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RUE
DES MATHURINS
VIIIe, IXe arrondissement de Paris (Histoire de Paris
rue par rue, maison par maison, Charles Lefeuve, 1875)
Notice écrite en 1860. Près de la première moitié e de la rue Neuve-des-Mathurins, telle qu'elle se comportait alors, a disparu depuis pour faire pleine à la rue Gluck et au carrefour de l'Opéra. La nouvelle rue Auber, à son point d'intersection avec la rue Caumartin, a enlevé d'antres maisons encore à ladite rue des Mathurins. Celle-ci, en revanche, s'est prolongée entre celle Pasquier, naguère de la Madeleine, et le nouveau boulevard Malesherbes. Commençant : place Diaghilev, 19 et rue Scribe, 17. Finissant : boulevard Malesherbes, 30. Historique : précédemment rue Neuve des Mathurins. Origine du nom : la partie la plus ancienne de cette voie a été percée sur des terrains dépendants de la ferme des Mathurins. M. de Lagrange. – Tristan et l'Ermite. – Le petit Louvois. – Le Marquis de Beauharnais. – La Princesse de Baufresnont. – Le Maréchal Brune. – Mmeme Dumanoir. – M. de Noé. – Carline. – La Poste. – Sandrié et son Passage. – Le Prince de la Paix. – Garat. Lecomte Lagrange, lieutenant général, ancien ministre de la guerre du roi Jérome en Westphalie, eut pour hôtel, sous la Restauration, le 98 de cette rue il mourut pair de France en 1886. Tristan l'Ermite, grand prévôt du roi Louis IX, a-t-il laissé à deux branches d'héritiers sa fortune et jusqu'à son nom à partager ? Il y avait en tout cas, sous Louis XVI, dans la rue Neuve-des-Mathurins, entre celle de la Ferme et celle de la Madeleine, deux habitations contiguës, payant cens à l'archevêché l'une au nom de Tristan, l'autre au nom de l'Ermite. Le n° 96 que l'amiral Baudin a plus récemment habité, et qui, pendant un certain temps, ne faisait qu'un avec le 94, peut être sûr d'avoir appartenu à l'un des deux descendants ou homonymes de l'ancien justicier, compère de Louis XI. L'un des derniers hôtels de la même rangée était occupé en 1783 par le marquis de Louvoie. Ce descendant du ministre se livra au libertinage et au désordre avec si peu de retenue que le roi finit par l'exiler : il avait trouvé moyen de dissiper de grands héritages et de manger la dot de ses trois femmes, en laissant derrière lui une traînée croissante de dettes. Au même temps le 86 appartenait à François de Beauharnais, que ses états de service dans la marine avaient fait major des armées navales en 1754, puis gouverneur et lieutenant général à la Martinique, d'où il avait renvoyé les Anglais, et aux îles de la Guadeloupe, de la Grenade, de Saint-Vincent, de Cayenne, etc., puis, pour couronnement, chef d'escadre des armées navales. Cet officier général obtenait ensuite l'érection de sa terre de Laferté-Aurain en marquisat, sous le nom de Laferté-Beauharnais. Il avait épousé sa cousine germaine, née Pivart de Chastullé, et il en avait eu plusieurs enfants ; l'un deux, le vicomte Alexandre de Beauharnais, né à la Martinique, épousa Joséphine de la Pagerie, qui convola ensuite en secondes noces et devint impératrice. On trouverait encore, dans la maison dont nous parlons, son ancienne plaque indicative d'Hôtel de Beauharnais. Le corps de logis du milieu n'était qu'entre cour et jardin. La seconde femme du comte de Choiseul-Gouffier, ambassadeur, savant nomade et académicien l'occupait au temps de l'Empire ; elle faisait hôtel et nom à part, car on l'appela toute sa vie, princesse Hélène de Bauffremont. Dérogation en sens contraire avait été faite à l'usage en premières noces ; sous le rapport du nom : M. de Choiseul avait pris celui de sa femme, née Gouffler, resté inséparable du sien. Mme de Saulx-Tavannes, qui se trouvait enfant du premier lit, a écrit un roman sous ce titre : Le Père et la Fille ; elle en avait réalisé un autre ; en mariant elle-même son père avec son amie, la princesse. La belle-mère n'était pas marâtre. La bonne intelligence, qui ne s'altéra pas entre la princesse quand même et le comte ne fut, du reste, pas mise à une très longue épreuve on les voyait ensemble aux eaux d'Aix-la-Chapelle peu de temps avant que le deuil de son mari fût porté par la dame. Au 76 et au 74 a vécu le maréchal Brune, qui avait été imprimeur et journaliste au début d'une carrière dont un crime politique a avancé le terme, lors de la réaction royaliste de 1816. Néanmoins son épée, sur laquelle Danton avait compté avant Napoléon, était rentrée dans le fourreau au milieu même de l'Empire ; elle n'avait fait que porter aux honneurs, sous ce régime purement militaire, un soldat de la République. La première restauration trouvant Brune presque, dégagé vis-à-vis de Napoléon, il s'en est allé faire sa cour à Louis XVIII, qui l'a bien accueilli. L'ambassadeur d'Espagne, prince de Massérano, était alors le cicérone du maréchal aux Tuileries cet étranger connaissait mieux que lui et la cour, et les courtisans, même ceux du pouvoir déchu qui assistaient au petit-lever de l'autre. Le 72, qui par-derrière date du siècle précédent, le 70, qui a été refait, ou le 66, leur voisin, fut l'habitation à pâlis de Noé, maire de Bordeaux, chambellan du duc d'Orléans et mari de Mlle Flavie de Cohorn de la Palun. Cette dernière qualité n'avait-elle pas suscité au maire de Bordeaux une querelle d'Allemand, qui lui fut faite, pendant la lune de miel, par le vieux maréchal de Richelieu, gouverneur de la Guienne pour le roi ? Le fait est que M. de Noé, « pour avoir violé sa consigne au spectacle de Bordeaux, » fut, assigné devant le tribunal du point d'honneur, qui siégeait à Paris, et que M. de Richelieu suivit l'affaire. M. de Noé se trouvait porte à porte avec Carline, de la Comédie Italienne, veuve de Charles Bertinazzi, dit Carlin, qui jouait par excellence le personnage d'Arlequin. Un reste de jeunesse pouvait encore dorer la pilule du veuvage à cette comédienne ; mais le jour était déjà loin où l'ambassadeur de Hollande lui avait envoyé, pour ses beaux yeux, un riche bracelet, pendant que le pauvre arlequin était malade de la pierre ! Du même côté et vers le même point, siégeait la direction de la Poste aux chevaux, bien que cette Poste elle-même fût établie rue Contrescarpe-Dauphine (présentement rue Mazet). Le duc de Polignac était directeur général, avec survivance assurée au marquis de Polignac ; M. de Veymeranges, intendant. Les terrains faisant face, entre les rites de l'Arcade et Caumartin, appartenaient avant 89 à la duchesse de Béthune, baronne d'Ancenis. Les pères mathurins y avaient eu des marais, dans le principe, et ils en avaient eu autant sur l'autre ligne de cette rue, ouverte sous leurs auspices. L'Hôtel-Dieu avait été propriétaire de tout le reste ; mais il avait vendu à Sandrié, du côté où se suivent actuellement les numéros pairs, la jouissance viagère de terrains confinant à l'égout de la ville et le même Sandrié y avait acheté l'égout, pour le couvrir. Dans un passage formé par ce spéculateur entre notre, rue et le boulevard (le passage Sandrié a été emporté de nos jours par la rue Scribe), un ancien hôtel Sandrié n'a pas encore fait retour à la terre. Pierre Ligné et sa femme, Marie-Anne Saulnier, avaient acquis par-là de Silvois, le 5 février 1714, deux arpents en marais ; ils y vendirent même en trois lots à Sandrié et à sa femme, à Verberecht, sculpteur, à Taboureux et à sa femme, le 9 août 1761, un marais contigu à leur maison, ayant cour et jardin. Et le passage dès lors était commun à plus d’une propriété. Ligné, Verberecht et autres riverains furent autorisés, l'année suivante, à le fermer la nuit, par une sentence de la grande voirie de Paris. En 1792, seulement, la rue Neuve-des-Mathurins fut prolongée entre celles de l'Arcade et de la Madeleine, sur le ci-devant territoire du couvent des dames de la Ville-l'Evêque. Mme Pinot du Manoir, qui demeurait à l'angle de la rue Caumartin, côté des numéros impairs, était la femme d'un colonel des milices de la Guadeloupe, et leur fille avait épousé en 1773 le vicomte de Saint-Chamans, colonel du régiment de La Fixe. D'autres maisons du milieu de la rue ne sont-elles pas des legs de l'ancien régime, comme celle que nous montrons du doigt ? Il y en avait deux à M, de Montessuy, deux à M. de Laferté, et le carrossier Rouconnières était locataire de 1’une d'elles. Ce Laferté, pour son malheur, était probablement M. Papillon de Laferté, intendant des menus-plaisirs, guillotiné le 19 messidor an II à l'âge de 64 ans il avait écrit sur la peinture, l'architecture et la géographie. Le marquis Ferron de la Ferronnays, colonel, puis brigadier des armées du roi ; commandant à Saint-Domingue, avait ramené, lui aussi, dans cette rue des Mathurins, une créole de Longane, sa femme son hôtel porte le n° 38 et a été, depuis, la résidence de la famille d'Alogny. Le 32, s'il vous plaît, était l'habitation de Veymeranges, fermier géneral, époux de Mlle de Ligneville, princesse de Lorraine, qui le faisait beau-frère d'Helvétius. Mlle Le Peletier de Martainville disposait, elle, du 33, qui a été connu comme hôtel Le Peletier-d'Aunay, et sa propriété touchait, du côté du passage, celle de Sandrié. Le prince de la Paix a été vu assez longtemps dans l'ancienne maison Le Peletier. Don Manuel Godoï, duc d'Acudia, prince de la Paix, avait commencé par être, comme premier ministre, l'adversaire politique de l'empereur Napoléon, qui pourtant vint à bout de ses scrupules et tira parti de ses services, en ayant la précaution de le soustraire aux rancunes espagnoles. Sa maison de Paris n'avait plus la magnificence de son palais de Madrid ; mais il se ménageait aussi à Rome un pied-à-terre de consolation. L'ancien ministre du roi d'Espagne avait contracté un premier mariage avec une princesse de Bourbon, qui avait obtenu une pension sur ses biens confisqués. Il restait à Godoï, en outre, cinq millions de piastres, lorsqu'elle cessa de vivre. Le train qu'il menait à Paris eût été défrayé à beaucoup moins il ne voyait presque personne de son pays et que peu de Français. Au même temps Érard, le facteur d'instruments de musique, avait pour locataire au n° 1 le célèbre chanteur Garat, auteur d'une romance sur les malheurs de la reine Marie-Antoinette :
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