Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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QUAI DE LA MÉGISSERIE
Ier arrondissement de Paris

(Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, Charles Lefeuve, 1875)

Notice écrite en 1860. Le quai de la Mégisserie a perdu depuis tout ce qu'il avait encore de séculaire ; son niveau s'est élevé, et il a perdu quelque chose de sa longueur au percement de la rue du Pont Neuf. Commençant : pont au Change et place du Châtelet, 1. Finissant : pont Neuf et rue du pont Neuf, 2. Monument classé : pont Neuf. Historique : c'était le quai de la Mégisserie ou quai de la Ferraille au XVIIIe siècle ; précédemment quai de la Saunerie. Il aurait aussi porté le nom de quai de la Ferronnerie. Son emplacement était appelé anciennement : du côté du pont au Change, quai de la vallée de Misère, de la Poulaillerie, de la vallée de Pie ; du côté du pont Neuf, la Méguiscerie ou la Mégisserie. Origine du nom: les mégissiers étaient autrefois établis sur ce quai.

Le quai de la Mégisserie aurait beau se pourvoir auprès de S. Exc. le garde des sceaux, pour obtenir d'ajouter à son nom ceux sous lesquels il a été connu, il n'en paraîtrait pas plus noble pour cela. Les gens qui ne reculent pas devant cette démarche se flattent d'en tirer plus de profit ; il y gagnent tout au moins un de qui ne demande qu'a passer pour une particule nobiliaire. Des plus vilains nominatifs la déclinaison fait ainsi des génitifs qui semblent d'une autre extraction. Beaucoup de nos contemporains, nés Bardout, Chicot ou Royer, qui en veulent à leurs ancêtres de ne leur avoir pas légué une carte de visite à effet, se contenteraient d'être dits de la Saunerie, de la Poulaillerie, de la Ferraille. Bien au contraire, le quai a répudié chacune de ces dénominations, rappelant ses spécialités commerciales, et il les regrette aussi peu que celle de Vallée de Misère, qui également a été sienne.

En face du Grenier-à-sel, situé dans la rue parallèle au quai, le port Popin, dit Pépin attirait les sauniers : on y déchargeait bien du sel, qui venait à Paris par eau. Le port Marion recevait force blé, car des moulins à eau se suivaient sur la Seine, outre des bateaux de blanchisseuses. Les arches Pépin et Marion, sous lesquelles se vidaient, entre soldats aux gardes, des affaires d'honneur, protégeaient également deux entrées d'abreuvoir et deux sorties d'égout, qui ne faisaient pas du quai la promenade la plus agréable. Le café de la Samaritaine y avait pourtant son public un siècle avant l'année qui court. Il arrivait même au quai, deux fois par semaine, de sentir bon et de prendre un air de fête, qui attirait plus de filles que de garçons : le marché aux fleurs s'y tenait le mercredi et le samedi. Le dimanche matin, plus de fleurs ; mais c'était le jour aux oiseaux, dont le marché hebdomadaire, était la miniature et le reste d'un grand marché à la volaille.

Le For-l'Evêque, prison des comédiens au XVIIIe siècle, se trouvait entre les deux arches, mais plus près de celle Marion. Une barrière des huissiers et sergents-à-verge y avoisinait encore la rue de la Monnaie, en l'année 1714. La mégie, c'est-à-dire l'art de préparer en blanc les peaux de mouton, avait dès lors quitté la place, puisqu'elle avait reflué un siècle auparavant de la Seine à la Bièvre. Mais des marchands de vieille ferraille étalaient tout le long du quai, sans en occuper les bâtiments. On y retrouve en ce temps-ci, à défaut de spécialité bien accusée, des marchands de graines à semer, des oiseliers et des quincailliers, beaucoup mieux installés que jadis, en des maisons dont la serrurerie, plus que séculaire, porte ça et là des vestiges de dorure, des arabesques s'enlaçant avec art, des lettres faisant chercher un nom.

Les racoleurs, qui avaient leur bureau quai de la Ferraille, en plein vent, ainsi que chez les marchands de vin, il nous reste la conscription, dont les contingents sont plus sûrs, plus dignes surtout d'un peuple libre. Quand les rois, par exemple, se battent pour leur plaisir, dans un intérêt dynastique, en vue de cueillir des lauriers ou de marier à leur convenance un prince ou une princesse du sang, pardonnons-leur, louons-les même de rendre volontaire, pour leurs sujets l'impôt du sang : le sergent cherche alors des recrues pour le compte d'un colonel, dont le régiment sert le prince. Ce régime a rendu les boucheries humaines moins fréquentes et moins meurtrières, dans un temps où les rois, n'y eussent renoncé qu'en passant pour d'osés tyrans. On s'engageait d'abord pour une campagne ; Louis XIV donna une année pour minimum aux engagements. Des perspectives plus modestes qu'à présent s'ouvraient pour les jeunes recrues ; il fallait donc suppléer aux honneurs par l'honneur même de porter l'uniforme. En entrant dans un régiment, on changeait de nom comme au couvent.

La Tulipe et Brin-d'Amour n'en voulaient pas toujours au sergent-recruteur qui leur avait promis plus de beurre que de pain, moins de corvées que de bonnes fortunes et plus de gloire surtout que d'hôpital, en arrosant de copieuses libations la signature de leur enrôlement. Trop de fois l'apprenti héros avait cédé à l'ardeur d'un moment ; au dépit amoureux, à un accès de chagrin, à une heure de découragement, et lorsque son envie de se dépayser, se noyait dans les larmes du repentir, de l'amitié ou de l'amour, pas de retour possible : la nouvelle recrue ne s'appartenait plus. Mais aujourd'hui un mauvais numéro signe l'engagement, et la famille même que le départ du conscrit met en deuil, défraye les réjouissances inséparables de l'adieu qu'il dit au village. L'un s'enivrait en contractant la dette ; l'autre s'enivre devant la feuille de route, échéance d'un billet souscrit par la naissance. En dépit de ces différences, nos armées de l'ancien régime n'ont pas été toujours exemptes d'un Waterloo ; celles du nouveau ont vu luire plus encore de journées de Fontenoy.

Une démolition récente supprime la moitié des immeubles sur le quai de la Mégisserie : les plus hauts numéros ont été épargnés, ils en seront quittes pour descendre de la moitié dans l'ordre numérique. Parmi les maisons disparues, il pouvait s'en trouver du temps de Charles V, qui fut le créateur du quai ; plusieurs, du moins, avaient été bâties sous le règne de François Ier, qui changea l'alignement.

Toujours est-il qu'au dernier siècle, le 82 d'à présent appartenait à l'évêque de Senlis ; et le 74 au marquis de Bovillon. Le marquis de Bercy avait dans le 66 une belle propriété, alors que son maître-d'hôtel était Tallien, père du Tallien que la Révolution devait illustrer.

Ce dernier immeuble, ou un autre peu distant, avait été la demeure de Ticquet, conseiller à la grand'chambre, aux jours duquel attenta son portier, assisté d'un soldat-aux-gardes, en exécution d'un plan conçu par la femme elle-même de la victime. Sur la plainte que ce magistrat avait portée l'année précédente à Fontainebleau, durant le séjour de la cour, Montgeorges, capitaine-aux-gardes, avait rompu, par ordre du roi, avec Mme Ticquet, dont il était l'amant, et elle avait tenu à en tirer vengeance. Le pauvre mari, laissé pour mort, guérit de ses blessures par mi-racle ; la femme subit en place de Grève la peine capitale, en présence d'un concours immense de curieux et surtout de curieuses ; les deux complices avaient été condamnés au supplice de la roue.

Aussi près de l'arche Marion, et il ne m'étonnerait pas que ce fût au n° 54, la corporation des Tailleurs d'habits tenait son bureau. Elle avait été réunie à celle des marchands pourpointiers en 1655, et de plus les fripiers y avaient été agrégés en 1775.

L'apprentissage était de trois années, le compagnonnage pareillement. Le brevet coûtait 24 livres et la maîtrise 800. Chaque maître ne pouvait avoir qu'un apprenti à la fois. La compagnie était sous le patronage de la Trinité, à l'église de la Trinité, rue Saint-Denis.



 

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