Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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RUE BEAUTREILLIS,
IVe arrondissement de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, paru en 1875)

Notice écrite en 1857. L'rigine du nom de cette rue vient de hôtel de Beautreillis qui devait son nom aux treilles des jardins de l'hôtel Saint-Paul.

Gérard Beauquet. L'Hôtel Beautreillis :
Gérard Beauquet avait acquis un terrain provenant du royal séjour de Saint-Paul. Telle était l'origine d'un bout de rue fiancé dès sa naissance à la rue Beautreillis, marié même, mais pour peu de temps, qui s'appela rue du Pistolet en divorçant, et bientôt rue Gérard-Beauquet. Les deux époux se tourneraient encore le dos sans le rapprochement par ordre qui date de 1838.

L'hôtel patronymique de la rue Beautreillis fut bâti, en 1319, des débris du même palais, et ce phénix sortait trop à la lettre des cendres de l'hôtel Saint-Paul pour être solide. Henri II jugea prudent d'ordonner, dès le mois de décembre de l'année 1548, l'aliénation de son Beautreillis, dont l'édifice menaçait ruine, et qui se composait de plusieurs corps de logis, d'un jeu de paume, de cours, de jardins, le tout ouvrant sur la rue Saint-Antoine. Le parlement se consulta si bien, avant de légaliser l'ordonnance royale, que la subdivision de cet ancien quartier du séjour de Saint-Paul en 37 places à bâtir et l'ouverture de la rue Beautreillis ne se décidèrent tout à fait qu'en 1564. On admet généralement que la dénomination du pavillon survivant au palais, et de la rue qui s'y substitua, venait d'une belle treille du jardin de Saint-Paul, et en effet ce fut un petit Thomery par la magnificence et la saveur de ses grappes de raisin, se ressentant par leur exposition du soleil de Fontainebleau. Toutefois, en 1714, la rue portait encore la dénomination de Jean-Treillis, concurremment avec la dénomination de Beautreillis. Elle comptait alors 8 maisons et 7 lanternes, de la rue Saint-Antoine au coin des rues Neuve-de-Saint-Paul et des Trois-Pistolets (la rue Neuve-Saint-Paul absorba postérieurement celle des Trois-Pistolets, elle s'appelle depuis peu Charles-Cinq), où commençait la rue Gérard-Beauquet.

Quarante-sept ans plus tard, au coin de la rue Saint-Antoine et de celle qui nous occupe, demeurait messire Le Chanteur, qui venait d'être nommé conseiller auditeur à la cour des comptes. Il y a sept ou huit ans encore, on retrouvait, fixé à la muraille du marchand de vin établi à cette encoignure, un crampon d'environ 18 pouces de haut, qui avait servi à attacher la chaîne qu'on tendait pour la nuit à l'entrée de la rue, et aussi en plein jour dans le cas d'émeute populaire. C'était probablement le dernier vestige de ce genre qui subsistât, depuis l'affranchissement nocturne des voies publiques de Paris, qui regarderaient aujourd'hui comme un esclavage le droit de s'isoler l'une de l'autre. Cette mesure défensive, qui parut superflue quand le premier éclairage de la ville fut établi au moyen de chandelles, en 1668, avait été prise aussi bien pour sauvegarder des surprises la bourgeoisie, à laquelle appartenaient ses maisons comme le pavé était au roi, que pour empêcher les coups de main des malfaiteurs ordinaires, nyctalopes de profession.

Les Maupertuis. Les Loyers payés au Drapeau. L'Hôtel Charny. Les N°s 20, 18, 17, 16, 14, 12. L'Hôtel Renty. Le Prince de Monaco : Zamet et Gabrielle d'Estrées. M. Siméon Chaumier :
Si le 23 ne date pas de l'ouverture de la rue, on reconnaît du moins le style Louis XIII dans sa porte cochère, dans les boiseries murales et les cheminées de ses appartements. Les Maupertuis en étaient les propriétaires avant cette révolution au plus fort de laquelle émigra l'abbé de Maupertuis ; la Nation confisqua et fit vendre la moitié des propriétés indivises qui revenaient à l'émigré, ce qui n'empêcha pas son frère, resté en France, de posséder sans trouble sa moitié personnelle jusqu'en 1818. M. Frémy dispose actuellement de l'hôtel Maupertuis, principalement occupé par une fabrique de papier de verre.

Le 21 a été certainement édifié en même temps que la maison précitée, son architecture est la même. Une filature de calicot s'y trouvait installée au commencement du règne de Louis XVIII, époque dit l'élévation des salaires fit tomber l'établissement. Un des spéculateurs de la bande noire acheta ce corps d'hôtel, pour le revendre, approprié à une destination bourgeoise. L'immeuble traversa depuis, des phases qui démontrent que les fortunes greffées sur la propriété foncière ne sont pas plus exemptes que les autres de l'instabilité, qui prouve l'insuffisance de toutes les combinaisons humaines. Il appartenait, sous le règne de Louis-Philippe, à une dame âgée, qui laissa deux héritiers : M. Riquier, pharmacien à Paris, qui était son fils, et une enfant qui était sa petite-fille ; une licitation eut lieu, et Riquier parut faire une assez bonne affaire en achetant la maison 20,000fr. : la part de sa cohéritière était représentée par une inscription hypothécaire de 60,000. Vint la révolution de 1848, au moment oh l'adjudicataire avait ses comptes à régler avec les entrepreneurs qu'il avait chargés de réparer la propriété de fond en comble. Pendant que l'impôt des 45 centimes grevait à l'extraordinaire tout ce qui était bien-fonds, comment se payèrent les loyers ? La plantation des arbres de la Liberté et des drapeaux fut accompagnée et suivie d'une longue série d'illuminations forcées.

En revanche, l'obligation de payer avait cessé pour les locataires du malheureux Riquier, que ne tardèrent pas à faire exproprier ses créanciers, qui devaient alors à leur qualité de travailleurs d'être mieux écoutés des juges que les propriétaires les plus chargés de dettes de famille et de contributions. Cette fois les enchères ne montèrent qu'à 53,000 fr. l'adjudication était prononcée au profit de la nièce, créancière principale, qui se maria, fut bientôt veuve et épousa en secondes noces M. Brissot, fils ou neveu du conventionnel. M. Riquier a donc été ruiné et sa nièce enrichie par la force des choses. Mais au même temps, entre cohéritiers, celui qui s'appliquait ainsi les parts des autres à vil prix avait souvent eu l'habileté de provoquer directement ou indirectement, la sortie de l'indivision, et le même procédé, fort indélicat, mais légal, réussissait à simplifier la raison sociale dans des entreprises commerciales ; tant il y a que les malheurs publics faisaient riches de malhonnêtes gens.

Ce 19, ce 21 et ce 23 sont reliés souterrainement par le conduit de leurs concessions d'eau, lequel suit la direction d'un passage particulier qui donne rue Saint-Antoine : Or il a existé un marché entre les rues Saint-Antoine, Neuve-Saint-Paul, Bautreillis et Saint-Paul ; on arrivait à ce marhé par le passage Saint-Pierre, allant déjà de la rue Saint-Antoine à celle Saint-Paul, et puis par le passage dont nous parlons.

M. et Mme Ledentu possèdent évidemment la maison historique, par excellence, de la rue Beautreillis. Elle a appartenu avant eux au baron du Noyer, qui a organisé les tribunaux en Italie et en Illyrie, sous l'Empire, et qui est mort doyen des conseillers de la cour de cassation en 1832. Ce magistrat était le frère de Jean-Baptiste Coffinhal, vice-président du tribunal révolutionnaire, qui ajoutait à son nom celui de Dubail, et qui, le lendemain du 9 thermidor, précipita le commandant Henriot d'une fenêtre de l'Hôtel de Ville, au milieu d'un tas d'immondices, en lui disant : – Va, misérable ivrogne, tu n'es pas digne de l'échafaud !... Jean-Baptiste, quant à lui, en était digne, et pourtant il faut reconnaître que, seul des amis de Robespierre, il montra du courage, même devant la guillotine et les huées des témoins de son exécution. Le frère aîné de Coffinhal, avocat au conseil, avant la Révolution, fut nommé juge au tribunal de cassation en 1791 et fut membre de la haute cour qui condamna Babeuf en 1797 ; devenu baron et maître des requêtes, il obtint de Napoléon Ier l'autorisation de changer son nom en celui de Du Noyer. Il tenait cet immeuble portant le n° 22, de sa femme, dont la famille en était propriétaire depuis un demi-siècle : il y avait pour locataire M. Coutant, qui, ancien officier, demeure dans la maison depuis quarante et une années, et dont le beau-père antérieurement l'avait habitée tout autant.

Un superbe treillage, qui rappelait le Beautreillis du moyen âge, régnait encore en 1840 tout autour du jardin, et il était soutenu par des colonnes à chapiteaux, reliées par des balustres et un portique : décoration à l'italienne qui n'avait rien eu à envier aux nymphées de la Folie-Titon et des Folies-de-Chartres. Un jet d'eau promenait son éventail diaphane sur une pelouse circulaire, à la verdure de laquelle il ajoutait les nuances de l'arc-en-ciel. Un réservoir pour les eaux de la Seine se trouvait placé sur le toit ; la tradition ajoute que la portière de M. du Noyer, qui s'appelait Mme Bichet, et que son mari battait souventes fois, sous le prétexte qu'elle ne buvait pas d'eau, finit par lui donner un démenti formel en se noyant par escalade dans cette cavité faîtière. Le magistrat avait succédé, comme propriétaire, à M. Lombard, son beau-père, entrepreneur du pavé de Paris, mort en 1792, qui avait eu pour associé et pour prédécesseur Claude-Jean de Sainte-Croix, ancien greffier, acquéreur de la même propriété à la date du 8 janvier 1783, moyennant 60,000 livres. C'était d'ailleurs un des anciens hôtels Charny En 1733, haut et puissant seigneur messire Pierre-François de Siry, chevalier comte de Marigny, marquis de Savignies, seigneur de Charny, seigneur châtelain de Chaulny et autres lieux, conseiller ordinaire du roi, président honoraire en sa cour du parlement de Paris, vendait l'hôtel, immatriculé au terrier du roi, à Louis-Antoine Dumas, officier de la reine. Or deux maisons voisines dépendaient de l'hôtel Charny ; celle qui s'était contentée du titre de petit hôtel dudit nom ouvrait aussi rue du Petit-Musc, et la famille du ministre Machault, affiliée à la magistrature, en disposait sous le règne de Louis XVI. Quant au baron du Noyer, il a laissé un fils, M. du Noyer de Noirmont, qui fait partie de la société des Bibliophiles français, et un neveu, M. Lombard.

1676 est une date qu'on retrouve sur la plaque d'une cheminée, n° 20, et la jolie rampe d'escalier atteste la même origine. Même style au 18 de fond en comble. A l'hôtel Charny se rattachait le 16. La maison numérotée 17 date de Henri IV ; elle se divisait autrefois en deux corps de bâtiments ; le beau-père du propriétaire actuel la paya en assignats à la veuve d'un président au parlement, M. de Plancyr. Le jardin y attenant a dépendu de l'ancien cimetière de Saint-Paul. Une fois, en jouant au billard, dans une pièce du rez-de-chaussée, un invité a défoncé involontairement d'un coup de pied le plancher vermoulu de la salle, et le contrepoids de sa chute a fait surgir une apparition fort imprévue, celle d'un cercueil de plomb inhumé au temps de la Fronde. Un pied de vigne remarquable s'élève dans la cour du n° 14, rehaussé d'une belle terrasse qui s'y appuie sur des colonnes : c'était encore une résidence de robe. Pour le 12, sa construction neuve en remplace une qui, depuis longues années, était pauvrement habitée et lieu d'asile pour mainte vermine, mais dont la démolition a tellement décrassé les poutres qu'une couche d'or y reparaissait, comme la braise sous la cendre.

En l'année 1636 Pierre Hérouard, sieur du Mesnil, conseiller et maître d'hôtel ordinaire du roi, était propriétaire du 11, chargé de ses 12 deniers parisis de cens dans la mouvance du roi. Quatre-vingt-quatre ans plus tard Jean-Jacques marquis de Renty vendait à l'écuyer Claude du Rye, avocat, ancien capitoul de Toulouse, le même hôtel, tenant d'une part à l'abbé Goy, d'autre part à Mme Petit et par-derrière à M. de Saint-Germain-Beaupré ; le marquis de Renty en avait hérité de sa tante, mariée au comte de Choiseul, maréchal de France. Le financier Crozat fut. l'acquéreur du susdit capitoul, et son fils, chevalier, seigneur d'Orfeuil, avocat également, fit réparer la maison du haut en bas : ouvrage dont le mémoire fut réglé dans la matinée du jeudi 17 décembre 1733 à la somme totale de 58, 300 livres 3 sols et 5 deniers, et n'était-ce pas avoir bien fait les choses ? Il parait néanmoins que la propriété changea bientôt de mains, car trois années plus tard Benjamin Guihou, écuyer, sieur de Montleveaux, conseiller-secrétaire du roi, en était maître, et lui-même eut pour successeur Jacques Le Pelletier, conseiller au parlement. Au milieu du XVIIIe siècle, le rachat de l'impôt des boues et lanternes coûtait au propriétaire de cet hôtel 268 livres sols, pour 12 années. La présidente de Murard s'y rendit locataire du premier étage à partir du 22 septembre 1786, et M. de Ponty Sainte-Avoye, premier président en parlement, lui succéda.

Le 9, ancien séjour de magistrat, a été depuis une teinturerie. Un balcon, dont le fer artistiquement tordu remonte à l'âge d'or des balcons, et un escalier à balustres de bois servent de parchemins à la maison qui suit, bâtie sous le roi béarnais.

Il ne nous reste plus qu'à ajouter un épilogue à la Belle Gabrielle, drame de Maquet joué au théâtre de la Porte-Saint-Martin. Le célèbre financier Zamet, un des personnages de la pièce, était l'amant de Madeleine Le Clerc, demoiselle du Tremblay, et il en avait eu plusieurs enfants. Quand la maîtresse légendaire de Henri IV passa duchesse de Beaufort, Gamet, bien qu'il fût fils d'un cordonnier de Lucques, se qualifiait déjà baron de Murat et de Billy, seigneur de Beauvoir et de Cazabelle, conseiller du roi en ses conseils, capitaine du château et surintendant des bâtiments de Fontainebleau ; paré de cette brochette de titres, il épousa enfin Madeleine du Tremblay, en grande cérémonie, sous les auspices de Gabrielle d'Estrées, qui espérait alors que ce mariage serait suivi du sien avec le roi. Mais Zamet aspirait en secret à devenir le surintendant de la maison d'une autre reine, Marie de Médicis, et à la suite d'une collation, prise chez l'Italien, la favorite se sentit tout à-coup malade. Néanmoins elle alla entendre ténèbres en musique au petit Saint-Antoine, où la souffrance prit en elle un caractère plus violent. On la ramena presque sans connaissance chez l'ancien protégé de Catherine de Médicis. Dès qu'elle ouvrit les yeux – Retirez-moi, dit-elle, de ce maudit logis. !... Et trente-six heures après, Gabrielle d'Estrées expirait.

Zamet, qui fut successivement le confident de Henri III, de Mayenne, de Henri IV, du connétable de Montmorency, de Bassompierre et de Marie de Médicis, était doué d'un esprit subtil et facétieux ; il ne se bornait pas à prêter sa maison splendide aux rendez-vous de Gabrielle, il rendait le même service à toutes les dames d'amour du roi, voire même à Henriette d'Entragues, qui soupait avec Bassompierre des reliefs du dîner que l'auguste galant lui avait offert chez ledit complaisant. Sully lui-même trouvait bon de ménager cet Italien, dont l'hôtel s'élevait rue de la Cerisaie et passa, après lui, aux Lesdiguières et puis aux Villeroi. Cette maison mémorable fut jetée bas en 1741 ; mais on bâtit immédiatement plusieurs autres hôtels de ses restes, et entre autres le n° 8 de la rue Beautreillis. Des boiseries et des croisées dorées, qui ont conservé jusqu'aux vitres de l'époque de Louis XV, servent aujourd'hui d'ornement à cette habitation actuelle de M. Siméon Chaumier. Tantôt romancier, tantôt poète, M. Chaumier manie la plume depuis une trentaine d'années, pour obéir une vocation qui n'a jamais été douteuse. Cet écrivain tient son hôtel de son beau-père, M. Raoul, fabricant de limes, honoré sous l'Empire de distinctions particulières en qualité de grand industriel. Loin de nous la pensée que le gendre ait à recourir aux outils perfectionnés par feu Raoul ! Mais la réputation des vers sortis de cette maison n'arrive pas encore à la hauteur de la réputation de ses limes. Il est vrai que notre Balzac a dit : « Le style trop limé perd de sa vigueur. »


 

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