Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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RUE DES BATAILLES,
aujourd'hui avenue d'Iéna
XVIe arrondissement de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, paru en 1875)

Notice écrite en 1857. Il ne survit plus aujourd'hui de la rue des Batailles, principalement, absorbée par l'avenue d'Iéna, qu'une belle propriété, le ci-devant n° 9, et l'ancien siège de l'administration des phares, appartenant à la Ville et appelé à disparaître sous peu. Cet îlot semble surnager, et la mer des démolitions n'a jamais été plus houleuse que dans le haut-Chaillot.

Mlle de la Vallière :
Deux fois l'unique amour de Mlle de la Vallière la disputa au repentir, par un enlèvement au couvent. Mais elle s'y retira sans retour en 1674 ses dernières années y furent consacrés à l'exercice de la piété la plus austère, et son âme, déjà détachée, s'y exhala dans un soupir qui demandait encore pardon de sa faute. Les deux maisons religieuses qui avaient servi de refuge à cette duchesse, mère de princes reconnus, étaient les Carmélites du faubourg Saint-Jacques et la Visitation de Chaillot.

Or les supérieure et religieuses du monastère royal de la Visitation-de-Sainte-Marie étaient dames de la terre, seigneurie et justice de Chaillot, ainsi que du fief de Longchamp, et la rue des Batailles faisait partie de ce village de Chaillot, englobé par la grande ville en 1786. Henriette de France, reine d'Angleterre, avait présidé à leur installation en achetant pour elles un château, alors en décret, qui avait appartenu à Catherine de Médicis, à Marie de Médicis, à Bassompierre et au comte de Tillières, beau-frère de ce maréchal : Le grand plan de Verniquet assignait au couvent tout l'espace compris entre la barrière Sainte-Marie, assise en regard des deux rues Vineuse et des Minimes, le quai des Bonshommes et la rue des Batailles, celle-ci se reliant au quai par la ruelle d'Hérivault et au couvent par la ruelle Sainte-Marie. Le fief Larcher, auquel touchait d'un seul côté l'une des extrémités de la rue des Batailles, relevait-il de la même seigneurie ? Ces dames, dans tous les cas, n'étaient que justicières honoraires ; elles se contentaient de mettre en possession chaque acquéreur ou héritier nouveau : la signature de la supérieure et des sœurs conseillères de la communauté était nécessaire au contrat chaque fois qu'il y avait nutation et ne se donnait pas gratis. Aussi bien les héritages soumis à cette suzeraineté étaient chargés de quelque redevance annuelle au profit du royal monastère. Par exemple, 5 sols par an de cens et de rente, payables chez les sœurs aux jour et fête de Saint-Étienne, lendemain de Noël, grevaient le n°1 d'à présent.

Les d'Orléans :
I
l s'en fallait pourtant que ce village fût devenu une thébaïde. Les femmes perdues ou qui voulaient se perdre y étaient reçues la nuit, à la lueur des petits soupers, dans maintes petites maisons de fermier général ou de grand seigneur, à double porte, sans compter les portes dérobées. Les prières de ces dames de Sainte-Marie n'en étaient que plus utiles ; mais les grâces du ciel, qu'elles n'imploraient pas uniquement pour leur propre compte, ne se distribuaient pas, avec égalité dans le cercle de leur mouvance. Geoffroi Sinet, officier de la maison des d'Orléans, princes du sang, avait bien son appartement chez le duc, au Palais-Royal ; mais il était propriétaire sous Louis XV de ce n°1, dont le plaisir avait souvent les clefs, car il y en avait un trousseau. Il empiétait d'autant plus sur le voisinage actuel qu'il avait l'une près de l'autre deux maisons, dites la Verrerie et le Pavillon.

Gabrielle d'Estrées :
A
u reste Geoffroi Sinet avait trouvé, sans en sortir, des traditions augustes de galanterie. La reine Marie de Médicis n'était sans doute venue à Chaillot qu'après une reine de la main gauche, car le double toit qui protégeait à l'occasion les débauches princières du XVIIIe siècle, avait rendu le même service au chef de la dynastie des Bourbons. Henri IV y fut reçu maintes fois par la belle et douce mie à laquelle il écrivit la veille d'une grande bataille : « Si je suis vaincu, vous me connaissez assez pour savoir que je ne fuirai pas, mais ma dernière pensée sera à Dieu, l'avant-dernière à vous. » De nos jours il subsiste encore un beau balcon, sur une terrasse ; c'était l'observatoire d'où Gabrielle d'Estrées épiait l'heure du royal berger, dont elle n'était que la brebis d'élite.

Quant au complaisant que le petit-fils du régent eut pour ministre de ses menus plaisirs à Chaillot, avant d'en transférer le département sans prête-nom à Bagnolet, eut pour successeur, dans la principale de ses deux maisons, Noury, un conseiller au grand-conseil du roi Louis XVI. Puis vint Mme de Brassier, née de Pomiès, jusqu'en 1792. M. Ducatel laissa plus tard l'immeuble à ses héritiers, dont l'un était M. Baroche, le président du conseil d'Etat. L'extérieur de l'immeuble et devenu tellement bourgeois qu'il faut avoir lu cette notice pour s'y arrêter en passant. Là vue ne s'étend plus aussi librement, du balcon mémorable qui sert toujours de point d'appui sur la terrasse, qu'au temps où s'y penchait la duchesse de Beaufort, titre créé pour Gabrielle d'Estrées. Un procès n'a pas réussi à empêcher qu'on construisît une ou deux maisons à mi-côte ; heureusement elles permettent encore de contempler sans effort le dôme des Invalides, au-delà du fossé que la Seine semble avoir creusé pour faire deux villes au lieu d'une.

Mais il fait beau parler des Invalides ! Avec une longue-vue ne découvre-t-on pas le donjon de Vincennes, sans quitter la maison de M. Badonville, qui occupe le n° 3 ? Le père de ce propriétaire ressemblait à Louis XVI d'une manière si frappante que plusieurs incrédules, en l'apercevant dans la rue, doutaient de l'exécution du roi martyr. Les dames de Sainte-Marie possédaient la maison de Badonville avant la déchéance de ce roi.

Néanmoins en 1730 Geoffroi Sinet avait été mitoyen avec Nicolas Catherine, menuisier. Une seule maison séparait alors celle du menuisier d'un terrain appartenant à François Mammère, marquis de Conzier. Venait ensuite une grande propriété à Martin de Vaucresson, président des trésoriers de France au bureau des finances, et le marquis de Malaret, succédait dans la même rue à la veuve de Pennautier, conseiller du roi.

Le Député Dangès :
U
n assez bel hôtel répond aux chiffres 16 et 18 ; Regnault de Saint-Jean-d'Angély l'occupait sur la fin de l'Empire, bien que son domicile privé fût principalement rue de Provence. Presque en face habitait Dangès, ancien député royaliste du commencement de la Révolution ; c'était l'ennemi intime du sieur Perrin dont nous parlons dans la monographie de la rue Basse-Saint-Pierre. Malheureusement Dangès est mort dans un tel dénuement, au centre de Paris, que pendant ses dernières années il vivait à la charge de son portier, qu'il avait pris pour femme de ménage.

Balzac :
B
alzac et Jules Sandeau ont aussi séjourné vis-à-vis de l'appartement que le comte Regnault de Saint-Jean-d'Angély a quitté pour l'exil ; l'auteur de la Peau de Chagrin avait entraîné jusque-là son ami, pour le mieux dégager d'une chaîne, dont l'anneau de rupture fut justement le roman personnellement intime de Mariana, écrit rue des Batailles. Les deux romanciers associés n'étaient pas collaborateurs ; ils ne mettaient en commun que des besoins fort inégaux et des déceptions de nature toute différente. Balzac croyait indispensable d'afficher du luxe pour signer des traités avantageux avec les éditeurs ; c'est pourquoi le salon regorgeait de meubles magnifiques et s'éclairait de trente bougies lorsque les deux amis attendaient un libraire, qui arrivait crotté, mais ébahi. On le faisait marche, sur des tapis si neufs, d'un fond, si clair et d'un velouté si moelleux que toute sa personne en était d'abord chatouillée ; il acceptait, bon gré mal gré, une pipe turque ou un cigare, pour faire comme deux ou trois familiers de la maison, qui se disaient venus par hasard, et s'il tremblait que la cendre n'en tombât sur le damas de soie des meubles, quelqu'un montait dessus à pieds joints, pour le mettre plus à son aise : le moyen de marchander ensuite les produits de ces deux grands seigneurs de lettres ! Le maître et le disciple jouaient là une comédie qui semblait être déjà au répertoire sous ce titre : Les Dehors trompeurs. Le lendemain des audiences données pour affaires à l'heure tardive que tant d'autres affectent à des rendez-vous moins sérieux, M. Loyal tirait vainement la sonnette de l'appartement, pour y remplir ses délicates fonctions, car Balzac en était réduit à n'habiter son, logement officiel que du coucher au lever du soleil et à y mettre ses meubles sous le nom d'un tiers.

Jules Sandeau. L'Hôtel Chabannes, etc :
Un poète, le marquis du Belloy, a eu depuis le même domicile. Puis M. Desrodet, médecin qui tenait également la plume, et qui fut représentant du peuple sous la dernière république. Cette propriété, que le XIXe siècle a frottée de littérature, est de l'ancien régime, mais restaurée. Le comte de Cossé-Brissac en disposait il n'y a pas longtemps.

Deux pensions de demoiselles rajeunissent un peu plus loin les bâtiments numérotés 24 et 26. Le premier fut hôtel Chabannes anciennement ; nous n'osons en savoir gré qu'à la famille de Chabannes, comte de Dammartin ; gouverneur de Paris pour Charles VIII, et toutefois ce frère d'armes de Jeanne-d'Arc put avoir lui-même sa maison de campagne au milieu des vignes de Chaillot. L'édifice doit encore beaucoup à une restauration qui date de la Régence, quoiqu'il ait fallu l'agrandir en l'appropriant à sa destination nouvelle. Lord Chatham, ce grand homme d'État de l'Angleterre, a habité l'hôtel Chabannes, lors de la résidence qu'il a faite à Paris sur la fin du règne de Louis XV. On retrouve dans un terrain contigu au jardin des jeunes pensionnaires, et qui faisait encore partie naguère de la même propriété, un superbe groupe d'arbres de Judée qu'on appelle toujours les Judée de Chatham. Sous le premier empire, comme il était question de bâtir un château pour le roi de Rome dans le haut de Chaillot, Napoléon a fait l'acquisition de l'hôtel Chabannes et de ses jardins. M. de Rancey a racheté le tout, sous le règne de Louis-Philippe, dans un moment où une noble dame appartenant à l'émigration polonaise, la comtesse Potocka, l'occupait avec sa famille.

Une des plus grandes villas que nous venons de voir appartint à Servandoni, peintre décorateur et architecte. Elle se trouvait alors la huitième propriété avant la ruelle Sainte-Marie.

Plus d'une maison de santé a choisi cet étage supérieur de Paris, afin d'y réunir des citadins malades, dont le grand air et la tranquillité accélèrent la convalescence. Celle du n° 31 a été dirigée, dans le principe, par le docteur Tavernier ; celle du docteur Duval fils, qui elle-même a des antécédents, est à l'extrémité inférieure de la rue.

L'habitation particulière de M. Klein, teinturier dégraisseur et juge au tribunal de commerce, jouit d'une situation aussi favorable que possible. Paris déroule devant ce belvédère son panorama le plus clair, à cause de la rivière qui baigne des groupes de pierre en les forçant à serpenter comme elle, au lieu de courir la ligne droite, et qui attire, comme par fascination, la plupart des rues dont le parcours, ne lui est pas parallèle. La grande ville à qui la voit de si haut prodigue tellement ses bonnes grâces qu'elle transforme en un doux murmure le tapage infernal de son mouvement sans fin. La propriété de M. Klein vient la dernière, du côté des numéros pairs, à un endroit où siégea le justicier qui faisait pendre les marauds de la prévôté de Chaillot.

Deux anciennes bornes de la ville étaient encore visibles dans la rue des Batailles en 1789, malgré la construction du mur d'enceinte dit des fermiers généraux et l'annexion de Chaillot à Paris. L'une tenait au mur du sieur Lélu, au coin d'une ruelle ; l'autre flanquait la maison du sieur Jamard, à l'encoignure de la ruelle des Blanchisseuses.


 

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