Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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RUE DE L'ARBRE-SEC,
Ier arrondissement de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, paru en 1875)

Notice écrite en 1856. Un peu moins d'années se sont écoulées depuis la démolition des maisons que remplacent l'école des filles, dépendant de la mairie du nouveau Ier arrondissement, et le passage qui sépare cet édifice municipal de l'église Saint-Germain-l'Auxerrois.

Le Four-l'Evêque :
La rue de l'Arbre-Sec fut appelée quelquefois de l'Arbre-Sel, mais vicus arboris siccoe dès le XIIIe siècle. Son nom lui venait de l'enseigne d'une maison qui existait encore près de l'église au temps de Sauval. M. l'évêque eut dans cette rue une grange et un four, entre le cloître Saint-Germain et le cul-de-sac de Court-Bâton ; on les appelait le Four-l'Évêque, et par corruption Fort-l'Evêque, dénomination qui restait encore sous Louis XV à la prison où s'enfermaient par-là les comédiens récalcitrants, bien que le chef du diocèse n'y fût pour rien.

La Reine Brunehaut. La Fontaine. Le Cardinal de Retz :
La reine Brunehaut, à l'âge de quatre-vingts ans, avait été tirée à quatre chevaux, au milieu de la rue de l'Arbre-Sec, sur une place qui resta un lieu patibulaire, de la juridiction épiscopale, jusqu'en 1636. La croix qui s'y dressait était dite du Trahoir, du Tiroir. Sous le règne de François Ier, une fontaine s'ouvrit près de la croix. Des bouchers, des fruitiers, dans les temps ordinaires, faisaient leur commerce à l'entour. Le voisinage du Louvre n'empêchait pas la place d'être un point de rassemblement les jours d'émotion populaire. Une sédition entre autres y éclata, en l'année 1505, à l'occasion de la mort d'une marchande, que le curé de Saint-Germain-l'Auxerrois n'aurait pas voulu enterrer avant de savoir si elle avait légué quelque chose à l'église. On fait remonter aussi au règne de Charles VI un autre attroupement local, compliqué de rumeurs et de violences, à propos des contributions qui s'augmentaient. C'est pour cela sans doute qu'en 1536 on transporta la croix, la fontaine et la place à l'angle de la rue Saint-Honoré, où François Myron, prévôt des marchands, avait fait pratiquer, trente ans plus tôt, un réservoir des eaux d'Arcueil. Ce qui n'empêcha pas la fronde de faire des siennes rue de l'Arbre-Sec, où le cardinal de Retz, menacé de la lance d'un rôtisseur en pleine barricade, eut la présence d'esprit de lui dire, quoiqu'il ne le connût pas : Ah ! malheureux, si ton père te voyait !... Le rôtisseur, ne doutant pas que ce fût un ami de sa famille, lui demanda pardon et le secret. Le pavillon carré de la fontaine, flanqué de consoles à têtes marines, sortit du crayon de Soufflot au commencement du règne de Louis XVI.

Colletet :
Ce n'est pas l'eau de la Croix-du-Tiroir qu'avait chantée François Colletet, un siècle auparavant ; c'était le vin d'Espagne débité dans un cabaret du même carrefour :

Voici le pays de Cocagne,
Où l'on boit le bon vin d'Espagne,
Le doux Hypocras, le Muscat
Et l'Alicant si délicat.

Cette annonce vraisemblablement fut payée en nature au poète, qu'une satire de Despréaux eût trouvé moins crotté s'il avait fait usage des calèches à 20 sols l'heure et des chaises à porteurs qui stationnaient sur la place du Tiroir.

Le Barbier du Roi. Les Fastes du Commerce et de l'Industrie en cette Rue. Mme de Saint-Roman. Mme Daigremont. :
Y avait-il déjà un marchand de vin traiteur dans la maison à ventre proéminent qui fait vis-à-vis à la fontaine ? Elle appartenait à François Barnom, premier barbier de Louis XIV, et Barnom écrivait son nom sans particule en 1672. Mais on lisait une trentaine d'années plus tard, au sujet de la même maison, sur le livre d'ensaisinement du lieutenant au bailliage de Mont-martre :

Pierre le Petit secrétaire du roi, co-propriétaire à cause de Marie-Annne de Barnom, sa femme, avec Louis de Barnom, sieur de la Charbonnière, comme héritier de François de Barnom.

A quelques pas est le 52, remarquez la serrurerie et les sculptures de son beau balcon. La porte est haute, et deux grands berceaux de caves feraient encore distinguer sous terre, faute de mieux, l'ancien hôtel bâti pour le sommelier de Louis XV. Trudon, marchand de bougies du roi, qui vint après, habita la maison pendant quarante années ; mais sa fabrique était à Antony. Le 54 appartenait alors au même propriétaire, qui le donnait en location à des particuliers sans notabilité ; il a été revendu et rebâti il y a quinze ans. Trudon arriva par l'échevinage, après avoir quitté le commerce, au titre d'écuyer. Dans ses anciens appartements demeure aujourd'hui M. Techener, libraire, collectionneur de livres curieux de tous les siècles, même du nôtre. La librairie Techener a été fondée place du Louvre, en 1824, dans une maison actuellement démolie.

En 1800 le sieur Harel, fabricant de fourneaux et de fours portatifs, a créé un établissement qui garde son nom au n° 50. La porte d'à côté est surmontée d'une coquille à écusson, et la rampe de l'escalier principal, qui fait suite, porte sur un chef-d'œuvre de balustrade, deux étages durant. C'est l'ancien hôtel Saint-Roman. Un M. de Saint-Roman a été page de Charles X ; un autre a figuré, comme pair de France, parmi les ultraroyalistes. Mme de Saint-Roman devenue veuve, a épousé en secondes noces un cousin, qui, pour la seconde fois, lui a donné le même nom ; ses fils se sont défaits de la maison. N° 46 on trouve dans la cour, à la hauteur du second étage, un boulet de canon avec cette date, mars 1814 : c'est une carte de visite qu'ont déposée là les alliés, de la hauteur des buttes Montmartre. Au 44 autre date : 1760. Tel est le titre de noblesse de Mahé, marchand de vin qui y réside ; cette maison débite le même liquide, avec ténacité, depuis un siècle. Les frères Chériot, fabricants de tabac avant l'établissement du monopole étaient au n° 51.

Martin Saint-Martin, père de Mme Daigremont, conseiller à la tablé de marbre, habitait le 35 avant 1789, et cet immeuble est encore la propriété de M. Daigremont, un grand amateur de tableaux. Mais quel moyen de retrouver les trois cafés que tenaient dans la rue de l'Arbre-Sec en 1769 Fayard, Geffroi et Varlet ! C'est pourtant chez un faïencier de la même rue que se débitait alors une bière en réputation.

Franchissons la rue de Rivoli, nous trouverons au n° 22 un bâtiment dont la façade est réparée sur la rue de l'Arbre-Sec, et dont l'aile la plus ancienne se replie sur la rue Baillet. C'était jadis l'établissement d'un étuviste ; ses chambres à laver n'étaient pourvues que de baignoires en bois ; avec un fond de bain en linge écru pour les raffinés. Quant aux personnes qui payaient le moins cher, elles s'immergeaient tout simplement dans la moitié d'un vieux tonneau, coupé en deux dans sa hauteur, moitié que l'on avait consolidée avec des bûches pour éviter le retour du roulis : une fois entré, le baigneur était là, comme dans un esquif de sauvage, mais il n'était possible d'y tenir avec une stature un peu élevée qu'en se recroquevillant comme la noix dans sa coquille : De plus, les étuvistes prenaient plaisir à couler un seul bain pour deux personnes, et c'était le plus clair profit d'un métier qui ne répugnait pas à tremper dans le proxénétisme. Les Marié, qui sont tapissiers au même endroit depuis 1802 de père en fils, logent dans l'ancienne maison de bains.

Au 18, le soleil se lève ; Carcel du moins, en autre Phaéton, a essayé d'en ravir un rayon, et la lampe-carcel a brillé sans égale, après le couvre-feu, depuis le Consulat jusqu'au milieu du règne de Louis-Philippe ; par malheur pour le successeur de ce grand lampadiste, le prix de lumière lui est disputé par des inventeurs d'autres systèmes. Au 16, qui date aussi de loin, le restaurateur Courbec ouvrait en 1815 un restaurant à prix fixe si modeste qu'il trouva immédiatement sa clientèle d'habits râpés et de gilets cachant la chemise. Jusque-là il n'y avait eu que de l'argent à perdre avec des employés sans place, des inventeurs à la recherche d'un commanditaire, des médecins à leurs débuts, des étudiants à la fin du mois, des grisettes leur faisant cortège et des écrivains de tout âge visant à un renom dans la postérité ; Courbec trouva moyen de tromper leur faim, tout en leur soutirant de quoi s'établir plus grandement ailleurs, et il avait déjà des imitateurs dans le quartier alors que Béry prit sa place.

L'impasse des Provençaux, qu'il ne faut pas confondre avec défunt cul-de-sac de Court-Bâton, paraît immédiatement après, et elle n'a pas volé cet air de vétusté qui fait reculer le soleil de cette intéressante fissure ; où il est remplacé par une senteur stagnante de moisissure bien chère aux antiquaires. Cette impasse doit son nom à une enseigne dont la portée commerciale est déterminée dans le Livre commode, annuaire publié en 1691 et en 1692 :

On trouve chez les Provençaux, au cul-de-sac Saint-Germain rue de l'Arbre-Sec, des orangers, des citronniers, des jasmins, des mirthes, des oignons de tubéreuses, de narcisses, de Constantinople, de Hyacinthes orientales, de lis alphodelles, de martagons popiplions, etc. On y trouve quelquefois des mortadelles et des saucissons de Bologne.

Les Provençaux du cul-de-sac de l'Arbre-Sec vendent en gros des fromages de Rocfort, olives, anchois, vin de Saint-Laurent, figues, raisin, brugnons, amandes et autres fruits secs de Provence.

Le collège de Beauvais établi à Paris était propriétaire de deux maisons, dans le fond à droite du cul-de-sac des Provençaux, anciennement Saint-Germain-l'Auxerrois, et plus anciennement encore d'Arnoul-le-Charron. Un sieur Arnoul de Charonne y demeurait dès l'an 1293 ; les Charonne, au surplus, n'étaient pas rares dans la rue. Sur une troisième impasse, aujourd'hui supprimée, un Jean de Charonne avait pignon, et ce pignon couvrit un cabaret à l'enseigne de la Petite-Bastille.

Les Mousquetaires d'Alexandre Dumas. Le Cheval-blanc :
L'autre côté de la rue, dans le voisinage de l'église, était occupé en grande partie par le cimetière, qui y attenait. Il y a vingt ans, lorsqu'on a fait l'égout, n'a-t-on pas découvert des têtes de morts et des reliques ? Néanmoins le n° 3 était debout sous Henri IV, et c'est à une tradition ressuscitée par un fameux roman que la même maison ou celle d'en face doit d'être l'hôtel des Mousquetaires. Dans cette petite hôtellerie à balcon passent pour avoir couché autrement qu'à la nuit des mousquetaires du XVIe siècle. Le comte Annibal de Coconas, gentilhomme piémontais, Boniface La Mole et d'Artagnan fréquentaient pour sûr ces parages, du vivant de Catherine de Médicis ; mais Alexandre Dumas se récrierait à juste titre si nous logions des hommes qui sont devenus ses héros dans la maison n° 5, qui n'a qu'un étage, qu'une fenêtre. II se peut même que le cruel Coconas, qui n'a laissé sa tête en Grève que le 30 avril 1574, ait été arrêté dans la rue de l'Arbre-Sec, au n°19, lors de la mort de Charles IX : ne fut-il pas l'amant de la duchesse de Nevers, qui résidait tout près ? Rappelons enfin que Saint-Germain-l'Auxerrois fut criblé de balles, pendant la nuit de la Saint-Barthélemy, et que d'Artagnan ne pouvait pas être loin.

Le cheval en plâtre qui subsiste au n°19 est une enseigne posée en 1618. Ce cheval blanc n'était pas mal moulé ; mais les révolutions, si elles ne décapitent que les saints et les rois, en effigie ou autrement, ont ôté au coursier, contemporain de la Fronde, les jambes de devant et la queue. Il y a seulement dix ans qu'un badigeonneur auvergnat, que nous regrettons de laisser anonyme, a pris de la terre glaise à poignée pour restituer au cheval blanc grisonnant deux fois plus de queue et de train de devant qu'il n'en fallait : c'était au principal ajouter par trop d'intérêts ; l'intention n'en était que plus louable. Que dit-on ? la maison elle-même est menacée de démolition ; sa profondeur peut faire que la mairie du IVe arrondissement, dont la translation à la place du Louvre est décidée, coupe à son tour à la maison le train de derrière et la queue, en expropriant jusqu'au cheval.


 

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