Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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RUE DE L'ABBAYE,
VIe arrondissement de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, paru en 1875)

Ouverte sur les terrains de l'abbaye Saint-Germain des Prés ; dénommée successivement : rue de la Paix (1802), rue Neuve de l'Abbaye (1809), rue de l'Abbaye (1815). En 1951, la partie qui était comprise entre les rues Bonaparte et Saint-Benoît a pris le nom de rue Guillaume Apollinaire. Origine du nom : L'abbaye Saint-Germain des Prés, fondée par Childebert en 543.

Notice écrite en 1857. Les deux dernières maisons de la rue de l'Abbaye, côté des numéros impairs, ont été démolie depuis ; mais on a prolongé cette rue depuis la rue Bonaparte jusqu'à la rue Saint-Benoît.

Ancien Palais abbatial de Saint-Germain-des-Prés :
L
e tapissier de l'Opéra n'a pas besoin de quitter ses magasins, qui sont rue de l'abbaye, et il peut se passer de lustre, de rampe, de portants, de machinistes, pour avoir devant soi un décor historique Le fantôme du palais abbatial de Saint-Germain-des-Prés est encore debout sur ses marches de pierre usées. L'ancienne résidence de l'abbé appartient à un particulier, et la Société impériale et centrale d'Agriculture y tient son bureau, ses séances, depuis une douzaine d'années. Une imprimerie typographique, en disposant du rez-de-chaussée, ne donne-t-elle pas ainsi qu'un démenti à un célèbre mot de Victor Hugo, qui se borne à faire de l'effet, et que chacun sait par cœur :« Ceci tuera cela ? » Les plages d'impression peuvent vivre en bonne intelligence avec celles de l'architecture, et si bien que l'on eût pu dire : Cela abritera ceci. L'artiste Fauginet a également ses ateliers dans le palais, comme naguère Gigoux, Pradier et Péron. Ce dernier, à ce qu'il paraît, est mort célibataire, comme un vieux moine, dans les appartements méconnaissables de l'ancien abbé de Saint-Germain, après y avoir passé 45 ans sur les 81 qu'avait duré sa vie.

Le jardin du seigneur ecclésiastique existe encore, et l'on y aperçoit les types en plâtre des statues de Mansard et de Massillon, qui semblent avoir froid dans le palais déchu et sécurisé. Les arbres séculaires qui s'y dressent ont encore dans leur sève une teinte du sang que leurs ruines ont bu lors des massacres de Septembre, dont il semble que rougisse aussi le bâtiment sous l'encroûtement de ses briques : La prison de l'Abbaye avait une sortie sur ce jardin ; des bancs étaient posés des deux côtés, sous les acacias encore verts, pour la commodité des spectateurs privilégiés, et chaque fois que la porte de la geôle s'ouvrait, l'odieux public, friand d'un sanguinaire spectacle, applaudissait aux grimaces de l'horreur, aux contorsions de l'épouvante, avant que le massacre eût fait une victime de plus.

Il est vrai que le dernier abbé de Saint-Germain était un roi, Casimir, roi de Pologne, qui avait abdiqué mais les anciens droits régaliens de la communauté avaient porté ombrage à Louis XIV, avant que la Nation elle-même s'en émût, et l'abbé couronné n'avait pas eu de successeur. Cette fin avait, du reste, quelque rapport avec l'inauguration de la résidence personnelle de l'abbé. C'est Charles de Bourbon qui avait fait bâtir, en 1586, le palais des seigneurs abbés ayant droits de justice et de cens non-seulement a Saint-Germain-des-Prés, ville d'abord et ensuite faubourg, mais encore dans trente rues de Paris, où s'étendait plus ou moins la circonscription de leur fief. Ledit prince de l'Église fut salué pendant deux grands mois, immédiatement après la mort de Henri III, d'un nom fait pour porter malheur : il fut proclamé roi de France, sous le nom de Charles X, par le duc de Mayenne et le parlement de Paris appuya d'un arrêt parfaitement confirmatif son élévation éphémère, au mois de mars 1590. Il faillit même répudier l'Église, épouse dont le front divin déragerait à partager une couronne royale ; on négocia pour lui un mariage, déjà ridicule à cause de l'âge du fiancé, et qui nécessitait doublement les dispenses de Rome, avec la veuve du duc de Guise. Mais le cardinal, au mois de mai, mourait prisonnier à Fontenai, après avoir fait battre monaie à son effigie, et puis, quand Henri IV eut dit que Paris valait bien une messe, le parlement raya de tous les actes ce nom de Charles X qu'on ne craignit pas dans la suite de redonner à l'un des petits-fils du Béarnais.

Trois années après la suppression révolutionnaire des ordres et communautés, des rues nouvelles morcelèrent l'habitation ci-devant conventuelle. Les terrains domaniaux de l'Abbaye furent vendus,comme biens nationaux, les 18 et 24 thermidor an V ; le 11, thermidor an VII et le 18 prairial an VIII : Toutefois, la dénomination qui a prévalu convient par excellence à la rue dont nous parlons, dite de la Paix le 11 brumaire an X. Outre la demeure du supérieur, on y retrouve des corps de bâtiment qui ont servi aux religieux. D'autres jalons du même genre encore posés aux alentours, permettent de reconstituer par la pensée l'ensemble de ce vaste couvent, dont la vénérable basilique survit, à la prison. Celle-ci, du reste, avait cessé depuis plus d'un siècle d'être seigneuriale, pour devenir geôle militaire et corps de garde de l'ancienne porte d'honneur, il subsiste un pilier au coin de la rue Jacob et de la rue Furstenberg : c'était un porche à grande arcade, avec un pont-levis sur le fossé embrassant toute l'abbaye. L'entrée par la rue Saint-Benoît, où se trouvaient les écuries, est encore un passage.

Près du palais en dernier lieu était la sacristie nouvelle, avec l'ancienne par derrière et l'église, dominant aujourd'hui des restes qui lui sont devenus étrangers. La rue de l'Abbaye passe au beau milieu du quartier affecté autrefois au chapitre ; c'est pourquoi on y retrouve à gauche des pans du cloître neuf. Il y reste également une aile de la salle des hôtes, à l'angle de la rue Bonaparte. L'illustre bibliothèque des pères était au-dessus et à côté : l'explosion d'une poudrière la détruisit presque entièrement en 1794.

Les n° 4 et 6 de la rue actuelle n'ont pas changé de physionomie : c'était l'habitation des officiers, des palefreniers. Langlumé, lithographe connu, Challamel, éditeur de livres d'art, et Raynaud, professeur à l'École polytechnique, ont demeuré au n°4 avant M. Baltard, architecte distingué du temps où nous vivons. Quant au n° 6, où demeure M. Féburier, des fragments de sculpture curieuse et délicate, comme une broderie, débris de la galerie du cloître, y sont rassemblés avec soin. Les caves de ces deux maisons communiquent encore avec celles, du grand bâtiment n° 3, souterrain, qui eût pu contenir autant de vin qu'un entrepôt. Le 10 est tout un morceau bien conservé sous la porte cochère : il y a sculptée la Passion de N. S. Jésus-Christ. De ce côté de notre rue se suivaient de prés : la cuisine, la dépense, le réfectoire, le parloir, le petit cloître, la grande chapelle de la Vierge et le passage à la cour des écuries.

Nous voyons là ce qu'est devenu le royal monastère fondé au VI siècle par Childebert, réformé et soumis a la règle de Saint-Benoît en 1513 et agrégé en 1631 la congrégation de Saint-Maur. Mais un monument moins sujet à l'expropriation impériale est l'Histoire de l'Abbaye de Saint-Germain des-Prés, par le bénédictin Bouillart.


 

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