Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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RUE DU CLOITRE-NOTRE-DAME
IVe arrondissement de Paris

(Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, Charles Lefeuve, 1875)

Notice écrite en 1859. La rue à l'étude n'avait pas encore perdu deux ou trois de ses maisons anciennes à l'angle de la rue de la Cité. Commençant : quai de l'Archevêché et quai aux Fleurs, 1. Finissant : place du Parvis Notre-Dame et rue d'Arcole, 23. Monument classé : cathédrale Notre-Dame. Historique : la partie comprise entre le quai de l'Archevêché et la rue Chanoinesse s'est appelée rue Bossuet. Pendant la Révolution, rue du Cloître de la Raison. Origine du nom : la partie de cette voie comprise entre la rue Chanoinesse et le parvis était située dans l'ancien cloître Notre-Dame.

Dans quelles conditions s'y menait la vie de chanoine.

Une loi du 24 août 1790 déterminait la position nouvelle de ces propriétés du cloître Notre-Dame dont les titres principaux étaient un bref de Benoît VII et des lettres patentes de Lothaire ; la Nation, moyennant le payement d'un sixième de leur valeur estimative, les affranchissait des conditions particulières qui avaient voulu perpétuer leur transmission de chanoine à chanoine. L'Assemblée nationale, avant d'émanciper l'avenir de cette mainmorte ecclésiastique, s'était enquise du passé et nous allons sonder, comme elle, les arcanes d'une situation amphibie, qui était, plus que de l'usufruit, moins que de la toute-propriété, pour les chanoines dont les 33 maisons du cloître portaient les 33 noms. On disait à coup sûr : Maison Cochu et maison Farjonel.


Et, en effet, elles étaient dans le commerce ; impossible de les prendre pour des fonds de bénéfices ecclésiastiques ; on ne les achetait pas du chapitre, mais d'un chanoine, en présence du chapitre, sans énoncer les conditions du marché. L'un disait à la compagnie : – Je vends ma maison ; l'autre : – Je l'accepte, et le chapitre prenait acte, approuvait, en touchant, le titre de seigneur, cent sols de lods et ventes, qui se partageaient entre les capitulants. Chaque chanoine, il est vrai, ne devait posséder qu'une maison ; mais ils étaient 51, et toutes les maisons situées dans le périmètre du cloître, dont les rues étaient entretenue, par le chapitre, ne se trouvaient pas canoniales. Quand le chanoine était mort ab intestat, le bureau du chapitre ouvrait une enchère, et les droits, de mutation s'élevaient au cinquième du prix ; si, avant de mourir, le chanoine avait disposé in extremis de sa propriété, par-devant les commissaires du chapitre pour la validité c'est le dixième qui revenait aux capitulants ; dans ces deux cas, au reste, les créanciers primaient les héritiers, quant à la portion disponible. Tout cela était si connu qu'un chanoine empruntait avec la plus grande facilité, soit pour acquérir une propriété dans le cloître, soit pour la réparer ensuite.

Ils avaient presque tous des dettes, mais solidement hypothéquées, puisque leurs maisons valaient, en général, de 60 à 100,000livres. Celle de M. Bochard, décédé peu de temps avant la promulgation de la loi nouvelle, lui avait coûté 79, 400 fr., et il y avait fait pour 60,000 fr. de réparations dans l'année de l'acquisition ; celle de M. Montagne, doyen, revenait de la même façon à 74,000 livres, plus 30,000, et il n'en était pas différemment pour les logis des chanoines Dumarsais, Desplasses, Leblanc, Viet, Delon et de Bonneval. Différentes conclusions capitulaires avaient été prises en 1776 en 1766 et en 1745 pour régler différents usages que le temps avait consacrés, avec la sanction des autorités spirituelle et temporelle ; toutefois les statuts et règlements conservaient au chapitre pris en corps le titre de propriétaire foncier, en reconnaissant à ses membres la faculté de disposer de la jouissance des maisons par la seule voie des résignations au chapitre.

Les laïques habitant le cloître étaient surtout des magistrats ; on y venait solliciter un certain nombre de parlementaires, au milieu du XVIIIe siècle. Les maisons canoniales étaient en possession de donner asile à des femmes, pourvu qu'elles fussent parentes ou domestiques du détenteur, et pourtant, en remontant à l'année 1334, nous trouverions un arrêté par lequel le chapitre défendait à toutes femmes de franchir les portes du cloître. La preuve qu'avant cette date pareille prohibition n'existait pas, c'est qu'Héloïse et Abélard, évangélistes d'un amour qui n'était même pas connu de l'antiquité païenne, se sont donné des rendez-vous dont le lieu n'était pas à l'extérieur du cloître, sous le prétexte il est vrai d'étudier. Mais le concours qu'y attiraient alors les écoles épiscopales avait si bien troublé la paix du cloître qu'avant peu le chapitre avait résolu de conserver uniquement l'école de théologie.

Sur la place du Parvis-Notre-Dame, en sa largeur actuelle, et dans la rue du Cloîtré-Notre-Dame, qui d'un côté, se confond avec elle, il y avait autrefois : et l'entrée dudit cloître, et le bureau des Pauvres, qui donnait rue Saint-Pierre, tout près de Saint-Pierre-aux-Boeufs, presque en face de Saint-Christophe, et Saint-Jean-le-Rond, qui touchait d'une part la cathédrale, d'autre part la porte du cloître, et un puits ; mais à l'autre extrémité de la rue, encore plus voisin de l'archevêché que de la rue Chanoinesse. Quant aux maisons sur lesquelles, depuis tant de siècles, se projette l'ombre de Notre-Dame, voici des documents, inédits comme les précédents, qui les concernent.

En 1660, Jacques Séguier, chanoine théologal de l'église de Paris, avait le 22 ; il était membre de cette famille Séguier qui portait avec éclat la robe depuis le milieu du XVe siècle et qui fut aussi celle, comme on l'a dit, de l'apothicaire de Charles IX. L'immeuble a jeté le froc aux orties d'une adjudication laïque, le 8 brumaire an IV ; mais le cardinal Mathieu et sa famille furent depuis de ses locataires, ainsi que la duchesse d'Aumont.

Louis-Joachim-Élisabeth Cochu n'était sans doute pas la perle du chapitre il avait plus de dettes probablement que tout autre chanoine, au commencement de la Révolution, et nous l'eussions trouvé n° 20. Le toit y fait angle rentrant sur une petite, place de forme inusitée, où il n'y a de jeune que des brins d'herbe, poussant comme la barbe au menton d'une vieille femme. Cette maison, résignée in extremis par le chanoine Jondon entre les mains de son confrère, s'était donné depuis une indigestion d'hypothèques ; il fallait bien finir par les purger. Parmi les créanciers à désintéresser, la malveillance aurait remarqué un limonadier ; un bonnetier et un épicier. Celui-ci devenait l'acquéreur du chanoine, qui se retira bien dégrevé rue Chabanais, n° 3.

Sur la petite place en retraite se rencogne le 18, dont les glaces et les trumeaux ont été enlevés, de notre temps, comme une garniture superflue, au bureau de secours du IX° arrondissement, qui n'a gardé une rampe en vieux fer qu'en ne la croyant pas un objet de luxe.

Le 16, où se tient l'école des frères, s'écarte un peu moins de l'alignement ; mais, en fait d'âge, il n'a rien à envier aux voisins : j'en atteste les balustres de bois d'un escalier. Maisons nées pour le célibat, elles en ont gardé la discrétion ; loin de se commander, elles s'arrangent d'un commun accord pour isoler la vue dont elles jouissent, au risque de briser cinq fois l'alignement. De là vient cet angle rentrant sur lequel prennent encore façade, en divers sens, le 14 et le 12, qui n'ont pas toujours observé le voeu du célibat, convenons-en, puisqu'il fut un temps où les deux ne faisaient, qu'un. L'abbé Coeur, à présent évêque, habitait le 14, comme le fait encore mi chanoine, M. Trévaux, à charge de loyer.

A M. Chillaud-Desfieux, dernier détenteur canonial, avait été résignée cette maison, le 27 septembre 1780, par M. de Chazal, chanoine à l'article de la mort, et 3,840 livres avaient été perçues en conséquence par le chapitre, comme dîme de l'in extremis. Avant Chazal, c'était Gaujet, membre aussi du conseil archiépiscopal, qui disposait de la propriété et qui la dégrevait d'une dette contractée par un de ses prédécesseurs, Pierre de la Chasse, envers Charles Perrochel, chantre et chanoine de l'église de Paris, puis passée à Jean-Jacques Farjonel d'Hautérive, chanoine de la même église et conseiller en la grand'chambre du parlement Maupeou. Ce Farjonel « adorait les bénéfices, sans oublier les épices, » d'après une note qu'il laissée le chancelier Maupeou sur les membres de son parlement. Il eut sans doute été moins assidu aux offices sans le méreau, jeton de présence auquel avaient droit les chanoines.

En revanche, l'abbé de Lafage, qui portait aux cérémonies de Notre-Dame la robe rouge et violette, comme l'abbé Farjonel, s'est imposé une sorte d'amende-volontaire pour avoir siégé à la même cour : il a fait reblanchir à ses frais l'intérieur de l'église métropolitaine.

De la Chasse, décédé archidiacre de Josas, avait été propriétaire, là avec Jacques-Étienne de Méromont, pénitencier ; par conséquent, à leur époque, la maison était divisée. L'un et l'autre avaient succédé à un homme éminent, Edme Picot, chancelier de ladite église et partant de l'université de Paris, confesseur de la fameuse Mme de Brinvilliers ; Ce double chancelier tenait, la propriété, par conclusion capitulaire du 4 janvier 1706, des vénérables doyen, chanoines et chapitre de l'église de Paris, entre les mains desquels elle avait été remise par l'université de Paris. Rappelons même que Louis de Bernage, étant le titulaire du logis au milieu du siècle XVII, céda à son collègue et voisin du n° 16, Jean de Hillerin, un aisément d'environ 3 mètres carrés, cession qui enchevêtre encore l'un dans l'autre ces deux immeubles mitoyens. Le chanoine Feydeau avait été le prédécesseur de Hillerin, et ne sait-on pas que des familles Feydeau ont produit des sujets brillants dans l'église, la magistrature et les lettres ?

L'abbé Thiéry, à son tour chancelier, prononçait un discours lorsqu'il présidait, en cette qualité, à la clôture annuelle de la licence de théologie ; à cette occasion, en 1770, il fit l'éloge de l'archevêque, M. de Beaumont, dont l'ardeur à défendre les prérogatives ecclésiastiques contre les droits de la royauté passait alors pour abusive. Le lendemain, selon l'usage, il donnait un repas d'étiquette aux docteurs et suppôts de Sorbonne, en son hôtel claustral, qui n'avait rien d'érémitique.

Le cabinet d'histoire naturelle de l'abbé Bourbon était visible, sous Louis XVI, en cette rue, à proximité de celle Chanoinesse.

Étienne Brémont, né à Châteaudun en 1714, avait la vocation des sciences abstraites. Curé et grand-pénitencier à Chartres, il prit ensuite le bonnet en Sorbonne et devint chanoine à Paris ; mais à l'époque de son changement d'église, la Gazette ecclésiastique l'attaqua, à propos des prétendus miracles opérés sur la tombe du diacre Pâris. L'abbé Brémont fut surveillé par le parlement, puis décrété de prise de corps ; il se sauva plus tard en Italie ; seulement ses biens furent annotés pendant onze ans, et notamment sa maison dans le cloître, dont se remarquent la belle porte cintrée, qu'un balcon surmonte, et la rampe d'escalier en fer, 10, rue du Cloître-Notre-Dame. L'amour de la patrie l'emportant sur les avantages qu'on lui offrait en Italie, Brémont se plut à rentrer en France, où ses ouvrages obtinrent du succès, entre autres un livre en six volumes, De la Raison dans l'homme, honoré d'un bref de Pie VI.

Cet ecclésiastique assistait, non sans émotion, au spectacle révolutionnaire, où ses amis jouaient les rôles de victimes, lorsqu'un érysipèle goutteux l'enleva aux consolations du travail, le 25 janvier 1793, c'est-à-dire quelques jours après la mort du roi. Les héritiers d'Étienne Brémont ; par un arrêté des commissaires de l'administration des Domaines nationaux, le 12 juin de la même année, furent déclarés propriétaires de la maison sise au ci-devant cloître, payement étant fait du sixième appartenant à la Nation. Cette propriété, le 17 floréal an III, tenait. par-derrière aux citoyens Despinas et Desfieux, ci-devant chanoines, d'un côté au citoyen Rivière, ci-devant chanoine, et à la ci-devant maîtrise des enfants de choeur, d'autre part au citoyen de Lostanges, ci-devant chanoine, et au citoyen Desfieux, déjà nommé.

M. Bouchardat, ex-pharmacien en chef de l'Hôtel-Dieu, possède en ce temps-ci la maison du précité chanoine Rivière. Une rampe de fer, bien que depuis longtemps le style en soit passé de mode, rajeunit encore cet hôtel, qui a été la résidence du médecin de Charles VI. L'habileté de ce médecin royal est rappelée par Sismondi ; son domicile dans le cloître, vis-à-vis de la porte Rouge, est constaté de même par Barante, dans l'Histoire des Ducs de Bourgogne. Probablement ce médecin, qui s'appelait Claude Fréron, était prêtre ; on l'estimait le plus des médecins attachés au roi, dont la démence fut traitée plusieurs fois par des astrologues et des sorciers.



 

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