Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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RUE AU MAIRE,
IIIe arrondissement de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, paru en 1875)

La partie ancienne de cette voie s'est appelée passage au Maire, rue au Mayre, impasse du Roi de Rome et rue de Rome. Le tronçon compris entre les rues Volta et des Vertus a englobé le cul-de-sac de Rome. La rue au Maire fut également appelée rue Aumair, Aum aire, Homer et Aumère. Origine du nom : Le siège de la juridiction du maire ou bailli de Saint-Martin des Champs se trouvait dans cette voie.

Notice écrite en 1857. La rue au Maire, qui depuis lors a grandi, donne aujourd'hui de la tête dans la rue des Vertus. En revanche, la nouvelle rue de Turbigo lui a fait perdre dans le bas, directement et indirectement, un certain nombre d'anciennes maisons, notamment les trois-quarts du presbytère de Saint-Nicolas-des-Champs.

Du XIIIe siècle à l'année 1857 :
Là où passe la rue Beaubourg s'arquait naguère la voûte au Maire, presque au milieu de la rue du même nom, et ce n'était pas le seul pont qu'eussent jeté les religieux de Saint-Martin-des-Champs, pour demeurer en communication avec les premières rues qu'ils avaient ouvertes sur les champs de leur abbaye. Après les champs, les jardins y passèrent, et le quartier primitivement fondé par le couvent fut rendu encore plus populeux par la suppression de ces jardins, qui l'égayaient et l'assainissaient si bien qu'on se met à les rétablir ou qu'on y tâche.

Les boulevards et les squares plantés d'arbres, nouvellement créés ou à créer, succèdent en effet, sur presque tous les points, à des maisons pressées l'une contre l'autre, qui avaient pris la place de cultures attachées à des hôtels ou à des monastères. On gère la grande ville par réaction, plutôt que par révolution. Croyez-vous même qu'on le fasse autant qu'on dit ? De hautes bâtisses remplacent à chaque instant là une cour, ici un jardin. Tant pis pour une race qui, en se multipliant à l'infini sur les bords de la Seine, y a déjà sacrifié à des progrès artificiels et superficiels les couleurs de ses joues, la solidité de sa chevelure et de ses dents, quelque chose aussi de la sûreté de ses voies respiratoires et un peu de sa taille ! L'espèce humaine en souffre dans un type dont les Parisiens et les Parisiennes sont l'échantillon le plus en vue. Mais si l'homme et la femme se modifient avec le temps, les choses n'en tournent pas moins avec ténacité dans les mêmes cercles : serait-ce par ironie ?

Par exemple, au lieu des révérends pères, on ne retrouve plus dans la rue Bailly, dont l'existence date légalement de 1765 et réellement de 1780, qu'un grand nombre d'artisans, casés dans des cellules qui pourraient encore recevoir des moines. Les bâtiments conventuels y sont encore debout, sans se relier, et sur chaque palier quatre petites chambres, toutes pareilles et fidèles à la fenêtre à coulisses, se présentent dans chaque escalier. Plus d'un barbon contemporain pu voir la cour Saint-Martin, dénomination collective de la rue Bailly et des rues voisines ; plusieurs grilles faisaient encore du ci-devant monastère une Cité ouvrière, toute semblable à celles que croit inventer notre époque de réminiscences. Les religieux du prieuré substitué à l'abbaye s'y étaient donné d'autant plus facilement des locataires que ceux-ci avaient l'heur d'y jouir d'immunités localisées. Sous la Révolution, on avait commencé par emprisonner là les banqueroutiers, comme pour les confier à la garde de la population laborieuse du quartier, qui figurait, directement ou non, parmi les créanciers des marchands en déconfiture.

La rue au Maire, sorte de chef-lieu du bourg, était déjà connue au XIIIe siècle ; le maire de Saint-Martin-des-Champs, portant aussi le titre de bailli, l'habitait originairement : de là son nom. L'échelle des seigneurs religieux était fichée entre la dite rue et leur église. Le maire donnait ses audiences dans une maison qui comptait encore, on peut le croire, parmi les 41 maisons qu'avait la rue en 1714, et qui sait même si elle a disparu ? Il est probable au moins que la démolition a respectueusement épargné trois boutiques plus obscures, dans lesquelles un ancien Almanach des Arts et Métiers nous annonce un peu tard que Dardet, Hule et Michel, en 1769, donnaient à manger à raison de 8, de 6, et qui plus est de 4 sols. La rue au Maire a gardé de vieilles maisons, à côté de celles qui ne sont que vieillotte. Le n° 50 lui-même, qui date de 1848, affecte par le pastiche de ses sculptures un air de revenant, qui trompe l'œil d'autant mieux que la poussière des barricades, et peut-être aussi la fumée des poêles à frire du voisinage, l'ont noirci avant l'âge. La délinéation de Verniquet ne laisse pas douter que le cloître de Saint-Nicolas-des-Champs bordait ladite rue depuis celle Saint-Martin jusque-là.

La petite place du Cloître-Saint-Nicolas se carre, après ce n° 50, devant l'église Saint-Nicolas-des-Champs, sur laquelle l'abbé Pascal a fait imprimer une notice historique. La porte carrée et sculptée du presbytère est d'un caractère excellemment ancien qui ne doit rien à l'imposture de l'art. On y remarque, au-dessus d'une arcade, de la même taille que celles de l'ancien cloître, un cadran solaire avec une inscription admirablement concise, qui compare au soleil Saint-Nicolas ; l'un réglant les heures, l'autre les mœurs :

SOL MOMENTA
NICOLAUS MORES
1666

Au rez-de-chaussée de cette petite maison, sous la bibliothèque de M. le curé, est maintenant une chapelle qui dépend de l'église. Son toit irrégulier lui donne à l'extérieur un aspect pittoresque ; à l'intérieur, les ornements des portes, et notamment de celle de l'ancienne salle d'audience presbytérale, qui avoisine la chapelle, remontent par le fait, autant que par le style, à l'époque de la Renaissance.

Le 49 nous représente un ancien hôtel de robin, nouvellement restauré par M. Paulmier : son toit tient un peu de la toque. Des paysages peints sur bois, dans la propriété voisine, peuvent être attribués à Watteau ou à Boucher, et ornent aujourd'hui les magasins d'un commissionnaire en marchandises. Toutes les portes sont chargées d'une imposte, et les cheminées, n'ayant rien de moderne, par conséquent ne fument pas. Les balustres de l'escalier sont encore d'une richesse à annoncer l'appartement d'un grand seigneur, et d'une solidité à servir plus longtemps d'appui dans l'avenir que dans le passé. Une tête sculptée fait sentinelle au-dessus de la porte cochère, devant laquelle des connaisseurs s'arrêtent. La famille Vittoz dispose depuis longtemps de cet ancien hôtel, qui a été créé pour le fameux duc de Roquelaure ou pour la famille de Roncherolles. Autre escalier à rampe remarquable dans une maison numérotée 40. Il y a à chaque étage, et surtout au premier, du côté de la cour, de remarquables ornements. Ce fut, vers la fin de l'ancien régime, l'habitation d'un marchand de vins en gros ; Le Tellier ancien chapelier, en fit l'acquisition sous la première république ; le colonel Arnould, gendre de Le Tellier, vint après, et il était parent du célèbre général Daumesnil, dit la Jambe-de-bois.

Nous croyons que le n° 22 porta pour enseigne le Chef-Saint-Jean. Les Labarthe, maîtres couvreurs de père en fils depuis cent ans, en furent les propriétaires, mais n'y sont plus que locataires. Par bonheur, il y a dans Paris un grand nombre de bâtiments sur lesquels Labarthe peut dire, sans que l'immeuble lui appartienne : – Ceci est mon toit.

Le Chef-Saint-Jean appartenait en 1687 à l'abbé Plumet, maître de philosophie. Ce personnage, dont la profession nous en rappelle un de Molière, ne se montrait sans doute que par oubli censitaire récalcitrant ; il avait fait de la rébellion sans le savoir, tant qu'un procès, ne l'avait pas obligé à payer les arrérages dus au monastère de Saint-Martin-des-Champs, dont la partie la plus saine, comme disaient les actes prioraux, se composait alors de cette façon :

« Les révérends pères dom Hildefonse Sarrazin, prieur claustral, dom Albert Gaula, sous-prieur, dom Paul Rabusson, dom Jean Maistre, dom François Soulletier, cellérier et procure, dom Jean-François Samayre, dom Jean Vaniole, dom Pierre du Jour, dom Ferdinand Bachelier, dom Antoine Desèvres, dom Denis Auvaux, dom Pierre Tallard et dom Léopold Buveul, frère Luglé Piuguet, frère Edme Taupin, frère François Perude, frère Martin Elias, frère Joseph Debard, frère Pierre-Henri Rossignol et frère Louis Aroldi, « tous religieux profez de l'estroite observance de l'ordre de Cluny du prieuré royal de Saint-Martin-des-Champs à Paris. »

Les martinians, c'est-à-dire les religieux de Saint-Martin, avaient fait établir dès 1766 leur marché privilégié entre la rue au Maire et leur jardin. Dobilly, l'architecte de ce marché carré, en dédia le plan au prieur, l'abbé de Breteuil. On y entrait du côté de la rue au Maire par la rue intérieure du Roi-Philippe, qui traversait celles d'Ursion, de Louis-le-Bienaimé et de Saint-Hugues. La rue d'Urbain et une autre étaient intérieurement parallèles à celle du Roi-Philippe.

D'autres vieilles maisons, serrées comme des capucins, mais qui ne sont pas de cartes, apparaissent aux navigateurs qui remontent le courant de la rue au Maire jusqu'au n°1, voisin du vieux passage de Rome, qui fut un de ces repaires de lazzarones qu'on appelait chez nous cours des miracles. La maison est encore solide et à l'enseigne du Roi-de-Sardaigne ; on y débite du vin depuis 150 ans. La boutique eut malheureusement une barricade pour seconde devanture pendant les fameuses journées de juin 1848, et Dercheu, le marchand de vin, pensa n'en être quitte ni pour des carreaux volant en éclats sous les balles, ni pour ses tonneaux mis en perce de la même façon sans foret, coupés ensuite pour servir de civière aux blessés et aux morts. La barricade enfin fut prise ; mais les mobiles trouvèrent un fusil encore fumant chez Dercheu, qui venait de l'arracher des mains d'un ouvrier, son locataire et père de famille ; il n'en fallait pas davantage pour qu'on fusillât le marchand de vin, déjà couché en joue plus mort que vif, quand une blanchisseuse et un sergent de la garde nationale se portèrent sa caution.


 

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