|
|
|
||||||||||||
RUE DU BEAUJOLAIS,
Ier arrondissement de Paris (D'après Histoire
de Paris rue par rue, maison par maison, paru en 1875)
Notice écrite en 1857. Ouverte sur l'emplacement de l'ancien jardin du Palais royal et dénommée à cette époque passage de Beaujolais puis, de 1797 à 1814, rue d'Arcole puis rue de Beaujolais. En 1849, elle s'est appelée rue Hoche. Nom d'un fils du Duc d'Orléans. La Ville est revenue sans nous à l'orthographe d'avant François Ier, elle écrit Beaujolois. Mais change-t-on aussi aisément la prononciation qu'une enseigne ? On persiste à dire Beaujolais, malgré ces deux vers éminemment classiques de Boileau :
A mon gré, le Corneille est joli quelquefois ; Il n'y en a pas moins deux rues du même nom. Celle qui touche le Palais-Royal s'ouvrit en 1784, sur la lisière de l'ancien jardin du palais, emplacement dont partie avait auparavant dépendu des Quinze-Vingts. Son parrain, l'un des fils de Louis-Philippe-Joseph duc d'Orléans, était comte de Beaujolais. Le jour de la naissance du prince de Valois, frère de Beaujolais, avait été fêté par Sophie Arnould, qui demeurait alors rue Neuve-des-Petits-Champs, elle avait fait tirer de ses fenêtres, donnant sur le jardin public, un feu d'artifice en l'honneur du nouveau-né. La spirituelle actrice de l'Opéra habitait ainsi la rue Beaujolais avant qu'on ne l'ouvrît, avant qu'on ne songeât à établir les galeries du Palais-Royal. Beaujolais, après trois ans de captivité, fut exilé aux Etats-Unis, et il mourut à Malte l'année 1808. La République, d'ailleurs, avait appelé Quiberon la rue Montpensier du Lycée la rue de Valois et d'Arcole cette rue Beaujolais qu'à l'origine on avait traitée de passage. Le passage actuel de ce nom, où s'est fondé le restaurant Serveille, date seulement de 1812. La Bourse avait alors quitté depuis quatre ou cinq ans la place des Petits-Pères, pour se tenir dans la galerie qui était dite Virginie au moment de son ouverture au marché financier ; cela donnait dans le jour beaucoup d'animation à la moins ancienne des deux rues Beaujolais. Cette rue le soir se ressentait aussi du va-et-vient des robes décolletées dont le nouveau pourtour avait commencé par faire sa spécialité. Les étoiles de la rue et de la galerie Beaujolais étaient sous le Directoire des filles moins prétentieuses que les princesses du jardin Mabille en ce temps-ci, mais plus populaires, plus connues : la Stainville, la Lévêque, le Roi-Théodore, l'As-de-Pique et la Belle-Paysanne. Celle-ci logeait chez Cuisinier, au-dessus du café de la Rotonde : elle a fini ses jours dans l'aisance à Versailles. L'As-de-Pique avait pour mérite particulier d'être blonde pour les passants et brune pour les observateurs que la galanterie ou la curiosité poussait à la voir de plus près. Nous retrouverons, au reste, en parlant des galeries du Palais-Royal et de la rue Neuve-des-Petits-Champs, les maisons dont se compose ladite rue Beaujolais : ses restaurants, ses cafés ont deux portes. Par exception il n'en est pas de même des trois ou quatre boutiques borgnes au seuil desquelles les successeurs des frères Millau offrent en chuchotant leur marchandise, parachute de la galanterie, à tous les hommes bien mis qui passent. Dans le même cas particulier se trouve depuis longtemps, presque en face du perron, un modeste lupanar, qui se distingue des établissements rivaux du quartier en ce que les entrées de faveur n'y sont accordées qu'à des bohèmes frottés d'art et de littérature, qui ne dînent jamais, qui soupent quelquefois et qui ne savent pas toujours quand minuit sonne où s'en va reposer leur tête, mais qui ne sont pas du tout des vauriens ordinaires. Ils ont le mot pour rire à jeun ; on les salue comme de futurs grands hommes dans les musées ou les bibliothèques ; ils tutoyeraient jusqu'au ministre qui aurait eu l'imprudence de les inviter à dîner, et ils ne demandent pas encore la croix. Les filles de joie ne leur paraissent, en général, que les prêtresses d'un art plastique en vie, et comme la sacristine de ce temple Beaujolais a pour eux des égards particuliers, ils oublient chez elle que ce n'est pas un salon. Les filles de joie, au reste, s'y connaissent, et la police ne fait pas mal de les consulter quelquefois. Manquent-elles jamais de citer à tout-venant, fût-il imbécile, fût-il ivre, un personnage marquant qu'elles se flattent d'avoir connu plus petit garçon ? En essayant de se réhabiliter par l'évocation de celui-là, combien cachent-elles d'amis beaucoup plus intimes, combien oublient-elles de passants qui ne méritent qu'on les remarque nulle part, pas même là ! D'ailleurs, les déclassés vont-ils dans le monde ? A la brasserie, je ne dis pas. Tant que sa peinture n'a pas de cours dans les salons, le peintre y est mal vu. L'esprit qui suffirait à y tenir le dé de la conversation est dépensé au jour le jour, dans des feuilles aux opinions compromettantes, par le poète en défaillance. Les fermiers généraux d'autrefois priaient à dîner le simple nouvelliste, habile à fureter par la ville, et les femmes du grand monde se le disputaient, pour peu qu'il sût conter une anecdote, lancer le trait, donner à des riens un tour piquant et ne pas rire le premier de ses propres facéties : On se contente aujourd'hui d'acheter son journal. Les beaux esprits de ruelle, au lieu de viser à la pruderie, ont toujours eu le bon mot croustillant ; ils assisteraient encore au petit lever des duchesses, si elles n'avaient pas cessé de prêter leurs oreilles, devenues chastes, à des balivernes aussi lestes, et si leurs portes pour de pareilles visites n'étaient pas maintenant défendues. Ces dames en sont quittes pour lire, en se couchant, la chronique scandaleuse qu'elles n'ont pas entendu débiter plus matin.
Où voulez-vous, depuis leur proscription, que se réfugient des
causeurs qui peuvent être aussi spirituels que dégourdis, aussi
brillants que licencieux, aussi philosophes que badins, dépositaires
traditionnels quand même de ce qu'il y a de plus alerte dans le caractère
national ? Le mauvais lieu ne leur est hospitalier ordinairement que dans les
jours dorés, et néanmoins la bohême tout entière
passe pour se régler sur un calendrier où le carnaval dure toute
l'année. La jeunesse, le talent en herbe et les espérances vont
si bien à ces surnuméraires de la renommée en tous genres
qu'on les croirait souvent entre deux vins. Mais si les plus grandes fêtes
que tout le monde chôme n'ont qu'une vigile, il y a dans la vie de bohème
peu de jours fériés qui ne soient mieux partagés, le jeûne
de la veille ayant accoutumé de reprendre le lendemain. |
|
|||||||||||||
:: HAUT DE PAGE :: ACCUEIL |
|