Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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RUE VIEILLE-DU-TEMPLE
IIIe, IVe arrondissements de Paris
(Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, Charles Lefeuve, 1875)

Notice écrite en 1860. Commençant : rue de Rivoli, 36. Finissant : rue de Bretagne, 1. Monuments classés : au n° 47 : hôtel Amelot de Bisseuil, dit des Ambassadeurs de Hollande. A l'angle des rues Vieille du Temple et des Quatre Fils : immeuble affecté aux Archives nationales (façades sur cour et toitures de l'hôtel de Boisgelin ; façades et toitures des Grands Dépôts datant de Napoléon II. ainsi que les magasins du premier étage abritant le trésor des Chartes ; sols des cours et des jardins existants). Au n° 54 : hôtel Hérouët. Au n° 87 : hôtel de Rohan (affecté aux Archives nationales [classement limité à certaines parties dont les façades sur rue]). Historique : des titres du XIIIe siècle la mentionnent déjà, sous le nom de vieille rue du Temple ; Guillot, en 1300, rue du Temple. Elle a encore porté les noms de : rue de la Culture du Temple, rue de la Couture du Temple, rue de la Clôture du Temple, rue de l'Egout du Temple, rue de la Porte Barbette, rue de la Poterne Barbette, rue Barbette et rue Vieille Barbette. La rue Vieille du Temple commençait jadis rue Saint-antoine (rue François Miron actuelle) ; le tronçon compris entre cette dernière voie et la rue de Rivoli a été réunie à la rue du Pont Louis-Philippe par un arr. du 13 juillet 1885. Origie du nom : ancien chemin qui conduisait à la Commanderie du Temple.

– Rencontre de Henri IV avec trois Procureurs. – Les Dames de Saint-Gervais. – La Tourelle. – Le Chevalier du Guet. – Bigot. – Les Comédiens du Marais. – Hôtel Salé. – Caumartin et Villedo. – Hôtel d'Epernon. – Les d'Hozier. – Le Mis de Ponceau. – L'Evêque de Strasbourg. – Le Pâtissier de l'Imprimerie impériale. – Hôtels La Tour-du-Pin, de Rieux, d'Effiat, d'Argenson. – Série de Bourgeois. – M. de Montigny. – Le Soleil-d'Or.

Henri IV, en chassant un jour près de Grosbois, quitte, la chasse, pour se mettre en quête d'autres aventures, et arrive tout seul à Créteil. Comme c'est l'heure du dîner, il entre dans une hôtellerie, où l'attire le fumet déjà savoureux d'un rôti, dont il a le plaisir de voir une broche se dégainer.

– A qui destinez-vous cette pièce ? demande le nouveau venu.

– C'est un morceau de roi, répond l'hôtesse ; vous vous flattez, messire le passant, si vous vous en léchez d'avance la barbe. Je l'en ferai pas tort au dîner que je sers à trois procureurs, parmi lesquels se trouve maître Lubin, aussi gourmand qu'il est madré ! Ces gens-là, on les craint à jeun plutôt qu'à table : il fait bon les tenir par la gueule !

– Dites aux trois procureurs, réplique l'inconnu, qu'un gentilhomme fatigué, qui a faim, demande une petite place au bout de la table en payant son écot.

– Vous n'êtes pas dégoûté, remarque la messagère, qui se charge à la fois de la commission et du plat.

Mais l'un est mieux reçu que l'autre. L'impertinent triumvirat fait répondre qu'un couvert de plus dérangerait le nombre impair qui convient à leur appétit, à leur menu, à leur esprit de corps, et qui du reste, plaît aux dieux. Blessé au vif, le convive éconduit ne se sent plus ni faim, ni soif ; mais il tient à punir un manque de courtoisie allant jusqu'à la cruauté, et il s'écrie :


– Ventre-saint-gris ! ma mie, vos trois compères sont si peu complaisants que je me vois forcé de recourir aux provisions d'une dizaine de gens mieux appris, auxquels je faussais compagnie. Envoyez un garçon au-devant d'eux, sur la route de Villeneuve ; il y distinguera sans peine un cavalier à casaque rouge, auquel il suffira de faire savoir que le maître du grand cornet l'attend ici.

Inintelligible pour l'hôtesse, ce message est mieux accueilli que le premier. M. de Vitry, en effet, ne tarde pas à rejoindre, le roi, avec des hommes de sa suite. Les convives réfractaires à l'hospitalité sont entraînés, pour dessert, à Grosbois, où ils reçoivent les étrivières.

Maître Lubin de rentrer fort penaud, après cette partie de plaisir, dans son logis de la rue Vieille-Barbette. Ainsi s'appelle en ce temps-là une section de la rue Vieille-du-Temple, construite dès 1250 et où se trouve de nos jours plus d'un logis du temps de Henri IV. Outre le procureur que ce prince a fait étriller, le n° 56 a eu pour propriétaires sous l'ancien régime Dodun, contrôleur général des finances, Despiaces, notaire, Bouzaingaut, marchand de vins.

Au commencement de la Révolution, un reste de l'ancienne porte de l'hôtel Barbette se remarquait encore en face du 55, entre le couvent des hospitalières de Saint-Athanase, dites les dames de Saint-Gervais, et la rue des Francs-Bourgeois. Des bâtiments survivent de cette maison religieuse, qui ne se ferma qu'en 1791 ; elle occupait le territoire actuel du marché des Blancs-Manteaux, mais s'étendait, en outre, depuis la rue des Francs-Bourgeois jusqu'à celle des Rosiers. A l'occasion du renouvellement d'une reconnaissance censuelle ; dit au grand-prieur de France, a cause de sa commanderie du Temple, par ces dames de l'hôpital de Saint-Gervais, vers le milieu du siècle dernier, sœur Marie d'Étampes, prieure perpétuelle, sœur Marie-Anne Rabel, sous-prieure, sœur Anne Auvray et sœur Anne-Louise Germain s'assemblaient au parloir du couvent au son de la cloche, en la manière accoutumée, pour y parler de leurs affaires temporelles ; cette déclaration était relative à la propriété qu'elles occupaient, acquise en 1655 des créanciers du marquis d'O, surintendant des finances sous Henri III et Henri IV. Or l'hôtel d'O avait été auparavant celui d'Adjacet. Les n°s 50 et 52 n'appartenaient en rien à ces religieuses : cens était payé par Quentin, contrôleur des rentes de l'Hôtel de Ville, pour le premier, et par Laville, maître maréchal, pour le second.


Par exemple, ne confondons pas cette porte de l'hôtel Barbette avec l'ancienne porte urbaine du même nom, située à l'extrémité du quai des Ormes. La rue Vieille-du-Temple s'est dite aussi de la Porte Barbette, à titre de pseudonyme sa première désignation avait été simplement rue du Temple. Du séjour d'Étienne Barbette, voyer de Paris, maître des monnaies et prévôt des marchands, sous Philippe le Bel, une tourelle subsiste dans notre rue, tout près de l'ancienne étude du procureur Lubin ; mais ce n'est pas tout ce qui reste de l'hôtel, ou plutôt du palais Barbette. Comme elles deviennent rares à Paris, les tourelles dont les lucarnes prennent jour sur cinq ou six siècles ! Un épicier, qui jouit de celle-là, compterait plus d'un prédécesseur dans son magasin d'encoignure ; une boutique y existait déjà quand la maison appartenait à Brunet de Chailly, président en la chambre des comptes sous Louis XIV. Voici les successeurs du président : dame du Tillet, née Brunet ; du Tillet, marquis de Villarceaux, président au parlement, dont le fils, maître des requêtes au conseil du roi, a hérité ; puis Mathis, secrétaire des finances, qui possédait au même temps le n° 66.

Aux Pommereu, famille de grande robe, a été le 64, dont la porte, la cour carrée et le jardin rappellent encore qu'il a payé d'autorité. Le chevalier du guet y résidait en 1691, et il comptait parmi ces amateurs d'objets rarest de prix qu'on traitait alors, de curieux, comme on, les appelle en ce temps-ci les amateurs.

Marie de Lionne, veuve de Perrochel, seigneur de Grande, a vendu le 74, en 1676, à Bigot, père d'un contrôleur des gardes suisses, qui a été lui-même prédécesseur de Claude Menant, payeur de rentes.

Encore moins de prétentions à la jeunesse dans le 86, où se tient le bureau de placement des ouvriers de la maréchalerie. La vieille communauté des maréchaux-ferrants, avec saint Éloi pour patron, aurait pour le moins le même âge ; mais son bureau, au dernier siècle, était rue des Grands-Augustins. En revanche, la maison modeste que vous voyez atterrait à un jeu de paume dans lequel se sont établis, au commencement du règne de Louis XIII, les comédiens dits du Marais, qui venaient de l'hôtel d'Argent, rue de la Poterie-des-Arcis, et qui ont été jusqu'à rivaliser avec la troupe de Molière, avant de s'installer au faubourg Saint-Germain avec les comédiens de l'hôtel de Bourgogne.

Le maréchal de Villeroi n'habita que postérieurement l'hôtel Salé, qui englobait le 94 de la rue Vieille-du-Temple, mais que représente principalement l'école Centrale, rue des Coutures-Saint-Gervais.

Avant de passer à deux autres rues de Paris, les noms Caumartin et Villedo appartenaient à deux hôtels, entre la rue des Coutures-Saint-Gervais et celle Saint-François (de ladite rue Saint François et de deux autres on a fait la rue Debelleyme). Le 100, où les belles galeries de Ringo, fabricant de bronzes, n'absorbent qu'une portion du jardin, a été Caumartin et surtout d'Epernon. Les La Valette d'Epernon, moins en faveur près des premiers Bourbons qu'à la cour des derniers Valois, étaient pourtant restés en vue. Comme le d'Epernon d'Henri III, celui qui gouvernait la Guienne craignait encore, sous Louis XIII, de reconnaître un autre supérieur, un autre maître que le roi ne rappelait-il pas un courrier, qui avait déjà fait trente lieues, pour effacer ces mots, votre très humble, à la fin d'une lettre adressée au cardinal de Richelieu, qui ne lui avait donné que de l'affectueux ?

Était-ce trop pour un tel personnage de posséder l'un près de l'autre deux petits hôtels et un grand ? L'un des trois, le 106, a été restauré, dans le cœur du XVIIIe siècle, au profit de Charles du Tillet de la Boussière, membre d'une famille connue dans les lettres et au parlement. Un café occupe le fond et le jardin de cette propriété, où a fini en 1847 la vie de Rousselin Corbeau de Saint-Albin, fondateur du Constitutionnel. Une haute fenêtre, couronnée d'un fronton, en décore l'entrée ; mais on a tellement gratté l'écusson comporté par le tympan qu'on en a fait un trou, sans compter qu'une enseigne remplace un balcon dont la porte se trouve décapitée. En ajoutant le 108 aux deux autres, nous ne désignons pas encore tout ce qui survit de l'hôtel d'Epernon. L'un d'eux, sous le premier empire, était probablement l'hôtel Barnout, qui se numérotait 118.

Le 126, hôtel bien conservé, appartenait à ces comtes d'Hozier dont la dynastie a régné de seconde main sur toute la noblesse, en ne fixant que trop de ses titres. Du temps même où la charge de juge d'armes semblait héréditaire dans cette lignée de généalogistes, on était déjà fort habile à arracher par le crédit, ou à s'octroyer soi-même, par l'acquisition d'une terre, un allongement de nom patronymique soit par-devant soit par-derrière ; mais la noblesse d'épée était la seule dont on fit toujours cas. Aujourd'hui, l'on a peine à croire héréditaires les qualifications nobiliaires d'une origine postérieure à là judicature spéciale des d'Hozier.

De la Brosse, marquis de Ponceau, avait vue, en 1652, sur les rues Vieille-du-Temple, Saint-Louis et de Bretagne à la fois (cette rue Saint-Louis est à présent Turenne). Sa propriété en embrassait une moindre, qui tenait l'angle de la rue de Bretagne et qui appartenait à Mac Sensse, fille mineure d'un procureur tiers référendaire au parlement.

Deux frères Américains ont fait construire le 113, qui donne également rue Saintonge. C'était une dizaine d'années avant que Tallien fondât son club dans l'hôtel élevé en 1712 pour le cardinal de Rohan, évêque de Strasbourg, membre de l'Académie Française. Ce palais cardinal, où est l'Imprimerie impériale, avait le même jardin que l'hôtel de Rohan-Soubise, qu'occupent les Archives de l'Empire la promenade en était publique avant la Révolution. La bibliothèque des Illustres, réunie par De Thou, augmentée par le président Ménars, puis acquise par le cardinal, remplissait le rez-de-chaussée.

De quels pâtés, de quelles brioches l'Imprimerie impériale fait-elle une consommation perpétuelle ? Si quelqu'un lisait ce qu'elle imprime, nous irions aux renseignements ; par malheur, les rapports qui sortent de ses presses sont si nombreux et si volumineux que pas un domestique de conseiller d'État ou de sénateur ne se laisse arriérer d'un mois pour les faire, mettre au pilon. Un pâtissier de l'Imprimerie impériale, titre arboré sur sa devanture, utilise plus en détail les épreuves et les maculatures, reliefs des festins officiels de la typographie voisine. Sa boutique se rattache au 75, ancien hôtel La Tour-du-Pin. La fille du marquis de Merville a apporté cette propriété à Bertin, son mari, trésorier des parties casuelles, beau-père de Latour-du-Pin, marquis de Gouvernet, lieutenant général des armées de Bourgogne pour le comte de Charolais, qui commandait en chef cette province. Dutartre, trésorier des bâtiments du roi, avait là ses appartements en 1787.

Plus bas, un souvenir évoque cette date plus reculée 4 novembre 1407. Les gens du maréchal de Rieux entendent des cris pendant la nuit des assassins masqués ont déjà fui, au grand galop de leurs montures, lorsqu'on ramasse, au coin de la rue Barbette, le corps inanimé et mutilé du duc d'Orléans, frère du roi. Le cadavre du prince est porté chez le maréchal et le lendemain aux Blancs-Manteaux. L'hôtel de Rieux donne justement rue Vieille-du-Temple et rue des Blancs-Manteaux. Les Anglais le confisquent, en l'année 1421, sur Pierre de Rieux de Rochefort ; après quoi, et diverses mains, il se morcelle. Une portion en reste à Mme Hardy, qui la vend à Amelot de Biseuil en 1638, et une reconstruction a lieu l'espace étant long, mais étroit, le plan de Cottard y dispose en enfilade quatre cours. Postérieurement le logis a pour maître Louis Letellier, architecte du roi, contrôleur des bâtiments de son domaine de Versailles. Les ambassadeurs de Hollande en font leur résidence ensuite, et le voilà qui de nos jours répond au chiffre 47 !

Une porte en chêne bien travaillé, d'autres sculptures et des cadrans solaires, qu'a établis un carme, le père Sébastien Truchet, frappent l'attention du passant ; ils ont mieux résisté à l'action du temps, au grand air, que les peintures dont Vouet, Vien, Van-Boucle, Dorigny et J.-B. Corneille avaient orné l'intérieur.

Les archives du 43, dont l'origine peut bien être identique, offrent ces noms des Bragelonne, puis Mottet, gentilhomme ordinaire du roi. Tout, entre ladite rue des Blancs-Manteaux et celle de Paradis (maintenant des Francs-Bourgeois), appartenait aux blancs-manteaux. M. de Villy, en 1780, était propriétaire au coin de la rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, et les autres propriétaires, entre ladite rue et celle Saint-Antoine, se trouvaient :

MM. le marquis de Ménilles, Janet, Fromageau, Courtin, Gillet, Courbec de Quincy, Bailly, de Lagarde, Duché, Saiget, Souplet, Thierry de Bussy, Hétion.

Chez le marquis, ou bien près delà, M. de Montigny entretenait un cabinet d'histoire naturelle. La même propriété, ou aussi peu s'en faut, a du être cotée hôtel de Vilbraye.

Pour Antoine Coiffier de Ruzé d'Effiat, maréchal de France, surintendant des finances, auteur de différents écrits, ont été édifiés un grand et un petit hôtels encore en pied, n°s 26-28.30 Cinq-Mars, le favori de Louis XIII, et Charles Coiffier, abbé d'Effiat, étaient deux des fils de ce maréchal. Claude Le Peletier, prévôt des marchands en 1668, puis contrôleur général des finances et ministre d'État, a acquis de la famille d'Effiat. Enseveli à l'église Saint-Gervais, il a laissé cette propriété à des magistrats Le Peletier, de Saint-Fargeau, qui s'y sont succédé.

Le 24 est du XVIe siècle. Les Voser d'Argenson ont-ils passé par-là ? L'impasse d'Argenson dit presque non, en gardant le reste d'un autre hôtel qui date d'aussi loin et qu'elle aurait eu pour homonyme. Un membre de cette famille, contemporain de Cinq-Mars, fut magistrat et fut ambassadeur. Son petit-fils, qui créa la police politique par l'invention des lettres de cachet, passa de la lieutenance de police à la, présidence du conseil de l'intérieur et y joignit la chancellerie de France ; comme il était l'un des quarante, il a reçu rue Vieille-du-Temple les visites intéressées des candidats académiques, à chaque vacance de fauteuil. Il y a probablement eu grands et petits hôtels d'Argenson. Celui qu'on désignait encore sous ce nom quand M. Frochot était préfet de la Seine, comptait dans la rue Vieille-du-Temple comme n° 26.

Bien que les cabarets, en général, tiennent moins de place que les hôtels, on retrouverait peut-être dans cette rue, en y regardant de plus près, le Soleil-d'Or, où venait souvent boire Préville, premier comique de la Comédie-Française, avec son ami Clairfontaine.



 

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