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LA RUE ET LE
PASSAGE CHOISEUL
IIe arrondissement de Paris (Histoire de Paris
rue par rue, maison par maison, Charles Lefeuve, 1875)
Notice écrite en 1858. La rue qu'elle prend pour objectif a plus récemment contribué, par des sacrifices immobiliers, et surtout du côté des chiffres impairs, tant au percement de la rue du Dix-Décembre qu'au prolongement de celle Monsigny. La rue de Choiseul commençant : rue Saint-augustin, 16. Finissant : boulevard des Italiens, 21. Ouverte en 1779. Lettres patentes du 19 juin 1779 (larg. : 24 pieds). Cette voie a prolongé une impasse percée en vertu d'un arrêt du Conseil du Roi du 26 avril 1776. Origine du nom : ouverte sur les terrains de l'Hôtel de Choiseul-Gouffier. Le Passage Choiseul commençant : rue des Petits Champs, 40. Finissant : rue Saint-augustin, 23. Ouvert en 1825. Origine du nom : ce passage forme le prolongement de la rue de Choiseul. Les Ferriol et les Choiseul. – Les Domaines. – La Petite-Maison. – La Ctesse de Lamassaye. – Mme l'Amirale Bruéys. – La Maison Délisle. – Lafarge. – Le Mis de Chalabre. – M. de Sartines. – Oberkampf. – MM. Mallet. – Le Cercle des Arts. – Mme de Boufflers. Le plan dédié en 1739 à M. Turgot, prévôt des marchands, marque distinctement l'hôtel Ferriol, en façade sur la rue Neuve-Saint-Augustin ; les auteurs de cette immense carte de Paris ignorent alors que, depuis neuf années, M. Ferriol, beau-frère du cardinal de Tencin, frère d'un ambassadeur à Constantinople, s'est entendu avec ses deux fils, Antoine Ferriol, sieur de Pont-de-Vesle ; ci-devant lecteur du roi, et Charles-Augustin de Ferriol, sieur dArgentai, conseiller au parlement, pour transporter l'hôtel à la famille du marquis ou comte Gabriel-Florens de Choiseul-Beaupré. C'est la veuve de M. de Choiseul-Beaupré, née Marie-Françoise Lallemant de Betz, qui conjointement avec le comte son fils, dit M. de Choiseul-Gouffier, obtient, eu 1776, l'autorisation d'ouvrir, sur les jardins de cette résidence, allant jusqu'au Rempart, une impasse, allongée en rue trois ans plus tard. En 1786, le susdit créateur de la rue de Choiseul y vend à Louis XVI une vaste propriété, à l'angle de la rue Neuve-Saint-Augustin ; on en fait le siège administratif des Aides-et-Gabelles, qui devient ensuite l'hôtel de l'Enregistrement et des Domaines. Ainsi, au commencement de l'Empire, M. Duchâtel, directeur de l'enregistrement, est domicilié au premier étage du n° 2, rue de Choiseul, et les bureaux de son administration remplissent les deux maisons suivantes. Au mois d'avril 1830, l'État vend la totalité, qu'il a divisée en trois lots. N'y reste-t-il absolument que le terrain qui provienne de l'ancien hôtel Ferriol ? L'autre côté de la rue en a gardé, du moins, un corps de bâtiment, que nous revoyons n° 3, et qui appartenait à la comtesse de Choiseul en 1780, puis à un avoué retiré, M. Paris de Lamaury, sous Charles X. Le fils d'un tailleur enrichi dispose de cet immeuble, où demeure un avocat d'élite, M. Boinvilliers. Aussi bien M. de Choiseul avait de quoi faire de grosses et de petites parts, au gré dès amateurs. La plupart des maisons de la rue sont de la même génération que le 9, qu'a édifié Nisard, maître-charpentier, l'an 1781, et qui a été adjugé, le 14 floréal an XIII, à Leclercq, avoué, père du libraire. L'architecte Louis a planté, semblablement l'immeuble contigu ; toutefois les prémices en ont été cueillies, comme fruit défendu, par un duc d'Orléans, Philippe-Égalité, y cachant l'une de ses petites-maisons. L'état-civil du 15 reconnaît pour auteur de ses jours l'architecte du duc de Penthièvre. Sur cette ligne étaient propriétaires, alors que Mme de Choiseul y disposait des deux premières maisons Andromard, son voisin direct ; Nisard, qui venait à la suite ; Goupy, un peu plus loin ; Mme de Lamassaye, au bout. Le comte de Choiseul-Gouffier, colonel de dragons, avait vendu en 1778 à la comtesse de Lamassaye, dame de Chauvry, un lot de terrain encadré par le boulevard du Nord ; par le jardin du marquis de Pont, dont l'hôtel ouvrait rue Neuve-Saint-Augustin, par un terrain audit comte et par le cul-de-sac Choiseul, récemment ouvert sur un emplacement à la marquise du même nom. L'année suivante y avait vu construire un hôtel sur le Boulevard, où Mme de Lamassaye s'était fait autoriser à placer une barrière en fer, comme d'autres propriétaires dont les maisons donnaient sur la même promenade, sans y avoir de porte. La maîtresse du logis, avec laquelle cohabitait son neveu, le comte de Saint-Laurent, avait perdu la vie sur l'échafaud qui au lieu des victimes, déshonorait les juges. La spéculation n'a exécuté l'hôtel à sa manière que plus tard ; Aguado y a été, sous la terrasse, marchand de comestibles, avant de passer financier, puis marquis. Transbordons la pêche aux souvenirs, en changeant de rive pour la seconde fois. Celle de gauche est encore poissonneuse pour une rive qu'un courant de maisons neuves refroidit, près de l'embouchure. Le coup de filet paraît meilleur à droite le petit poisson y mérite, faute de gros, les attentions patientés de la ligne, au lieu de n'être, comme en tant d'autres eaux, que du fretin à rejeter. De ce côté, à l'encoignure même de la rue Neuve-Saint-Augustin, Mme de Choiseul était chez elle avant le comte de Choiseul-Gouffier, qui n'y disposait d'abord que du second lot, la même dame ayant aussi le troisième. Après cela venait alors le marquis de Chalabre. Un autre lot était à M. Leclère ; un autre à M. Caillou, le septième et dernier à la comtesse de Boufflers. Grâce à la subdivision de quatre ou cinq des parts originaires ; il sen faut que notre n° 10 touche à l'extrémité de la rue. Les Betmann, riches banquiers de Francfort, l'occupaient lors de la rentrée des Bourbons, et ensuite Huvé, architecte, qui a mis à la Madeleine la dernière main. La vénérable comtesse de Bruéys jouit des revenus de cette propriété. L'amiral, son mari, qui était de la famille du poète, auteur de l'Avocat Pathelin, a commandé en chef la flotte conduisant en Égypte le vainqueur d'Italie ; le combat naval d'Aboukir lui a coûté la vie. Une statue s'érige à Uzès en l'honneur de ce brave marin, que Napoléon regrettait comme un ami, et l'hommage dû depuis si longtemps à sa mémoire ne lui est enfin rendu qu'a la diligence de sa veuve, qui ne s'est pas laissé décourager par un retard de soixante-dix années. A cet immeuble il en tient un que fréquentent les femmes les plus élégantes. Elles ne s'éloignent jamais de Paris, qui est le centre de leur monde, qu'à la condition de revenir assez souvent dans la maison Delisle pour se tenir au courant des modes, tant c'est le premier, entre tous, des magasins de nouveautés ! Le créateur de ce comptoir du goût appliqué à la soie, aux châles et aux dentelles, a pourtant cessé de vivre sous le règne de Louis-Philippe ; les modes passent, il passait comme elles, sans agonie, plus rapidement encore, pour avoir mal digéré du homard. La caisse Lafarge, dans ce local, précéda le magasin de nouveautés dont le premier bail fut signé, l'année 1831, par une Mme Hubert. L'affection de cette dame avait été sa mise unique dans la tontine de Lafarge, auquel elle avait survécu. Mais, avant la tontine, de qui était-ce l'hôtel ? Du marquis de Chalabre, à qui le jeu rapportait gros et qui fût même, avec Poinçot, banquier du jeu de Marie-Antoinette. Cet ancien parasite, qui avait eu le talent de choisir quelquefois ses tables, pique-assiette chez le duc de Choiseul, passe-volant même à l'Elysée, chez M de Pompadour, se donnait à son tour le plaisir de faire les honneurs de chez lui. On y servit un soir, après le dessert, un plat vide, qui promettait une surprise aux nombreux convives du souper, et leur attente fut remplie par cet aveu philosophique de l'amphitryon : – En si bonne compagnie, messieurs et dames, j'avais besoin de cet emblème sous les yeux pour me rappeler encore les mauvais jours où je n'ai pas même réussi à escroquer en ville mon dîner. M. de Chalabre avait succédé, rue de Choiseul et rue de Gramont, à un ministre de la marine, plus connu comme lieutenant de police, M. de Sartines. Ni l'esprit, ni l'activité de ce prédécesseur de M. Le Noir ne faisaient doute, et il avait sur une grande échelle organisé l'espionnage. Un ministre de l'empereur d'Allemagne, priant un jour, par une lettre, d'arrêter un voleur, qu'on croyait à Paris, M. de Sartines lui avait répondu tout de suite que cet homme était à Vienne, dans telle rue, sous tel déguisement ; sortant tous les jours, à telle heure. Ce lieutenant de police émigra en Espagne ; mais son fils, maître des requêtes, paya de sa tête : tribut à la Révolution, le 17 juin 1794, avec sa femme et sa belle-mère, M. de Sainte-Amaranthe. L'hôtel Sartines, qui vraisemblablement fut aussi Choiseul ou Gramont, ne communiquait, à l'origine, qu'avec la rue Neuve-Saint-Augustin, par une avenue, et avec le Rempart par un passage, qu'on retrouve sur le Boulevard et qu'on dit usuellement l'impasse de la Glacière ; ses ailes sont devenues des façades, transformation contemporaine de l'ouverture des rues de Gramont et de Choiseul. L'impasse de la Glacière se relie par-derrière et à la Galerie-de-Fer, établie en 1835 à la place d'une galerie de bois, que l'incendie avait détruite, et au 22 de la rue de Choiseul. MM. Mallet tiennent cet immeuble considérable, à titre héréditaire, du célèbre manufacturier Oberkampf, beau-père des deux barons Mallet. Mais, de la même succession ne dépendaient pas les terrains sur lesquels Tavernier forma en 1826 le passage Choiseul, à l'autre extrémité de la rue. Cet appendice considérable ajouté à la rue, pour le compte des MM. Mallet, provient, comme territoire, des anciens hôtels de Gesvres, de Radepont et du Contrôle Général, dans un bâtiment duquel s'était établie l'administration de la loterie. N'est-ce pas même l'un des corps de logis de M. de Gesvres que nous retrouvons à cheval sur le passage, près de l'orifice qui débouche en regard de la rue de Choiseul ? Christophe-Philippe Oberkampf n'acheta de Mme de Boufflers, le 21 floréal an IX, que la superbe propriété qui fait retour sur le Boulevard, et dont la cour s'est bardée de fer pour constituer la galerie. Taboureux, comme expert juré, constatait en l'année 1780 l'état des constructions faites, sur le dessin de Bonnet, pour Mme Hippolyte de Camps de Saujeon, veuve du marquis Édouard de Boufflers-Rouverel, sur les confins de la propriété morcelée par M. de Choiseul. Ainsi la belle terrasse dont jouit le cercle des Arts, fondé en 1837, fut inaugurée par la marquise de Boufflers. Presque toutes ces dames de Boufflers, le diable s'en mêlait-il ? avaient été malheureuses en ménage ; M. de Boufflers, colonel du régiment de Chartres, puis d'un régiment de dragons, avait trop négligé celle-ci, en s'affichant avec Mme de Sparre, et, veuve par anticipation, elle avait été presque heureuse que son fils, le comte de Boufflers, suivit de bonne heure le mauvais exemple de son père ; du moins elle y avait gagné que sa bru lui tînt compagnie. Il va sans dire qu'en allant de son côté, le comte de Boufflers accusait également sa femme de tous les torts ; l'usage sacré des récriminations est réciproque, en pareil cas ; seulement bien hardi qui prononce sur ces griefs contradictoires ! Même position et vie commune avaient fait comme deux sœurs de la belle-mère avec la bru ; elle s'aimaient par remords ou par consolation, mais à n'en vouloir pas démordre, et comme si la famille, le monde ne comprenait plus qu'elles deux. Un soir on demande à la plus jeune : – Si vous voyiez votre mère et votre belle-mère près de se noyer l'une et l'autre, et que vous pussiez sauver l'une des deux, laquelle choisiriez-vous ? Je sauverais ma mère, répond vite la comtesse ; – mais ensuite je me noierais avec ma belle-mère.
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