RUE BASSE-DES-URSINS
(D'après Histoire
de Paris rue par rue, maison par maison, paru en 1875)
Notice écrite en 1857. La rue Basse-des-Ursins
n'était pas encore raccourcie de quatre maisons et, par conséquent
ne finissait pas à l'angle de la rue de la Colombe.
Chartes des rois Carlovingiens :
Quittons les mémoires pour l'histoire, en
passant de la rue habitée par une actrice du XVIIIe siècle à la
rue Basse-des-Ursins, dont l'origine nous reporte au règne des carlovingiens.
Les propriétés canoniales faisant partie de l'ancien cloître
Notre-Dame étaient exemptes d'impôt, en vertu d'un édit
de Charlemagne. Charles le Chauve avait accordé aux religieux de Sainte-Marie,
qu'il y avait trouvés tout établis, la possession entière
et perpétuelle de leur cloître, confirmée après
cela dans une charte obtenue du roi Charles-le-Simple par Théodulphe, évêque
de Paris. Lothaire, à la fin de son règne, avait complété l'œuvre
de ses prédécesseurs, en permettant aux frères de Sainte-Marie
de vendre et d'échanger leurs biens ; de plus, à la prière
d'Emma, sa femme, du duc Hugues (plus tard Hugues-Capet) et de plusieurs prélats,
sa royale munificence, avec le contre-seing de son fils Louis, avait gratifié de plusieurs villages les mêmes religieux.
L'évêque Eliscard,
dès ce temps-là, avait formellement consenti à ce que
leurs propriétés fussent séparées de son domaine.
Les Valois, à leur avènement, n'auraient pas pu se rendre à Notre-Dame
par la rue Basse-des-Ursins, qui ne se dégageait encore du port Saint-Landri
que sous la dénomination de « grant rue de Saint-Landri-sur-l'Yaüe » ; elle se nommait au XVIe siècle rue Basse-du-Port-Saint-Landri
du côté de la rivière et de l'autre côté rue
d'Enfer, probablement à cause du voisinage peu clérical de cette
rue de Glatigny qu'habitaient certaines femmes, démons de la luxure.
Juvénal des Ursins :
La rue Basse-des-Ursins n'eut pourtant rien de commun
avec la princesse, qui joua un rôle brillant sous Louis XIV par ses intrigues
diplomatiques et galantes. L'hôtel dont elle touchait le mur inférieur
avait appartenu au personnage du même nom, mais non de la même
famille, qui marqua dès le XIVe siècle. Jean-Juvénal des
Ursins, prévôt des marchands, puis chancelier de France, fut dépouillé de
ses biens par les Anglais à la mort de Charles VI, et ce vertueux vieillard
chercha un refuge loin de Paris, avec sa femme et onze enfants, réduits
comme lui à l'extrême indigence. Heureusement la domination étrangère
eut une fin, et le fils aîné de Juvénal fut archevêque
de Reims, et le second chancelier de France, quand Charles VII, par des victoires,
eut reconquis la plus grande partie des provinces de son royaume. On jeta bas
en l'année 1563 l'hôtel des Ursins, qui menaçait ruine,
mais qui fut encore relevé.
Chapelle Saint-Agnan :
La chapelle, Saint-Agnan, bien que son entrée
donnât rue de la Colombe, était située dans la rue Basse-des-Ursins,
au seuil du cloître Notre-Dame. Sa fondation au commencement du XIIe
siècle, due à Étienne de Garlande, archidiacre de Paris
et doyen de Saint-Agnan d'Orléans, reposait sur la donation qu'avait
faite ce dernier de la maison qu'il occupait dans le cloître Notre-Dame
et de trois clos de vignes, dont deux au bas de la montagne Sainte-Geneviève
et l'autre à Vitry. Du consentement de l'évêque, Étienne
y avait établi deux titulaires qui se partageaient sa prébende
canoniale, qui avaient place au chœur comme au chapitre, à Notre-Dame,
et qui desservaient à la fois la chapelle et la cathédrale. On
n'officiait d'ailleurs à l'autel Saint-Agnan que le 7 novembre, jour
de la fête du patron.
L'abbé Lebeuf rapporte que saint Bernard,
ayant prêché en pure perte des écoliers de l'université de
Paris, vint en gémir dans cette chapelle, implorer les grâces
du ciel pour ces jeunes pêcheurs endurcis, du vivant d'Étienne
de Garlande. Or ce même édifice, aussi vieux qu'oublié dans
la Cité, n'a pas réellement disparu ; déjà, lors
de sa construction, les deux maisons voisines s'appuyaient sur ses murs solides
; aujourd'hui, la moitié de ses arceaux et piliers se retrouve chez
un marchand de bois, scieur de long, 19 rue Basse-des-Ursins ; cette arcature
qui se cache supporte une maison déjà vieille, dans une glace
de laquelle un boulet, parti de la place de l'Hôtel de Ville en juin
1848, s'est fait un passage étoilé. Quel Pompéï que
la Cité, sans qu'il y ait toujours besoin de fouiller le sol ! Comment
n'y resterait-il absolument, près la rue de Glatigny, que le souvenir
de l'hôtel des Ursins ? La sciure de bois ne ronge pas, comme le ver
; elle conserve mystérieusement les débris utilisés de
cette chapelle du Moyen-Age, au patron de laquelle tient lieu de nimbe un stigmate
de guerre civile.
Feux d'artifice sous l'Empire :
De l'autre côté de la rue Basse, quoique
avait celle de la Colombe, le marquis de Soisy avait deux maisons sous Louis
XV. Le n° 17 donnait autrefois sur le port Saint-Landri, à coup
sûr le plus vieux de la ville. Un teinturier occupe cet ancien logis
de chanoine, devant lequel on ne devait pas bâtir. Si une construction
s'est élevée en face, ce n'a pas été sans procès
; seulement les conventions à cet égard étaient de tradition,
sans titres bien réguliers à leur appui. C'est à la
porte du n° 17 qu'on tirait les feux d'artifice sous l'Empire, en regard
de l'Hôtel de Ville, et cet édifice fut plusieurs fois reproduit,
comme s'il eût passé l'eau, par la pyrotechnie de Ruggiéri,
quand ses fuséens avaient épuisé leur provision de fusées,
de fusilettes, de serpenteaux, de bombes et de chandelles romaines ; mais
avant le bouquet.
Tourelle du temps de Dagobert :
Une tourelle du temps de Dagobert est encore debout
dans la cour du n° 9, dont la porte principale ouvre sur la rue Chanoinesse,
et toutefois la maison accuse le style de la Renaissance ; un escalier a pour
cage cette relique de pierre et finit à une plate-forme, d'où la
vue s'étend presque aussi loin que des tours Notre-Dame. Il y avait
autrefois deux tourelles, au lieu d'une. Dans la cour une vigne vierge étend,
comme le Briarée de la fable, ses cent bras, depuis trois cents ans,
sur une muraille élevée, qu'elle survêt de rides saillantes.
Il est vrai que la verdure tâche à cacher ses stigmates du temps
pendant les beaux mois de l'année. L'abbé de Reyglen, chanoine
titulaire de Notre-Dame, était propriétaire, avant la grande
révolution, de ce bâtiment à deux faces, l'une valésienne,
l'autre mérovingienne.
Racine :
L'hôtel qui touche celui-là n'a comme
ses voisins, qu'une porte de sortie sur la rue Basse-des-Ursins ; mais cette
ouverture, dans le principe, servait aussi d'entrée, si même elle
n'était pas unique. Un escalier, pourvu de son large balustre en bois,
va nous aider lui-même à remonter au siècle de Louis XIV,
qui l'a vu naître. Frappez à cette double porte, qui est certainement
du même âge, sur le palier du second étage : là finira
votre illusion, car bien des locataires, depuis l'année 1648, y ont
succédé à Racine. Il y a dix ans encore, l'appartement
du poète avait gardé l'aspect de l'époque où il
acquérait de si grands titres à la notoriété ;
mais les boiseries tombaient en désuétude. La maison elle-même
a été renouvelée, dans la partie qui donne rue Chanoinesse
et qui était restée canoniale malgré le séjour
de Racine ; en effet, ce corps de logis fut rebâti en l'an XI, par ordre
du préfet de police. Le chanoine Du Hautier était propriétaire
de l'immeuble en 1782, et avant lui c'était l'abbé de Palerme, également
chanoine, qui avait très bien pu, dans sa jeunesse, connaître
l'auteur d'Athalie.
Outre que les chanoines pouvaient vendre leur maison,
et à plus forte
raison y recevoir des locataires, le passage de Racine dans l'ancien cloître
Notre-Dame nous rappelle qu'il avait failli, au début de sa carrière,
entrer dans les ordres. Il s'en était fallu de moins encore que le poète
ne devînt avocat, et il plaida au moins une cause, avant de composer
les Plaideurs. Boileau, Furetière, Chapelle, Racine et autres se réunissaient
fréquemment chez la veuve Bervin, au Mouton-blanc, auberge qui existait
encore il n'y a pas longtemps place Saint-Jean, et c'est à ce couvert
qu'on donnait en pensum aux convives qui avaient commis quelque infraction à l'esprit
ou à la gaîté, tant de vers à lire sur-le-champ
de la Pucelle de Chapelain. La comédie des Plaideurs y fut écrite
de premier jet, à moins longs traits que ceux du gobelet de Chapelle,
qui craignait le moins de rester sous la table, et M. de Brilhac, conseiller
au parlement, remit ensuite le poète sur la voie des termes de Palais,
que l'avocat d'un jour avait jetés aux orties, encore plus vite que
sa robe. Quelques personnes se reconnurent clans l'Intimé, Chicaneau
et Mme de Pimbesche, ce qui contribua sans doute à empêcher que
le sel attique de la pièce fût goûté dès la
première représentation ; vint la seconde, et ce fut bien pis,
car elle détourna les comédiens de l'hôtel de Bourgogne
d'aller jusqu'à ce nombre trois, qui plaît aux dieux, mais qui
ne suffit pas encore aux poètes.
Molière était pourtant
parmi les spectateurs, et il disait tout haut que ceux qui se moquaient méritaient
qu'on se moquât d'eux. Par hasard, à Versailles, on donna cet
ouvrage, après une tragédie, devant le roi, qui se montra de
l'avis de Molière, car il partit au premier acte d'un éclat de
rire, qui ne finit qu'avec la pièce. Les comédiens, flattés
de ce suffrage inattendu, prirent immédiatement trois carrosses et tombèrent
la nuit rue Basse-des-Ursins, chez Racine, pour qu'il en reçût
la nouvelle toute chaude ; les gens du voisinage, réveillés en
sursaut par ce tapage nocturne des voitures, des coups de marteau et des exclamations
de l'impatience, se mirent aux fenêtres et commencèrent par croire
qu'on venait arrêter le poète ; mais, bientôt rassurés
par l'explosion d'une joie involontairement communicative, ils se mettaient
eux-mêmes à applaudir, comme s'ils venaient d'assister à la
représentation de gala. L'année suivante, sur l'ordre de Colbert,
l'auteur reçut 1 200 livres de gratification ; il avait alors trente
ans.
Le Chanoine Du Marais :
Le 5 et le 3, encore plus à proximité de
la maison d'Héloïse et d'Abeilard, qui nous occupera ailleurs,
sont reliés aux maisons dont nous venons de parler par un air de famille,
qu'explique leur origine pareille. Le chanoine Du Marais avait acheté le
5 sous le règne de Louis XVI, et en 1805 il passa à la mère
de Mme Boulard, propriétaire actuelle. Il y avait une chapelle dans
la maison Du Marais.
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