Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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RUE BELLEFOND,
IXe arrondissement de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, paru en 1875)

Notice écrite en 1857. Des excavations n'avaient pas encore fait passer la nouvelle rue Baudin sous la rue Bellefond, a mi-chemin de son parcours.

Mme de Bellefond :
L
a rue Bellefond, tracée au milieu du XVIIe siècle, ne fut tenue sur les fonts que vers l'année 1700 par Mme de Bellefond, abbesse de Mont-martre, qui était en cette qualité propriétaire de terrains en bordure et jouissait de droits seigneuriaux sur les autres propriétés de la rue. Marie-Eléonore Gigault de Bellefond, issue de Bernardin Gigault-de Bellefond, maréchal de France, et de Madeleine Fouquet, succédait à Mme Marie-Anne d'Harcourt dans cette abbaye en règle, dont le brevet était à la nomination du roi depuis l'année 1560. Dès l'âge de cinq ans, son éducation avait été confiée à l'abbesse de Montivilliers, sa tante, et elle avait appris les langues anciennes, comme un garçon ; ce qui ne l'empêcha pas de rester modeste. Elle avait commencé, à peine âgée de quinze ans, son noviciat, bien que les plus brillants partis se présentassent à l'envi pour la détourner de prendre le voile, et elle avait fait profession le jour de la Toussaint, année 1675. Cette religieuse, appelée dans sa vingt-quatrième année au gouvernement du monastère de Notre-Dame-des-Anges, dit de Bellefond, près Rouen, n'avait pris la crosse à Montmartre que quinze ans plus tard, s'étant retirée chez sa sœur, supérieure à Conflans, pour attendre ses bulles.

La communauté de Mont-Martre aliéna, sous la direction de cette abbesse, des biens, pour acquitter des dettes contractées antérieurement ; il y passa jusqu'à la seigneurie de Clignancourt, dont M. du Maine donnait 5,500 livres. La maison obtint, à titre de secours, 4,000 livres sur les gains non réclamés dans les loteries et 20,000 sur les loteries de la Conception ; mais elle demanda sans succès l'autorisation d'organiser une tombola pour son propre compte. Il s'en fallait, ne le voyez-vous pas ? que le crédit de l'abbesse fût sans bornes ! La fille du duc d'Orléans compta pourtant parmi ses pensionnaires, et la régente elle-même eut un appartement à l'abbaye, pour y faire ses dévotions. Dans les premières années de la Régence, l'entourage officiel de Mme de Bellefond, abbesse de Notre-Dame de Montmartre, dame dudit lieu de Clignancourt, des Porcherons et du Tor-aux-Dames, fief assis en Paris, se composait de ces dames :

Sœur Rénée de Sève, prieure ; sœur Thérèse Pellot, prieure du cloître, sœur Anne Dudot, secrétaire du chapitre ; sœur Geneviève Hénault, portière ; sœur Françoise Fromentel, dépositaire ; soeur Marie d'Argence, bourcière,

Mme de Bellefond avait 58 ans quand une longue maladie finit par l'emporter, le 28 août 1717.

Comme on avait gravé son nom, aux quatre coins de la rue, en deux mots, tous les étymologistes ne tardèrent pas à soutenir que l'eau d'une belle fontaine avait servi à y gâcher les premiers sacs de plâtre. Sur le plan de Turgot, qui porte le millésime 1739, la rue Belle-Font sert de limite à la ville de Paris et ne va pas encore jusqu'à la rue du Faubourg-Poissonnière, alors Sainte-Anne. Une des bornes qui avaient tenu lieu de mur d'enceinte à cette époque attenait, vingt-cinq ans après, à la maison du sieur Moreau, s'élevant à 83 toises de l'encoignure de ladite rue du Faubourg, où se trouvait déjà portée l'embouchure de la rue Bellefond. C'est bien en 1728 qu'ors avait commencé à numéroter les maisons, mais l'ordre numérique Baisait d'abord le tour de chaque rue sans séparer les chiffres pairs des impairs, et il en a fallu un chassé croisé général pour que le premier et le dernier ne fussent plus vis-à-vis l'un de l'autre. Aussi bien la maison Moreau, qu'on disait sise à droite, doit plutôt être à notre gauche.

MM. de la Brillantais :
Un hôtel de campagne florissait déjà, rue Bellefond, avant que les frontières urbaines fussent reculées ; on prétend que c'était alors la maison de campagne de l'abbesse ; MM. de la Brillantais en disposèrent ultérieurement, et de nos jours l'emplacement est occupé par des écuries et des remises qu'a établies la Compagnie impériale des petites voitures. Heureusement la rue est carrossable ; on ne pouvait pas en dire autant lorsqu'elle menait à fa voirie ; une ordonnance du 13 floréal an IX, signée Chaptal, en a fixé la largeur à 10 mètres.

M. de la Brillantais possédaient également le terrain, si ce n'est la maison même de M. Isambert, qui touche à celle de M. Bachimont portant le n° 35, école chrétienne pour les filles ; mais en 1843 la construction de celle-ci n'était pas encore terminée. Dans lebdits n°, 35 et 37 le vicomte de la Brillantais avait préludé à l'établissement d'une, salle de spectacle, destinée à ces exercices d'amateur dont la tradition ne court pas risque de se perdre, et cela pouvait n'être qu'une restitution ; mais il y avait eu changement de destination, en même temps que de propriétaire, avant l'achèvement des travaux.

Les deux Rose. Autres Habitants qui ont marqué :
On avait joué auparavant la comédie bourgeoise chez les Dlles Verrière. Mais ces deux sœurs, qui ne brillèrent comme premiers sujets que sur la scène mobile des petits soupers, habitèrent et la rue Bellefond et la rue de la Tour-d'Auvergne, qui en est presque le prolongement ; nous croyons, mais sans l'affirmer, que leurs spectacles furent donnés dans l'une des maisons La Brillantais. Les petites Verrière montèrent à Epinay-sur-Seille des représentations du même genre, aux frais de M. de la Live d'Epinay, fermier général, illustré par sa femme plus que par ses maîtresses. Il y avait sept loges dans leur salle de Paris, sans préjudice des loges grillées pour les curieuses timorées, qui ne s'aventuraient dans la mauvaise compagnie qu'à la faveur de l'incognito. Des acteurs de profession, tels que Laruette et Mlle Villette, participaient chez elles aux applaudissements accordés principalement à des amateurs, tels que le président Salaberri, qui se complaisait aux rôles de valet, le poète Golardeau, le baron de Van-Switen et M. d'Epinay. L'aînée des deux sœurs jouait les soubrettes, et ce n'était pas une raison pour qu'on la distinguât aisément de l'autre à la ville : les deux se ressemblaient si fort qu'on les croyait au moins jumelles. Avaient-elles réellement deux cœurs ? L'une et l'autre portaient le petit nom de Rose, pour faire plaisir au fermier général, et elles ne se montraient jamais jalouses que de lui être agréables. La cadette s'appela toutefois Mme la comtesse de Lamelle.

Des fenêtres du n° 38 on a vu passer les carrosses de cette cour galante. Le 33, qui appartenait en 1781 à Louis Bazin, menuisier de l'Opéra, a gardé un petit jardin, luxe qui n'est pas encore bien rare dans ces parages ; il a été habité, sous l'Empire, par Braise, chirurgien major du Ier régiment des grenadiers de la garde, démissionnaire en 1814, puis par l'amiral Duperré et par M. Malleval, secrétaire général de la préfecture de police. Tout prés de la maison du menuisier de l'Opéra, un rossignol du même théâtre avait trouvé son nid, dont les dispositions étaient les mêmes ; ce rossignol était Lainé, chanteur haute-contre de l'Académie impériale de musique.

En face est une maison que Dardillier, maître maçon, s'est bâtie vers l'année 1780, et que M. Gautier, propriétaire actuel, a augmentée d'un pavillon. Cet ancien officier, qui a été adjoint au maire du IIe arrondissement, a eu pour locataires feu Arnoult, auteur dramatique, mari de Mme Plessy-Arnoult ; Cordelier-Defanoue, également auteur dramatique et fils d'un général ; le baron Trouvé, littérateur et imprimeur. Ce même n° 31, a servi de résidence, vers 1830, au comte de Saint-Denis, ancien page de Louis XV, et à M. de Saint-Pierre, doyen des anciens membres du parlement de Paris, où il avait présidé.

Séraphin :
La maison attenante, côté de la rue Rochechouart, fut construite sous la Restauration par Joseph Séraphin, directeur du spectacle des Ombres Chinoises au Palais-Royal pendant quarante-quatre ans. Son oncle, Dominique Séraphin, voyageait depuis l'année 1772, avec une troupe docile de marionnettes, lorsque S. M. Louis XVI, se souvenant d'une représentation qu'il avait donnée aux jeunes princes du sang royal, au palais de Versailles, lui accorda le privilège du petit théâtre exploité aujourd'hui encore par sa petite-nièce. N'est-il pas rare, en somme, qu'une entreprise dramatique demeure un patrimoine héréditaire ? Voilà enfin une direction que les feux n'ont pas incendiée !

Les Salles de Danse :
Les n°s 26 et 28, à coup sûr, sont d'un âge très respectable, mais sans traditions dignes d'intérêt. Un chiffre en fer sert de signature au 22, qui ne s'en trouve pas moins, à l'égard des recherches historiques, en cas d'insolvabilité.

Depuis plusieurs générations, la famille de M. Thomas dispose du n° 19, ancienne guinguette décorée d'un balcon doré, construite pour Desdomène, cabaretier, qui se rendit acquéreur successivement des nos 13, 17, 21, 23 et 23, dont le sol pour le moins avait appartenu à l'abbesse de Montmartre. Le marchand de vins Desdomène, dans les salles et jardins duquel on dansait comme aux Porcherons, est mort n°21 :

Sa cendre encor frémit, doucement remuée,
Quand dans la nuit sereine une blanche nuée
Danse autour du croissant des cieux.

Desdomène, fils et successeur du Ramponneau de la Nouvelle-France, a cessé de vivre en 1842, à l'âgée de 81 ans, dans la propriété frappée du n° 17.

L'hôtel Bellefond, naguère le pied-à-terre des colonels de la caserne du faubourg Poissonnière, fut créé en 1820 par l'hôte qui le dirige encore. Un peu plus tôt c'était une filature. On y dansait comme dans les maisons voisines, avant que les barrières fussent portées au-delà de la rue Bellefond. Comme guinguette, elle avait une enseigne qui pouvait donner l'avant-goût de la Californie ; on y lisait en grosses lettres : Au Pérou !

M. de Pongerville :
Reste le séjour, d'un académicien, homme d'esprit, qui passe l'hiver depuis trente années rue Bellefond. Nous supposions que ce n° 20 datait d'un siècle au minimum. Mais voici la lettre que M. de Pongerville s'est empressé d'adresser à M. Rousseau, en réponse à un exemplaire de la circulaire qui demandait pour nous à un grand nombre de propriétaires une note sur les antécédents de leur maison.

Aux Quignons, près Nanterre (Seine), 23 mai.

« Monsieur,

La maison qui m'appartient rue Bellefond, faubourg Montmartre, n'a aucun souvenir intéressant ; elle a été bâtie, en 1819, par une dame Cheval, qui me l'a vendue en 1826. Je l'habite depuis 1832. Si, dans les notices que vous destinez aux Maisons, vous recherchiez, Monsieur, les personnes de talent qui en ont été locataires, je ne me souviens que de Léopold Leprince, peintre, et de Mme Félicie d'Aizac, femme d'une grande érudition, dignitaire de la maison impériale de la Légion D'Honneur.

J'ai l'honneur de vous offrir mes civilités.

DE PONGERVILLE (de l'Académie française).


 

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