RUE BERGERE, IXe
arrondissement de Paris
(D'après Histoire
de Paris rue par rue, maison par maison, paru en 1875)
Notice écrite en 1857. Ce n'était,
anciennement, qu'un simple chemin. On l'appela successivement rue du Clos aux
Halliers, rue aux Halliers, rue au Berger, rue Bergère (vers 1652) ;
on y construisit les premières maisons en 1738. Origine du nom : Jean
Bergier, maître teinturier, à qui l'Hôtel Dieu avait donné à bail
une terre de labour sur le grand chemin de Montmartre (XVIIe siècle).
Chemin, Cul-de-sac et Rue :
Des anciennes bornes du Paris de Louis XIV, deux se voyaient
encore rue Bergère en l'an de grâce 1777 : l'une du côté droit, à 78
toises, 4 pieds, de l'encoignure de la rue du Faubourg-Poissonnière,
chez le sieur Levée, et l'autre, presque en face, attenante à la
maison du sieur Le Guay, et distante d'environ 97 toises du point de
départ de la rue Bergère. Il y avait déjà plus
d'un siècle que le chemin dit du Berger coupait l'ancien clos
du, Hallier ; seulement, la communication ayant été interrompue
du côté du Faubourg-Monmartre, il était devenu une
impasse.
Le Comptoir d'Escompte et l'Hôtel d'après : Le
plan de Paris en 1739 ne nous laisse voir encore que l'impasse, comme celui
de 1714, mais avec des murs sur la gauche, bordant principalement des potagers,
et cinq ou sil maisons sur la droite dont une grande.
C'était probablement l'hôtel actuel du Comptoir National d'escompte,
qui fait partie du patrimoine échu à M. le comte Roger du Nord,
député, puis représentant du peuple, arrêté le
2 décembre comme ceux de ses collègues qui se montraient hostiles à l'extension
des pouvoirs attribués au président de la République.
Le père de M. Roger tenait l'hôtel de la faucille de Clesle, qui
l'avait acheté de Mme Mérault, moyennant 120,000 livres, le 20
janvier 1761. Or, plus nous remontons, plus va s'amoindrissant le prix de cette
propriété, dont la valeur s'est plus que cubée. Dix ans
avant de la céder, Mérault l'avait payée 85,000 livres à Victor
Riquetti, chevalier, marquis de Mirabeau, père de l'illustre orateur,
qui lui-même était acquéreur du marquis Hector de Saint-George,
chevalier, seigneur de Dirac, pour une partie des dépendances, en 1742,
mais adjudicataire de l'hôtel proprement dit dans la même année,
sur une saisie pratiquée contre le sieur Jacques Dupin du Plessis, maître
de mathématiques.
Les Maraîchers
:
La maison de M. de Saint-George, qui venait
immédiatement après, avait appartenu à François de
Loriné, successeur de Pierre-Antoine Levée ; elle passa à Jean
de Sénac. Puis maison et jardin de 60 perches à Charles Brière,
maraîcher, qui tenait d'une part à Saint-George, d'autre part a
Jean Saulnier, par-derrière à l'égout de la ville. Puis
un arpent cultivé en marais par Jean Saulnier, y ayant son habitation,
qui vendit à Legué ou Le Gauy, dont la famille également
jardinière était alliée à la sienne. Un autre Saulnier,
demeurant rue d'Enfer (autrement dit rue Bleue) bêchait, et arrosait trois
quartiers de terre à la même époque, rue Bergère,
et il y succédait à Delaroche.
Le Conservatoire :
La vie des champs se menait
donc encore dans cette ancienne bergerie : Toutefois les pastorales qu'on
avait jouées, sous la Régence, dans la petite
maison du comte de Charolais, prince du sang, n'y avaient pas précisément
naturalisé l'innocence. Cette propriété d'encoignure,
qui devint l'hôtel royal des Menus-Plaisirs, puis le Conservatoire, n'était
vouée encore qu'aux menus plaisirs d'un prince quand elle faisait pendant
a la maison Fornat, qui ouvrait, elle aussi, sur la rue du Faubourg.
Le Président Gilbert des Voisins. La Bourgeoisie
de 1769. L'Hôtel Rougemont et les Maisons d'avant :
Les
Fornat, famille bourgeoise, tenaient sur la rue Bergère au président
Gilbert des Voisins, propriétaire sur l'une et l'autre lignes. Le
président
avait hérité de son beau-père, Nicolas Langlois, secrétaire
des finances, une grande maison, une petite et 3 arpents et 1/2 de terre
au Clos du Hallier, et cette propriété était embrassée
par la maison du susnommé Du Plessis, par un héritage Legoix,
par les égouts de la ville et par la rue Bergère ; elle aivait
donc la petite maison du prince pour chef de file.
Les propriétaires se suivant a l'opposite répondaient en 1769 à l'appel
que voici :
M. Glyent, M. Trouard, M. Marquet de Peyre. M. de la Salle, M. Mercier de
Montblanc, pour deux maisons, Mme Serval, idem M. Bruyère, M. Mousset
De ce côté, Marquet de Peyre
disposait de l'hôtel princeps, qui faisait presque face àl'autre,
et que l'on connaissait pourtant sous les noms de Samuel Bernard et de Boulainvilliers.
C'était enfin l'hôtel Rougemont quand, sous le règne de
Louis-Philippe, on perça sur son emplacement la rue Rougemont en morcelant
le reste du terrain.
Les démolisseurs donnaient 4 millions
de cet hôtel, dont le magnifique jardin servait de fossé au boulevard, à travers
une belle grille, et qui avait triple porte rue Bergère ; il n'avait
toutefois coûté que 600,000 fr. au banquier Rougemont de Lowenberg.
La commande en avait été faite par le riche financier Samuel
Bernard ; qui eut pour fils et successeur Le président Bernard de Boulainvilliers.
Quels noms de l'aristocratie n'ont pas porté les filles du président,
quand leur tour est venu d'en changer ! Le mariage a fait sortir, l'une après
l'autre, de l'hôtel de Samuel Bernard ses quatre petites-filles, devenues,
Dieu me pardonne ! la duchesse de Roquelaure, la duchesse d'Uzès, la
marquises de Clermont-Tonnerre et la marquise de Faudoas.
Par exemple, on n'a pas demandé, que nous
sachions, la main d'une jolie fille pour laquelle fut construite en 1740 la
maison du n° 7 ; il
est vrai que le sieur Trouard l'y amena de la main gauche. Aussi bien tous
les ornements du rez-de-chaussée, jadis appartement unique, y sont en
plomb coulé et doré. Le grand jardin de ce lieu de plaisance
longeait autrefois le parc de l'hôtel Rougemont jusqu'au boulevard. Un
juge, M. Dubois, y avait ses pénates au commencement de la Révolution.
Eugène Scribe y a occupé un appartement de garçon, sur
le côté, lors qu'il sortait de Sainte-Barbe, avec des vaudevilles
en portefeuille et Poirson, le futur directeur du Gymnase, pour camarade et
collaborateur. Là demeura aussi M. Paul Avrial, négociant tombé sous
les balles d'une barricade au mois de juin 1848.
Le 5 est de la même date que le 7, et tout pareillement il est veuf
d'un jardin, lequel y donnait vue sur le boulevard. La famille Papillon de
Laferté a disposé de la maison qui précède.
M. Hottinguer :
Ne remarquez-vous pas aussi, sur ce versant
du boulevard, mais après la rue Rougemont, l'hôtel du Baron Hottinguer,
régent de la Banque de France ? il appartint à Jean-Claude Douet
et à Marie-Claude Bataille de Francès, sa femme, mais il fut confisqué par
la Nation sur la comtesse de Massay, châtelaine à Béthemont,
près de Montmorency, qui avait émigré. La famille Hottinguer
en jouit depuis trente ans ; les plafonds historiés, les sculptures et
les dorures qui décorent les bureaux de cette maison de banque sont tout à fait
du style de l'Empire et le reste de l'hôtel observe une simplicité qui
fait contraste.
Le 18 et 20 :
En face est le 18, où un petit salon
enguirlanda des couronnes décernées par le public à une
forte femme, Mlle Georges, que le drame réussit pourtant à enlever à la
tragédie cette locataire, n'eût-on reconnu en elle, dans l'escalier
ni Marguerite de Bourgogne, ni Lucrèce Borgia, aurait encore eu de la
peine a y passer inaperçues. Un autre appartement est occupé par
M. Comartin, princièrement logé pour un avoué ; or Ignace-Joseph
Comartin, huissier audiencier au grenier à sel de Paris, habitait déjà la
même rue il y dura bientôt cent ans. L'imprimerie Chaix, a démocratisé un
ancien hôtel adjacent, où n'a pas résidé, comme on
l'a publié, Mme de Pompadour, mais qu'on a bâti de son temps et
qui en porte encore le cachet, bien qu'il ait cessé d'être entre
cour et jardin. La méprise vient de ce que, le premier occupant, Lenormand
de Mézières, commissaire des guerres, époux de Louise-Marie-Jeanne
Duchesne, était parent du fermier général Lenormand d'Étioles,
mari de la marquise de Pompadour. Le terrain lui avait été vendu
en 1758, sous la censive de Sainte-Opportune, par Aimée-Geneviève
Baudin, veuve de Charles Bruyère, maître jardinier, propriétaire
qui était mitoyenne avec le marquis de Saint-George à l'orient,
avec le comte de Busse à l'occident. Or l'acheteur lui-même se qualifiait
seigneur de Bussy et de Mézières : du titre de monseigneur, à celui
de comte il n'y avait pas loin, pour un financier bien en cour ! Par conséquent,
deux hôtels, au lieu d'un, ont pu appartenir au commissaire des guerres,
qui a cédé pour sûr le premier en 1765 à Marie-Antoine
Bourgogne, écuyer, et à sa femme, née Anne Duvergier. Le
27, sujet à reculement, n'a plus le droit de réparer sa façade,
qui d'ailleurs n'en aurait besoin qu'au point de vue de l'alignement, depuis
vingt ans c'est un hôtel garni, depuis un siècle il est debout.
Quant au pâté d'hôtel garnis dit la cité Bergère,
son enfournement date de l'année-1825.
M. Fould
:
L'hôtel Fould, acquis par le père
du ministre de ce nom après le 18 brumaire, n'a pas cessé depuis
de se livrer aux opérations de banque au profit de la même tribu.
M. Achille Fould a fait, dit-on, les fonds nécessaires au coup d'État
du 2 décembre, et les Tuileries continuent a avoir si souvent besoin de
ce financier, riche en expédients, que sa disgrâce n'est jamais
de longue durée. Sitôt qu'il n'a plus de portefeuille, la gêne
désorganise les innombrables combinaisons dont le fil d'or est incessamment
tenu par la maison de l'empereur ; il rentre donc forcément aux affaires, à seule
fin de ramener l'abondance au palais, mais en exigeant, comme toujours, carte
blanche pour les moyens. Le jardin de l'hôtel Fould longe la rue de Trévise;
il a d'abord été beaucoup plus grand. Ce qu'il y a de bâti
sur le devant est moderne ; mais la coure a gardé le pas sur les anciens
appartements de M. de Flesselles, une des premières victimes de la Révolution.
Le Prévôt des Marchands :
Ce
dernier prévôt des marchands de Paris, qui avait été intendant
de Lyon, vit naître une puissance redoutable, la Commune, inaugurée
au sein du comité dès électeurs qui avaient envoyé les
députés aux États Généraux. Les anciens échevins,
présidés par Flesselles, eurent beau tenir tête ; en plein
Hôtel de Ville, à cette édilité rivale, il fallut
opérer bientôt une fusion, sous le nom de comité central
des échevins et des électeurs, mais dont le président
n'eut jamais que l'apparence de l'autorité. L'imprudent Flesselles continuait
néanmoins ses relations avec la cour et avec le baron de Bézenval,
qui se disposait à défendre la Bastille. Un matin donc, Garan
de Coulon, électeur, interpelle le prétendu traître avec
fureur, avec menaces ; Flesselles veut se justifier, mais plusieurs électeurs
l'entraînent en lui criant qu'il aura à répondre directement
de sa conduite au peuple, qui l'attend au Palais Royal ; Le prévôt
des marchands n'est pas encore au bas de l'escalier qu'on le massacre. La foule
fait irruption, pour s'emparer du corps, qu'elle décapité, en
dispersant ses membres dans la fange. La tête, du vieux Flesselles est
promenée ensuite au bout d'une piqué par la ville. Ainsi tombait,
le même jour que la Bastille, une magistrature élective qui datait
encore de plus loin, et qui avait rompu plus d'une fois en visière avec
l'autorité royale.
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