Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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RUE TAITBOUT
IXe arrondissement de Paris

(Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, Charles Lefeuve, 1875)

Notice écrite en 1858. Commençant : boulevard des Italiens, 22. Finissant : rue d'Aumale, 17. Historique : précédemment rue du Houssay, entre les rues de Provence et de la Victoire ; rue des Trois Frères, entre les rues de la Victoire et Saint-Lazare. La place Adrien Oudin faisant précédemment partie de la rue Taitbout. Origine du nom : Jean-Baptiste Julien Taitbout, né à Paris en 1690, était greffier de la Ville lorsque cette voie fut commencée (1775).

Bougainville, Thénard, Talleyrand, Mme Grande, Parny, de Jouy, les Magny, Le Peletier du Houssay, Taitbout, La Michodière, Bouret de Vézelay, Fleurieu, Ouvrard, Aguado, Ed. Renaud, Dantan, Lablache, Mlle Déjazet, Mlle Flore, Tortoni, de Brancas, lord Seymour, Mlle de Villoutreys, Démidoff, Angilbert et Guéras.

Quand la constitution de l'an VIII se promulgua, Bougainville et Thénard, les deux savants, logeaient au cul-de-sac dont l'émancipation n'avait pas encore fait la rue du Helder. L'Institut donnait à Bougainville pour collègue le premier consul, qui devait le nommer sénateur, comte de l'Empire ; il avançait déjà dans ce voyage de la vie qui se décomposa pour lui en tant d'autres ; et, à titre de fils d'un échevin, il avait de bonne heure contracté des liaisons avec la famille de Taitbout, greffier du bureau de la Ville. Ces relations suivies avaient même fait attribuer au grand navigateur un Essai sur l'ire d'O-Taïti, qui était l'oeuvre d'un Taitbout. Les croisées de Thénard et de Bougainville donnaient à la fois sur la rue Taitbout et sur son impasse.

M. de Talleyrand, autre membre de l'Institut, sortait fréquemment à cheval du n° 30 de la rue, précédemment hôtel d'Orsay, avec Mme Grandt, une Indienne, veuve d'un administrateur de la compagnie des Indes. Le ministre du Directoire, ayant donné sa démission à temps, revenait aux affaires grâce au 18 Brumaire. Le premier-consul vit d'abord avec l'indifférence d'un Athénien que l'ancien évêque d'Autun donnât à des femmes, en public, le bras auquel était confié le portefeuille des relations extérieures ; il ne dit qu'après réflexion à son ministre :– Finissez-en avec Mme Grandt.... M. de Talleyrand, n'étant pas homme à se complaire aux longs attachements, se proposait précisément de rompre ; mais, dans le désir qu'il avait de n'obéir et de ne désobéir qu'incomplètement à l'ordre ainsi reçu, il trouva un biais : le mariage. Le contrat fut signé sans bruit, comme un testament, rue Taitbout. Un bref de Pie VII, il est vrai, relevait peu de temps avant, ou peu après, l'homme d'église de ses premiers voeux ; seulement, la question de l'hyménée n'y étant que sous-entendue, M. de Talleyrand ne fit accueillir qu'avec difficulté Mme Grandt aux Tuileries.

Macdonald et Français de Nantes avaient un peu plus tard leur protégé, l'élégiaque et l'érotique Parny, dans l'ancienne maison du ci-devant marquis de Mesnil. C'était, ma foi, le n° 25, où un autre homme d'esprit, Nestor Roqueplan, avec délices Parisien, né au surplus, dans le Marais, a pris, avec un intervalle de quelques lustres, la survivance da poète qui a pleuré souvent avec les femmes, mais badiné toujours avec les dieux. Le faubourg Poissonnière, au reste, fut aussi habité par M. de Parny, auquel Napoléon finit par accorder une rente de 3,000 fr. : pension, pensionnaire et Empire, tout s'éteignit en même temps.

Il ne fallut pas loin courir pour remplir à l'Académie le fauteuil devenu vacant. M. de Jouy, dont le couvert n'était plus mis, avec ceux de Jay et de Tissot, aux déjeuners de Savary, dans le futur hôtel Laffitte, n'en vivait pas moins en ermite de la Chaussée-d'Antin, au 67 de notre rue. Mais elle s'appelait par-là rue des Trois-Frères, le percement en étant dû à l'année 1778, sur l'initiative de M. Magny de Maisonneuve, avocat, et de ses deux frères. Le père Murger, portier de l'académicien, était tailleur ; il a donné le jour à Henry Murger, le bohème par excellence de la littérature. On ne remarquait dans la rue des Trois-Frères que la maison Castéra (Brunet fecit 1802) et la maison Biteaux (Blanchard, 1795).

Pour mettre en communication la rue Taitbout primitive avec celle des Trois-Frères, M. Le Peletier du Houssay avait ouvert, en même temps que celle-ci, la petite rue du Houssay. L'unification trinitaire est de 1853.

La rue Taitbout d'auparavant n'avait sur les deux rues y faisant suite que trois ans de primogéniture ; celles d'Artois (Laffitte) et de Provence étaient, au contraire, ses aînées de plusieurs années. L'autorisation manquait, encore au projet de la former quand Jean-Baptiste-François de la Michodière, chevalier, comte d'Hauteville, prévôt des marchands, et ses échevins, vu la requête présentée au roi par Bouret de Vézelay, trésorier-général de l'artillerie et du génie, peur obtenir d'ouvrir une nouvelle rue sur un terrain acquis par lui à titre d'emphytéose des Religieux Mathurins à droite du chemin de la Grande-Pinte dite Chaussée d'Antin, laquelle rue prendrait son ouverture sur le Rempart, vers l'issue de la rue de Grammont, entre la rue d'Artois et la Chaussée d'Antin, à travers un terrain appartenant propriétairement audit sieur Bouret de Vézelay et tenant audit Rempart, serait continuée sur ledit terrain acquis des Mathurins au grand égout, ainsi qu'elle est tracée sur le plan joint à ladite requête, demandaient que la nomination de cette rue leur fût réservée si Sa Majesté n'y pourvoyait pas par ses arrêt et lettres-patentes. Il souriait aux édiles d'en choisir le parrain dans la famille municipale, et le greffier du bureau de la Ville eut l'honneur de fixer leur choix.

Quant à Bouret, qui mourut secrétaire du roi en 1777, il ne fut pas le seul fermier-général de son non. Le père de ce financier avait été laquais de Ferriol, ambassadeur à la Porte, et avait épousé une femme-de-chambre de Mme Ferriol. Sa famille possédait encore le n° 9, dans la seconde moitié du règne de Louis XVI, et deux maisons peu importantes, que séparait l'une de l'autre l'hôtel du comte de Vasan, à-peu-près en face du 25.

Il y eut aussi, avant la Révolution, un hôtel de Caumont rue Taitbout. M. de Fleurieu était au n° 20 : il ne devint ministre de la marine qu'en 1790, et lorsqu'il cessa de vivre, vingt ans après, il était sénateur, membre de l'Institut. Mme la Live se trouvait au 40, mis depuis lors en communication avec l'hôtel qui le touche par-derrière. La banque d'Ouvrard, fameux munitionnaire, occupa le n° 11, mais, à partir du Directoire.

Une petite-maison du dernier siècle figurait bien encore, sous Louis-Philippe, au n° 44 : un salon y formait rotonde à l'angle des rues Taitbout et de Provence. M. Aguado y meubla une danseuse de l'Opéra et ajouta le contenant au contenu en la rendant propriétaire. Lorsqu'un autre acquéreur voulut augmenter le revenu de l'immeuble, un tour de force s'y exécuta : le locataire du premier continuait à dormir sur les deux oreilles, pendant qu'on refaisait deux étages sous le sien et qu'on le surchargeait de trois étages supérieurs. Les amateurs y apprécient les bas-reliefs qui surmontent les croisées, et le vestibule de la cour présente lui-même un beau travail. L'honneur en revient à M. Ed. Renaud, contrôleur en chef des grands travaux de la Ville, qui en architecture est un artiste. Quel joli logement il occupe en haut de la maison ! On y remarque une cheminée, pleine d'originalité, où soufflent deux petits démons plus, haut est l'Amour qui s'échappe, après avoir allumé son flambeau : il fuit le foyer domestique, où il n'a pas brûlé ses ailes, car une glace les montre tout ouvertes. Dantan jeune, ami de M. Renaud, n'a pas craint de commettre un calembour de plus, en disant de cette oeuvre d'art : – Quand tu feras, mon cher, un autre Amour, ne lui mets plus, le derrière à la glace !

Le 16 doit être bien bâti, car le gros Lablache y logeait. Mlle Déjazet, ce colibri de la scène, pèse infiniment moins au 5. Mlle Flore, sous l'Empire, a été mise dans ses meubles par un gros fermier de la Brie, au-dessus même de Tortoni. Le propriétaire de l'immeuble était alors M. Mallet, qui n'y avait pas succédé directement à M. de la Reynière. Tortoni, mort en 1822, avait fondé pendant la République son illustre établissement.

L'ancien hôtel de Brancas, au coin du boulevard, recevait naguère le dernier soupir de lord Seymour, le dandy populaire des carnavals parisiens d'avant Chicard et d'avant Gavarni. La marquise d'Hertford, mère de milord, avait acheté l'immeuble qui, d'après l'acte du notaire Dehérain, en date du 15 mai 1825, provenait de la Nation et des mathurins. Les religieux mathurins avaient vendu à Bouret de Vézelay le terrain sur lequel MM. de Brancas-Lauraguais avaient fait bâtir, et l'hôtel avait pu, comme bien d'émigré, revenir à l'État, substitué du reste aux mathurins, qui n’avaient pas aliéné la totalité de leurs droits. Toujours est-il que Trudaine et Charles de la Sablière s'étaient rendus propriétaires de la maison et de ses dépendances en février 1792. MM. Lefeuve et Habert, prédécesseurs de la marquise, avaient donné en échange la terre de la Jonchère à la comtesse de Villoutreys, épouse divorcée du général Rapp en premières noces, et cette dame avait eu pour vendeurs en juillet 1820 M. Le Cornu, comte de Balivière, et sa femme, née Bouvard. Dans l'appartement de lord Seymour, le prédécesseur de sa mère avait été le baron Cardon, qui venait lui-même après le comte Nicolas Démidoff, dont un fils épousa en 1840 la princesse Mathilde Bonaparte.

Angilbert et Guéras avaient cependant ouvert au rez-de-chaussée le café de Paris, plus salon à manger que restaurant, haut de plafond comme dans un château, et il était de meilleur ton de s'y montrer qu'en tout autre cabaret du monde. Ce lion des cafés a vécu 36 ans : tous les lions meurent-ils aussi vieux ? Trop gentilhomme pour laisser des économies, il avait encore fait plus de réputations qu'il n'avait contribué à défaire de fortunes.

 


 

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