Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
magazine d'histoire, chroniques anciennes, le Paris d'antan, périodiques du passé
de la rubrique
Rues/Places
CLIQUEZ ICI

RUE, QUAI DES GRANDS-AUGUSTINS,
RUES GIT-LE-COEUR ET DE L'HIRONDELLE.
VIe arrondissement de Paris

(Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, Charles Lefeuve, 1875)

Notice écrite en 1860. Le marché de la Vallée a été supprimé depuis, et maintenant la volaille se vend principalement aux Halles centrales. La formation d'une nouvelle place Saint-Michel a fait tomber les premières maisons du quai des Grands-Augustins et presque toutes celles de la rue de l'Hirondelle, qui ne serait plus qu'une impasse de la rue Gît-le-Coeur sans les arcades qui la relient à la place, comme un passage. Rue des Grands Augustins : commençant : quai des Grands Augustins, 51. Finissant : rue Saint-andré Des Arts, 52. Historique : on la nommait, en 1269, rue de l'Abbé de Saint-Denis puis, du Collège Saint-Denis, des Ecoles Saint-Denis, des Ecoliers de Saint-Denis, des Charités Saint-Denis. La partie près de la rue Saint-andré Des Arts aurait porté anciennement les noms de rue de la Barre, des Barres et de l'Hôtel de Nemours. Quai des Grands Augustins : commençant : pont et place Saint-michel, 2. Finissant : pont Neuf et rue Dauphine, 1. Historique : très ancienne voie successivement appelée : rue de Seine ou rue de Seine allant aux Augustins (1389), rue du pont Neuf, rue du Pont Neuf qui va aux Augustins, rue des Augustins (1444), quai des Augustins, quai de la Rivière, quai de la Vallée. La partie comprise entre la place Saint-michel et la rue Gît-le-Cœur formait la rue du Hurepoix, supprimée en 1806. Origine du nom : couvent des Grands Augustins, ainsi qualifié par opposition au monastère des Petits Augustins. Rue Gît-le-Cœur : commençant : quai des Grands Augustins, 23. Finissant : rue Saint-andré Des Arts, 28. Historique : depuis le XIIIe siècle, elle a porté les noms de rue Gilles le Queux ou Guy le Queux (1275), Gui le Preux, Gui le Comte (XIVe siècle), en 1540, Gilles Queux et Guille Queulx, Villequeux, Villequeux Gui, Lequeux, Gilles le Cœur (Corrozet) et Gist le Cœur. Elle a aussi été désignée sous les noms de rue des Deux Moutons et, en 1639, de rue du Battoir. Elle aurait été appelée rue du Rasoir. Origine du nom : corruption de rue Gilles le Queux (le cuisinier).

Le Couvent des Grands-Augustins. – Les Hôtels d'Hercule, de la Salamandre, de Savoie, d'O, de Luynes, des Charités-de-Saint-Denis, de Saint-Louis, Lecoigneux, de Cofltans et de Bussy. – Les Collèges d'Autun et de Sarre-Denis. – Et leur Entourage.

Avant que Philippe-le-Bel fît établir le quai où nous abordons des saules y bordaient la Seine de leurs troncs, souvent creux, et de leurs branches flexibles. Le siècle suivant y vit les augustins succéder à des frères de la Pénitence-de-Jésus Christ, dits sachets, que saint Louis y avait placés. Les nouveaux-venus avaient été voisins de la porte Saint-Bernard et de la porte Montmartre ; leur monastère définitif ne s'acheva que sous Charles V. De l'histoire de France fait partie celle du couvent dont nous nous entretenons, dépositaire des archives des ordres de la noblesse et des ordres du roi : les assemblées du clergé s'y tenaient, Henri III y présida le chapitre des chevaliers du Saint-Esprit, Marie de Médicis y fut saluée régente, la chambre des comptes et plusieurs chambres de justice en occupèrent les grandes salles.

Ainsi furent condamnés en 1716 aux Augustins, comme coupables de malversations, les traitants Geoffrin, Leriche, Luillier, Aviat, Crozat, Poisson, Daugny, Hénault, Rouillé et autres ; mais leur maltôte, une fois les taxes payées, déshonorait moins les coupables que s'ils avaient volé des objets de peu de valeur à des particuliers. De l'église, dédiée à sainte Anne en 1443, où furent enterrés Philippe de Commines, Rémy Belleau, le seigneur de Pibrac, Eustache de Caurroy, et qui longeait le quai à l'endroit occupé par le marché à la volaille, rien ne reste debout. Les religieux du cru n'ont pas même justifié, en 1790, de l'envie de résister que supposait ce vers de Boileau :

J'aurais fait soutenir un siège aux Augustins.

Il subsiste pourtant un assez bon nombre des maisons qui formaient le pourtour et les dépendances du monastère ; les murs de son réfectoire s'y reconnaissent, qui plus est, sur le derrière, entre les rues du Pont-de-Lodi et Christine. Le surnom de la Vallée s'appliquait déjà sous l'ancien régime à la portion du quai des Augustins où se vendaient en plein vent, le long de l'église, le beurre, les oeufs et la volaille. Il y stationnait, dès 1691, des calèches attelées, qu'on prenait à 20 sols l'heure.

Quelques-unes des fenêtres qui donnent sur le quai, entre le marché actuel et la rue Dauphine, doivent avoir éclairé le travail de Bérey, enlumineur du roi à l'enseigne des Deux-Globes, dont le plan de Paris se dessinait avant la mort de Mazarin. Une dame Truchet, qui, du temps de Necker et de Turgot, regardait l'eau couler au même endroit, sans sortir de chez elle, et qui se faisait vieille, avait été la Hantier de l'Opéra. Difficile de reconnaître eu cette bonne femme une beauté, qui avait eu tant de galants à ses trousses ! On eût dit qu'elle oubliait tout, voire même la nuit où le prince de Carignan, son amant en titre, avait surpris au lit, dans l'appartement dont il avait une clef, le fermier-général Leriche de la Popelinière, brutalement, tiré de bonne fortune, puis exilé pour trois mois à Marseille par une mission du cardinal Fleury.

A l'autre angle de la rue des Grands-Augustins se carrait, sous François Ier le grand logis du chancelier Duprat, qui le tenait de Louis XII et que remplaçait le prévôt Nantouillet sous les règnes suivants. C'était l'hôtel d'Hercule, à cause de peintures ou de tapisseries qui représentaient à l'intérieur les travaux de ce demi-dieu. « En septembre 1573, dit l'Estoile, j'ai vu nos trois rois, celui de France, celui de Pologne, celui de Navarre ; ils mandèrent à Nantouillet, prévôt de Paris, qu'ils voulaient aller prendre la collation chez lui, comme de fait ils y allèrent, quelques excuses que sût alléguer Nantouillet pour ses défenses. Après la collation, la vaisselle d'argent de Nantouillet et ses coffres fusrent fouillés, et disait-on dans Paris qu'on lui avait volé, plus de cinquante mille livres. » Procéder ainsi par surprise, même pour se faire justice, était-ce digne de tout autre roi que de celui qui avait présidé à la Saint-Barthélemy ?

L'hôtel de Nemours a pris la place de celui d'Hercule, en en retenant beaucoup plus qu'un pavillon. Mais de cette conversion étaient indépendantes deux maisons qui appartenaient sur la fin du règne de Louis XIV, à Ferget, comte de Bruillevert, grand-maître des eaux-et-forêts, avec porte sur le quai et porte sur la rue. Un peu plus loin des Augustins, mais aussi près de la rivière, les d'Ourset, correcteurs des Comptes de père en fils, touchaient à Guérin d'un côté et de l'autre au marquis de Novion, époux en secondes noces d'une Le Boulanger.

Aujourd'hui se remarque davantage une façade, décorée de jolis dessus-de-croisées et sur laquelle se prend la devanture de la librairie académique de Didier, à l'angle de la rue Pavée (présentement rue Séguier). Le procureur Martin acquérait, en 1700, des familles Feydeau et Montholon, cette propriété et la contiguë, que décore le balcon d'un appartement qui fut celui du mathématicien Laplace, sous le Directoire. L'autre angle de la même rue passait, sous Louis XIV et sous Louis XV, de Revelois en Revelois : l'un d'eux était marchand rue Saint-Denis, ce qui n'empêchait pas tantôt un avocat, tantôt un médecin, de se qualifier M. de Revelois, seigneur de Buire, dans les actes. Pierre Martin, sieur de la Guette, maître des-comptes, avait une maison à côté, niais résidait rue Sairit-Avoye. Émery, libraire, en tenait deux autres de Saint-Simon, marquis de Sandricourt, et de Lemaistre de Bellejamme, conseiller au parlement ; ses affaires devenant mauvaises, patatras ! Expropriation. Bailly, doyen de la chambre-des-comptes, était propriétaire au coin de la rue Gît-le-Coeur, un peu avant l'avènement de Louis XVI.

Mais, un instant ! Ne passons pas devant le n° 25 où la Salubrité eut ses bureaux sous Louis-Philippe, sans vous dire que son origine, malgré cela, fut d'un logis- royal. François Ier le fit construire, pour s'y rapprocher d'un hôtel habité par la duchesse d'Etampes.

Ce dernier, qui se revoit encore dans la rue de l'Hirondelle, s'étendait jusqu'à l'autre encoignure de la rue Gît-le-Coeur. Seulement la rue de Hurepoix n'était pas encore absorbée par le quai parallèle, qui devait s'en incorporer avec le temps tout un côté, dans ces parages. Une Salamandre est restée le signe caractéristique de cette maison historique, achetée par le roi-chevalier pour faire plaisir à sa maîtresse, qui y demeurait déjà, et décorée en l'honneur de la belle de peintures à fresque, de tapisseries et de devises, dont il ne reste rien de plus tangible que de la salle de bain et du jardin. L'auguste amant aurait pu y donner la fameuse inscription gravée de sa main sur une vitre cette Variante : Souvent, maison varie !

Celle-là, en effet, avait appartenu à Louis de Sancerre, connétable de France, dont les prédécesseurs y avaient réuni le séjour des évêques de Chartres ; Deuvet, maître-des-requêtes, avait ajouté à cela une maison en regard d'une ruellette qui descendait à la rivière.

Après avoir favorisé de royales amours, le tout se divisa en hôtel d'O, dont une porte se retrouve au de la rue Gît-le-Coeur, et en hôtel de Luynes, duquel a dépendu le n° 17 du quai. Le chancelier Ségnier, pendant la Fronde, pensa y être assassiné ; mais des soldats, déguisés en maçons, n'y découvrirent pas sa cachette, dans une chambre où son frère l'évêque de Meaux, réfugié avec lui, se hâtait de le confesser : les assaillants s'en consolèrent en saccageant le reste de la maison. Le mariage de la fille du chancelier avec le duc de Luynes réunit un hôtel à l'autre encore une fois.

Dix lots en étant faits par Albert de Luynes, duc de Chevreuse, l'année 1671 ; l'un convint à Berrier, secrétaire du conseil, et de nouvelles constructions commencèrent, mais en respectant le plus possible des anciennes circonstance oubliée toujours par les auteurs des ouvrages sur Paris, qui n'aiment pas à tenir compte de la répugnance que nos pères avaient pour la démolition. Bernier, lieutenant de police, hérita donc le 5, Gît-le-Coeur, de son grand-père. Un hôtel, nouvellement dit de Saint-Louis, s'étendait rue de l'Hirondelle et comportait sans doute la Salamandre, mais avec une entrée rue Gît-le-Coeur ; il fut adjugé en 1689 au duc de Nivernais, ministre d'Etat, lieutenant-général, académicien, etc., qui demeurait rue de Tournon. Les Thumery de Boissise, que nous avons vus rue Barbette, et M. de Lespine, le premier acquéreur d'un des dix lots, divers membres de la cour des comptes et Gueffier, imprimeur-libraire, avaient aussi pignon sur cette rue, qui devait son nom à Gilles Coeur, ou bien à Gilles, queux du roi.

Ne quittons pas celle de l'Hirondelle sans reconnaître en ses n° 23, 25 et 27 l'ancien collège d'Autun, dont une face regardait l'église Saint-André-des-Arts, mais qui, dans le sens opposé, confinait à une maison, portée à son avoir, baillée en location et décorée de l'image patronale de la rue, une Hirondelle. Cette pédagogie a été fondée en 1341 par le cardinal Bertrand ; deux antres bienfaiteurs de l'institution ont été Oudart de Molins, président en la chambre des comptes sous Charles VI, et André de Sauséa, évêque de Bethléem et principal du collège sous Louis XIII. Après la réunion des petits collèges à Louis-le-Grand, on a mis au collège d'Autun l'Ecole gratuite de dessin pour ne la transférer qu'en 1770 à Saint-Côme, où elle est encore.

Le cardinal Bertrand n'avait connu le quai voisin que sous la -dénomination de rue. de Seine. Quant à la rue des Grands-Augustins, elle a été celle à -l'Abbé-de-Saint-Denis, alias des Écoliers-de-Saint-Denis. Un collège, en effet, sorte de séminaire de l'abbaye, a été établi par Matthieu de Vendôme, abbé de Saint-Denis, avec une maison de ville pour ses officiers, entre les rues Contrescarpe (rue Mazet), Saint-André-des-Arts, Dauphine, Anjou-Dauphine (rue de Nesles), Christine et de Savoie, ces quatre dernières n'existant pas encore. Il s'en projetait même quelque chose sur l'autre aile de la lue des Grands-Augustins, et un passage sous terre menait de la grande propriété à la petite, que le plan de Paris en 1652 qualifiait encore hôtel des Charités-de-Saint-Denis. Le trésorier de l'abbaye y avait gardé ses bureaux. Or le n° 25 avait pour occupant un loueur de carrosses, au XVIIIe siècle, et n'était séparé de ladite aumônerie que par le 23, dont la porte déploie ses battants à gros clous sans montrer aux passants son bouquet d'arbres, qui n'est pas seul à survivre par-derrière au jardin de la trésorerie des moines. Le corps de bâtiment où se retrouve encore, dans l'ancien hôtel des Charités, un escalier à balustrade en chêne, remonte sans doute à Matthieu de Vendôme.

Plusieurs historiographes se débarrassent pareillement de l'hôtel de Nemours et de Savoie, en disant qu'il n'existe plus depuis que la rue de Savoie est ouverte. Il y avait seulement des écuries entre les Charités et cette résidence princière, quand Charles-Amédée, duc de Savoie, de Génevois, de Nemours et d'Aumale, en hérita, avec son frère Henri de Savoie. La duchesse de Savoie, fille de Charles-Amédée, la divisa pour s'en défaire, en 1670 ; mais les morceaux n'en étaient pas mauvais. Les mansardes du 7 ne s'affaissent pas encore sur ses deux étages, hauts de plafond ; un escalier de figure seigneuriale y fait monter sa vieille rampe en fer jusqu'à une librairie ancienne, où l'in-folio domine sur les rayons, et le 5, où demeurent MM. Pillet, qui impriment, le Journal de la Librairie, depuis 1812, et le Journal des Villes et Campagnes, n'a été que refait pour Mlle de Bretteville, propriétaire des deux hôtels habités antérieurement par des princes de Garignan, autrement dit par la maison de Savoie.

Mlle de Bretteville a eu pour héritière sa cousine, Mlle de Conflans, qui a donné, par testament, en 1761, à Louis de Conflans, marquis d'Armentières, lieutenant-géné ral, toute sa fortune et notamment le 5, devenu l'hôtel de Conflans-Carignan ; mais la défunte avait réservé, quelques legs, en laissant notamment à Brière de Bretteville une propriété de la rue des Grands-Augustins qui avait la même origine, c'était probablement le 7. Des lucarnes à la Ducerceau recommandent à notre attention une façade en briques au n° 3, même rue ; nous avons peine à croire que jusque-là pût aller l'hôtel de Nemours. Elle a été timbrée des panonceaux du notaire Laideguive, et ce tabellion, y succédant comme propriétaire aux Dupré de Saint-Maur maîtres-des-comptes, devait en savoir plus long que nous sur l'origine de son logis, qui s'était probablement détaché de l'hôtel d'Hercule.

Du côté des chiffres pairs, en face de la rue de Savoie, les initiales E. B. s'entrelacent dans la grille d'une terrasse ; elles voudraient rappeler que la maison a été l'hôtel de Bussy : on y entre par la rue Christine. Matthieu Feydeau, docteur en Sorbonne et curé, plusieurs fois exilé comme janséniste enragé, n'avait que l'usufruit du n°18 ; sa soeur en avait transporté la nu-propriété au couvent de la Conception, dans lequel elle s'était retirée, à l'Assomption. Claude Feydeau de Marville, lieutenant aux gardes, était possesseur du 22. Enfin Barberie de Saint-Contest, que protégea plus tard Mme de Pompadour et qui devint ministre des Affaires-Etrangères, eut pour locataire un évêque, au fond du n° 26.

 


 

:: HAUT DE PAGE    :: ACCUEIL

magazine d'histoire, chroniques anciennes, le Paris d'antan, périodiques du passé
de la rubrique
Rues/Places
CLIQUEZ ICI