sorte d'Athénée, que le théâtre du Vaudeville venait de remplacer dans la rue de Chartres, près la place du Palais-Royal. Des coquilles sculptées s’enfilent, formant collier, entre un premier et un second étage, au 21 et au 23. L'un et l'autre furent la résidence du comte de Villars, peut-être même du maréchal, son frère, et passèrent ensuite à Mme Roger, , transformés en hôtel garni, avec un établissement de bains : il y avait dès le milieu du XVIIIe siècle plusieurs hôtelleries rue du Mail. Le 27 a reçu aussi des voyageurs, en qualité d'hôtel de Mars, que M. Labèdoyère tenait il n'y a pas longtemps ; cette dame étant la veuve du colonel Labédoyère, la mémoire de la fin tragique de son mari lui a valu, sous le second empire, le paiement d'une dette de premier, posthume il est vrai, mais sacrée, dont la liquidation a dispensé sa vieillesse de rester au service du public. La même propriété avait été, en l'autre siècle, l'hôtel Deschiens ; du chef d'un financier, M. Lacour-Deschiens : mauvais nom, bonne signature ! M. Desehiens avait là trois maisons pour une, et la précédente appartenait, de son temps, à M. de Luzy, les deux d'avant à M. du Belloy, et les deux premières de la ligne, près les Petits-Pères, à M. Legrain, à M. de Villegenoust. Les Quatre mer pareillement étaient en plein dans la finance ; seulement leur hôtel marquait rue du Bouloi : plus souvent qu'ils auraient habité les maisons à petites portes qui répondent, dans notre rue, aux chiffres impairs les plus hauts ! Que nous rouvrons notre atlas de la ville de Paris en 1739, des boutiques y sont déjà visibles dans la rue dont nous parlons, du côté de celle Montmartre ; le commerce y paraît épier, pour s'installer moins à l'étroit, le moment où les belles façades de cette rue permettront à des écriteaux de grimper et de s'accrocher, comme le lierre, aux reliefs de l'architecture. Une certaine quantité de ces ornements sont justement dus aux ciseaux de Vassé père et fils, propriétaires dans la rue. Mme Récamier, quand son premier salon règne en regard ou près de la maison Erard, n'est dans l'éclat que de sa beauté ; la Célimène du Directoire ne recevra les hommages de l'Opposition dans un plus vaste hôtel, à la Chaussée-d'Antin, que sous le Consulat. La coquetterie de l'esprit et du coeur, dont cette femme célèbre garde les bienséances, n'a déjà rien de comparable aux faveurs qu'a distribuées à titre gracieux Olympe de Gouges, si près de là. Mais les extrêmes se touchent à ce point que, sans sortir de la même rue, un tout autre type féminin s'est produit, qui sera de reproduction beaucoup moins rare, celui d'une beauté que la vénalité rendait facile, trente ans auparavant, n°16. Cette locataire de M. Trudaine, si nous la prenons à partie, se montre de son époque par le peu de respect et de ménagement qu'elle a pour l'aristocratie. La Dlle Testart, en un mot, aime l'égalité à sa manière, bien qu'elle ne soit pas fâchée d'avoir tâté de la noblesse d'une façon qui la met en vue. Moins de gens lèveraient la tête, en passant sous les fenêtres de Mlle Testart, si elle n'était pas en pied la maîtresse du duc de Duras. Et pour qui trompe-t-elle ce duc et pair, ce maréchal de France ? pour maître Clos, un procureur, dont l'état est des moins galants, mais qui, par un raffinement d'habileté et d'habitude, fait mentir jusqu'à son état : Clos ne craint pas de la mener aux secondes, en pleine Comédie-Française, à la barbe de tous les ducs, et M. de Duras, en apercevant le couple, peste de tant d'audace Il vient même un temps où la belle n'est plus quittée d'une semelle par ce procureur amoureux, qui ne se gênerait pas moins s'il était prince du sang. Tous les clercs du Palais en font des gorges chaudes ; tous les habitants du quartier s'étonnent que la chicane gagne de pareilles causes, sans appel immédiat de la partie adverse. Si le coureur du duc frappe à la porte, c'est le rival qui vient ouvrir, qui apprend l'heure de la visite du maître, et il se sauve dare-dare avec la maîtresse infidèle, qu'il enferme dans son étude avant l'arrivée du carrosse. Berthaut, architecte du Palais-Royal, a édifié le 12, qui appartient encore à sa famille, et où Talma a séjourné. On ajoute que, dans sa jeunesse, Napoléon y demeurait, en même temps que le grand tragédien ; nous sommes loin d'y contredire, si la maison en ce temps-là se reliait à l'hôtel qui la touche, par-derrière et où le futur empereur a eu sa chambre, comme le narre notre chronique de la rue des Fossés-Montmartre (aujourd’hui rue d'Aboukir). Les mansardes du 10, superbe construction, le font remonter à l'époque de l'ouverture de la voie ; le 8 et le 6, qui plus est, où des glaces fort bien sculptées décorent le vaste salon d'une table d’hôte à bon marché, ont à coup sûr fait corps avec le 10. On affirme, par ouï-dire, que Mme de Pompadour a reposé sous cet immense toit ; on parle même de Ninon. Nous n'y voyons Aucun inconvénient, tout en tirant de meilleure source que ce fut entre temps un. hôtel Bouillon, où résidait en 1690 Jeanne de Saveuse, veuve du comte de la Mark, maréchal-de-camp, colonel du régiment de Picardie. Le chansonnier Émile-.Brault s'y retira, dans un logement modeste, des fonctions de sous-préfet de La Châtre, en l'an de grâce 1824. Ajoutez, s'il vous plaît, que, le marteau de la démolition étant aux prises avec la maison du milieu, il ne subsistera bientôt plus que les deux ailes de cet ancien logis de prince. Une carte dessinée à la plume dans le cours du XVIIe siècle marque non seulement en ces parages le derrière de l'hôtel Rambouillet, à l'encoignure de la rue Vide-Gousset, mais encore le domicile de Mme veuve Rambouillet, propriétaire, dans la cinquième maison venant avant. Un autre document du même genre indique la propriété angulaire comme appartenant à M. Clérambault, y demeurant. Mais il ne s'agit là que de l'hôtel du financier Rambouillet, qui n'avait rien de commun avec le célèbre bureau d'esprit que la marquise de Rambouillet tenait de 1635 à 1665 rue Saint-Thomas-du-Louvre.
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