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RUE DE LA CLEF
Ve arrondissement de Paris (Histoire de Paris
rue par rue, maison par maison, Charles Lefeuve, 1875)
Notice écrite en 1858. La rue de la Clef s'appelait
encore rue Vieille-Notre-Dame et rue du Pout-aux-Biches à partir
de la rue d'Orléans, maintenant Daubenton. L'élargissement
et l'exhaussement font qu'elle commence du côté droit par
une place à bâtir, que suivent des constructions neuves,
et à gauche par un vieux mur, au pied duquel est gardé par
un petit escalier l'ancien niveau. Une place, en outre, s'est for¬mée
presque en face de Sainte-Pélagie ; elle prendra sans doute leom
de Monge, comme la rue nouvelle qui y fait parallèle à celle
de la Clef. Commençant : rue du Fer À Moulin, 22. Finissant
: rue Lacépède, 15. Historique. L'Enseigne. – La Prison. – La Gueuserie. – La Victime cloitrée de bonne Composition. – La Pension bourgeoise. – Michel Fourmont. – Henriot. -– L'Institution Savouré. – Le Clos du Chardonnet. – L'hôtel Danès. – L'Ogre municipal. On a bientôt dit d'une rue qu'elle est la filleule d'une enseigne. Celle-ci, ajoute-t-on, se serait brimbalée, rue de la Clef, entre deux fenêtres du n° 5. S'il s'agit du 5 d'à présent, la chronique semi-officielle court le danger de s'être trompée de porte, les titres de propriété de cet immeuble ne parlant même pas pour mémoire du signe particulier dont il s'agit. Pas plus de prétentions en face à cette paternité, dont la recherche n'est pas interdite. Trois maisons d'origine commune y venant la troisième, la quatrième et la cinquième à partir de la rue Copeau (Lacépède), étaient à Louise-Catherine Moreau, épouse séparée de biens de Pierre Lemerre, écuyer, avocat au parlement et du clergé de France, en 1763, et à Borderel de Caumont, prêtre quelques années plus tard. Probablement un serrurier s'était mis sous l'invocation que les captifs de Sainte-Pélagie ont dû souvent prendre pour un sarcasme. La Clef, quelle amère dérision ! Sainte-Pélagie en a des trousseaux, mais accrochés à des ceintures de geôliers : Prison pour dettes, elle a fait rire ; politique, elle a donné lieu aux récriminations et aux chansons. Mais on y enferme de nos jours, faute de Bérangers et de Courriers, des hommes de paille de la presse plus souvent que des jour nalistes, des ambitieux, ou plutôt des envieux, qui ne cesseraient d'être persécutés que pour devenir les plus ineptes, les plus lâches, les plus odieux de tous les persécuteurs, et puis des marchands à faux-poids, des laitiers trop chimistes, des gé rants de société en commandite sans compères dans la finance, des complices d'adultère, des médecins si peu autorisés à soigner des malades que leurs confrères à diplôme en tuent bien davan tage, des agents d'affaires auxquels on a confié quoi que ce soit, des usuriers ne prêtant qu'à la semaine, des cochers en contravention, des voleurs à leurs premières armes, des mouchards en apprentissage, etc. Cette prison a cessé d'être affectée à la détention pour dettes en 1834 ; une division à part y servait de maison de correction pour des garçons de catégories diverses, et une autre prison encore, ayant son greffe particulier, recevait dès lors des prévenus et des condamnés, accusés ou convaincus d'avoir commis des délits ou des crimes. La Révolution y avait fait en outre, des prisonniers politiques en beaucoup plus grand nombre que la Restauration, notamment Millin, naturaliste et archéologue, le peintre Hubert Robert et Mme Joséphine de Beauharnais. C'est même en 1792 qu'on avait converti en prison publique Sainte-Pélagie, qui ne renfermait sous l'ancien régime que des pécheresses repenties et non repenties, celles-ci dans une division dite le Refuge, qui relevait de l'Hôpital-Général, en se distinguant du couvent dans lequel entraient celles-là : Mme d'Aguil lon avait contribué à fonder en 1665 la communauté religieuse qui s'y était placée sous le patronage spirituel d'une comédienne sanctifiée par la pénitence. Sainte-Pélagie, ce purgatoire des moeurs, commença, par purifier et transformer, en l'absorbant, certain hôtel de la Gueuserie, dit aussi Zône et Jaune. Pierre Moue était encore propriétaire en l'année 1660 de la Gueuserie, qui comportait trois corps de logis, et autant d'arpents de jardin, à l'angle de la rue Courtoise et de la rue Françoise, qui faisait suite à celle du Puits-de-l'Ermite. Au nom bre des maisons voisines qui passèrent vers le même temps aux religieuses de Sainte-Pélagie et à l'Hôpital-Général, plusieurs n'étaient données ou vendues qu'en nue-propriété. Lépy, docteur en médecine, et sa femme, née Lemoyne en avaient encore l'usufruit, l'année 1731. La rue s'était appelée d'abord de Saint-Médard, en raison de l'église à laquelle elle conduisait ; puis était venue la dénomination de Courtoise, dont la clef nous échappe encore. La moitié des pensionnaires de Sainte-Pélagie s'y écrouait, de par le roi, pour sauver l'honneur des familles, ce qui pouvait être fort utile mais non pas fleur de courtoisie. Une des filles forcément repenties du Refuge était pourtant venue, avec le temps, à n'en plus vouloir à personne du séjour d'une année et demie qu'elle avait fait dans un, âge encore tendre, qui ne l'avait déjà montrée : que trop tendre à des tentations prématurées. Elle revenait rue de la Clef en 1805, après avoir usé et abusé de la plupart des autres années de sa vie, et c'était pour se retirer au n° 25, eu regard de son ancienne maison de correction, dans une de ces pensions bourgeoises comme il en reste plusieurs rue de la Clef. Elle avait nom Mme du Petitpas et environ quatre-vingt-cinq ans d'âge, bien qu'elle ne regrettât la perte que d'une seule de ses facultés. Est-il besoin de dire laquelle ? Comment s'appelait-elle Petitpas ? Point délicat à éclaircir, car elle appartenait à une honnête famille, qui n'avait pas même attendu la majorité de Louis XV pour faire casser un mariage clandestin que la petite avait contracté, en état de minorité, avec an Italien de passage en France, et déjà vieille elle avait convolé en second, puis en troisième divorce, sous les gouver nements républicains. Tous les jours elle montrait à Mme Simon, qui tenait la pension bourgeoise, le donjon sombre et sans croisées d'en face, en regrettant fort, si ce n'est le châtiment, de ne pouvoir plus l'encourir. M. Rousseau, notre estafette, tient ces détails d'une voisine, qui, en 1807, a vu mourir la mère Simon. La pensionnaire était fort saine d'esprit et de corps, en dépit d'une longue jeunesse ; mais il y avait alors sous le même toit un certain nombre de gens infirmes et, qui plus est, dans un corps de logis à part, cinq ou six fous et folles, gardés à vue. Le docteur Chansaud est mort centenaire dans cette maison de santé et de convalescence, dont il était le médecin, et qui de notre temps compte encore des pension naires, d'âge et de sexe différents, sous la direction d'une brave femme, Mme Vallon. Michel Fourmont, professeur de syriaque et d'éthiopien au Collège de France, membre de l'aca démie des Inscriptions et frère de l'orientaliste Étienne Fourmont, avait eu en 1738 une propriété, qui n'était séparée que par deux autres de celle dont Mme Lemerre disposait vingt-cinq ans plus tard. Henriot, chef de factieux, héros des journées de Septembre et agent de Robespierre, dont il a partagé las fin logea quelque temps rue de la Clef, dans une maison qui semble en disconvenir, tant son aspect est plein de sérénité ! Le nombre qu'elle affiche est 29. Cet Henriot, natif de Nanterre, domestique chez un procureur au parlement, qui l'avait renvoyé, s'était trouvé employé aux barrières, en qualité de commis, lorsque l'insurrection y avait apporté la flamme, dans la nuit du 12 au 13 septembre, et cet agent de l'octroi, craignant quelques mauvais traitements, avait cru plus prudent de se ranger parmi les incendiaires : tels avaient été les débuts du promoteur de tant d'insurrections ! Du jour on heurtait violemment à la porte du n° 9, chez M. Savouré, chef d'une institution de jeunes gens, qui vint lui-même savoir ce qu'on voulait. C'était l'affreux voisin Henriot et plusieurs autres terroristes, ayant à lui intimer l'ordre de faire dîner ses élèves dans la rue. Les tables furent bientôt disposées, pour obéir à ces traîneurs de sabres, parlant au nom de la Nation ; mais Mme Sa vouré refusa prudemment l'argenterie et eut l'idée de servir aux élèves des mets qu'ils pussent porter aux lèvres sans se servir de cuillers ni de fourchettes ; le fromage et les artichauts firent donc les frais de ces agapes par ordre. Déjà une irruption pareille du citoyen Henriot avait eu pour objet d'ordonner au maître de pension la destruction d'un certain nombre de bustes qui décoraient la façade sur la rue, et qu'il prenait pour des figures de saints ; or ces malheureux plâtres représentaient des dieux de la fable, et même, du côté de la cour, il en a été conservé huit ou dix, dont ne différaient aucunement les premiers. La pension Savouré fut fondée rue Copeau, vers 1730, sous les auspices d'une compagnie de professeurs jansénistes, qui avaient pour supérieur Besoigne, successeur de Durieux et de Gillot, et qui étaient expulsés de Sainte-Barbe, à l'instigation des jésuites de Louis-le-Grand, leurs adversaires. Depuis 128 ans, de père en fils, les Savouré dirigent la maison, et cette dynastie tend à se perpétuer. Jean-Louis Savouré Ier eut dix-sept enfants d’un seul lit ; Jean-Baptiste en compte onze. En sa qualité de janséniste, Rollin accorda, dès le principe, son patronage aux Sa vouré ; il leur prodigua ses conseils et ses en couragements, et le fait est qu'ils ont mis en honneur les doctrines de son Traité des Études. « L'honneur est l'âme de tous les arts, disait l'illustre recteur de l'université de Paris, mais dû nôtre principalement. Quels que soient les préjugés d'un siècle corrompu par la frivolité, il n'est rien de plus grand que notre profession ; rien qui exige des sentiments plus purs et plus élevés. C'est l'esprit et non le corps qui est confié à nos soins. Un père remet son fils a entre nos mains ; il demande que, nous cultivions son esprit, que nous formions son coeur à la vertu, que nous y gravions les principes de la religion et de la piété. Quel emploi ! Est-il des fonctions plus nobles et plus excellentes ? » (Opuscules de Rollin, tome Ier, p. 430.) Presque seul des établissements d'éducation, celui que tenait les Savouré résista sans interruption aux crises de la Révolution, en substituant des cours particuliers à ceux des collèges de Lisieux et de Montaigu, dont l'exercice se trouvait supprimé. Son droit de chapelle datait de la création ; Napoléon Ier le sanctionna, et récemment Pie IX le confirmait. Des élèves remarquables de cette institution citons le prince Jérôme Bonaparte, frère de Napoléon Ier, l'amiral Baudin, Gay-Lussac, les généraux de Grouchy, fils du maréchal, MM. Naudet, d'Houdetot, Delécluze et Silvestre de Sacy, les docteurs Chomel, Donné et Vernis, l'architecte jougevin. M. Lacroix, professeur, n'est-il pas une étoile de plus pour cette pléiade ? Il a mis au jour une notice historique sur la maison, berceau de ses études, au temps où l’auteur du présent ouvrage publiait, de son côté, un livre sur l'ancienne Sainte-Barbe. Grâce à M. Lacroix, nous savons notamment que la pension Savouré fut transférée dès 1779 dans le local qu'elle occupe maintenant. C'était d'abord l'hôtel Danès, qui a passé dans la maison de Rohan avant que les Savouré, l'acquissent : jusque-là rien qui nous taquine. Mais, la notice ajoute que Pierre Danès, précepteur de François II, puis évêque de Lavaur, fut propriétaire rue de la Clef, et rien dans son architecture, dans ses décorations à l'intérieur, n'autorise à croire du XVIe siècle l'édifice, qui nous a plutôt l'air contemporain d'un autre Pierre Danès, curé, auteur de plusieurs dictionnaires, décédé en 1709. Trois plans de Paris vont passer sous nos yeux ; cherchons-y cet hôtel Danès. La carte de' 1652 -n'en souille pas mot. Aucun trait ne l'indique davantage sur le plan de 1714, dans lequel figure, un corps de garde fran çaise, au coin de la rue d'Orléans, et qui compte en tout, rue de la Clef, 23 maisons. Interrogeons encore la topographie de Paris en l'année 1739, même absence de désignation. Décidément il y a erreur de date. Vers l'endroit où se carre encore cette maison, cinq autres avaient été anciennement bâties sur la Villeneuve-Saint-Réné, quartier de terre dit aussi le clos du Chardonnet ; elles avaient dû 60 livres tournois de rente, pour une partie desquelles Nicolas Bouchinet, charcutier, avait passé reconnaissance en 1548 à Raphaël d'Albiac, fils de Louis, seigneur du même fief. Le Canon, vicaire de Choisy-sur-Seine, avait succédé au charcutier, puis Marin Noël, puis Dauphin, archer de la connétablie, puis le fils de l'archer, sieur de Sainte-Marie, qui avait vendu en 1643 à Pierre Crochet. De 1747 à 1770, si ce n'est davantage, la pro priété appartenait à Antoine-Pierre-Hilaire Danès, comte de Suris, baron de la Mothe, conseiller au parlement, puis conseiller royal et président de la cour des Aides, puis gouverneur de Saint-Denis et enfin lieutenant général de la ville, pré vôté et vicomté de Paris. L'ancien hôtel de ce grand personnage est menacé de perdre une portion de son joli jardin, et les pensions bourgeoises placées sur la même ligne doivent être également écornées : le percement probable d'une rue nouvelle met en émoi tout le quartier. Il est de fait qu'on y trouve encore de la verdure et que les squares y sont tout faits. – Grâce pour mes arbres ! Épargnez mon
gazon ! s'écrie plus d'un propriétaire. Malheureusement il y a un ogre dans cet omni potent préfet qui ne se soucie d'aucune des traditions conservatrices de l'édilité, et l'ogre se bouche les oreilles.
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