RUE DE MORNY, naguère
d'Angoulème-Saint-Honoré.
(Aujourd'hui rue Pierre Charron )
(D'après Histoire
de Paris rue par rue, maison par maison, paru en 1875)
Notice écrite en 1856. M. de Morny n'était
pas encore duc ; il remplissait les fonctions de président au Corps législatif.
La survivance de son nom a été donnée à une rue
qu'il avait habitée. Plus récemment encore la rue de Morny a
franchi les Champs-Élysées, pour se prolonger jusqu'aux nouvelles
avenues de l'Empereur et d'Iéna.
La Ceinture de Sainte-Opportune :
Il était rare autrefois, j'aime à le
croire, que la main d'un vilain s'élevât jusqu'à la ceinture
de la reine ; sous ce nom, la reine a toutefois daigné appliquer à sa
toilette un droit prélevé sur les marchandises arrivant à Paris
par eau. La ceinture des chanoines de Sainte-Opportune était leur
censive. La zone semi-circulaire de ce fief autour du Paris de la rive
droite passait entre les rues actuelles d'Angoulême et de Berri.
De là vient,
entre beaucoup d'autres, le témoignage déposé le 19
janvier 1587 ès mains du bailli dudit chapitre de Sainte-Opportune par
révérend
père en Dieu messire Pierre de Gondy, évesque de Paris,
abbé de
Saint-Magloire, conseiller du Roy en son Conseil privé, qui confesse
et déclare que, à cause de sadicte Abbaye annexée à son
dict évesché, il est détempteur et propriétaire
de dix arpens de pré et une pièce entre Chaillot et le Roulle,
tenant d'une part audict sieur. Évesque, d'un bout. à la
chaussée
du Roulle, etc.
D'un rempart, élevé d'abord pour la
défense de l'hôtel
royal de Saint-Paul, la politique du bon plaisir avait fait une prison d'État,
la plus forte, la plus grande et la plus proche, la seule peut-être dont
les rois eussent toujours gardé la clef ; le peuple a renversé cette
citadelle, avec le concours de bien des gentilshommes et aux applaudissements
de presque tous les autres, aussi bien que de la compagnie irrégulière
des jaloux chansonnant la cour ou la harcelant de libelles, qui avait été,
elle aussi, justiciable de la Bastille.
Mlle Contat :
Le comte d'Artois était devenu propriétaire
de l'ancienne pépinière, de l'ancien chemin du Roule, lorsque
son frère Louis XVI lui permit, en 1777, d'ouvrir une rue sous l'invocation
de son fils aîné, le duc d'Angoulême. Précisément à cette époque,
l'actrice Louise Contat était reçue à la Comédie
Française ; le comte d'Artois lui fit bâtir, à l'angle
des Champs-Élysées dits alors par-là le Grand-Cours, un
magnifique hôtel, sur le dessin de Chalgrin, architecte du roi et premier
architecte de Monsieur, avec un plafond peint par Barthélémy.
L'hôtel est toujours debout, mais le jardin n'est plus aussi grand qu'à l'origine
: le baron Roger y demeure. La grâce et la finesse de la Suzanne du Mariage
de Figaro s'alliaient, chez Mlle Contat, à la noblesse de maintien
et à l'élégance
coquette de Célimène. Cette belle personne faisait des vers,
qui ne furent jamais publiés du reste, elle épousa un Parny,
neveu du poète Parny. La reine ayant fait prier cette comédienne
distinguée, en 1789, de jouer la Gouvernante,
elle parvint à apprendre
le rôle en vingt-quatre heures, ce qui lui fit dire au foyer : Le
siège de la mémoire est dans le cœur.
Mlle Contat a cessé de vivre sous l'Empire. Son ancienne demeure est
devenue hôtel Marescalchi et ambassade d'Italie, bien avant de passer,
sous le règne de Louis-Philippe, la résidence du comte de Flahaut et
du jeune Morny, son fils naturel. M. de Flahaut y avait déjà assisté,
comme invité, au bal masqué que le comte Marescalchi avait donné en
1809 à Napoléon, et les autres beaux de cette grande fête étaient
MM. de Beausset, de Brigode, de Montesquiou, de Septeuil, de Canouville, de
Pourtalès et de Ponte-Corvo ; les belles : Mme de Barras, la comtesse
Regnault de Saint-Jean-d'Angély, la duchesse de Bassano, la duchesse
d'Abrantès, la princesse de Neufchatel, la comtesse Français,
Mme Duchâtel, la duchesse de Rovigo, Mlle de Colbert, la princesse de
Ponte-Corvo, Mme de Couizy, la reine de Naples, et d'autres jeunes femmes éblouissantes
qui depuis... Mais les dates sont impitoyables, et les splendeurs d'une autre
cour impériale empêchent de porter le deuil de son aînée.
Mme de Luçay :
Le n° 40 de la rue d'Angoulême est un
hôtel bâti pour la comtesse de Luçay, première dame
d'atours de l'impératrice Marie-Louise : il appartient maintenant à Mme
la marquise de Préaulx. Mme de Luçay a inauguré également
un château élevé vers le même temps dans la vallée
de Montmorency et maintenant résidence d'été de S. A.
I la princesse Mathilde.
Un Anglais :
Une cité ouvrière occupe, de l'autre
côté de la rue, les anciennes dépendances d'une maison
dans laquelle s'est exploitée une taverne anglaise, à l'usage
des nombreux jockeys et grooms de ce quartier à grandes guides. D'autres
quartiers marchent, celui-là roule : on y compte plus d'Anglais que
de Français, plus de chevaux que d'hommes, plus de phaétons et
de Wurtz que de maisons. L'origine de ce n° 45 dont Glorian, fumiste, est
propriétaire, remonte à plus d'un demi-siècle. C'est justement
un fils d'Albion qui fit bâtir l'hôtel, d'abord isolé. Ses
excentricités étaient connues et goûtées dans les
boxes du voisinage : il était allé au Brésil, avec un
bâtiment chargé de marchandises, pour y gagner d'un seul coup
un million ; par malheur, dès qu'il eut embarqué son nouveau
trésor pour retourner en Angleterre, le spleen voulut être du
voyage ; pour combattre ce spleen, il but et il joua tant à bord qu'il
y dépensa deux millions, dont une forte somme sur parole.
Sous la première république, sous le premier empire et sous
la seconde république, on a appelé cette voie rue de l'Union.
Quelque temps même, après juillet 1830, on essaya de la baptiser
rue de la Charte ; mais l'ancien nom depuis a prévalu, et en effet il
nous rappelle une galanterie princière, toute française, sous
les auspices de laquelle est placée une rue pour ainsi dire britannique.
|
|
|
|