Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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Quai de Billy, aujourd'hui avenue de New York,
XVIe arrondissement de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, paru en 1875)

Précédemment avenue de Tokio, antérieurement quai Debilly ; plus anciennement partie du quai de la Conférence et quai de Chaillot. Ce quai a été appelé aussi quai des Bons Hommes et quai de la Savonnerie. Sous le premier Empire, le quai de la Conférence a porté le nom de quai Levesque. On a commencé à le construire en 1572. Origine du nom : Le nom de New York a été attribué en hommage aux Etats-Unis d'Amérique pour commémorer leur participation à la libération de la France.

Notice écrite en 1857. Il y avait déjà deux années que le pont de l'Alma était jeté sur la Seine ; mais la place de l'Alma ne décrivait pas encore aux abords de ce pont l'hémicycle qui a emporté la première maison du quai. La Pompe à feu, que ce dégorgement met à l'aise, fait toujours partie au service municipal des Eaux de Paris ; elle alimente d'eau de Seine le bois de Boulogne renouvelé, Les autres maisons du XVIIIe siècle en bordure du quai nous ont dit adieu quand la nouvelle avenue de l'Empereur est venue par derrière ouvrir à leurs dépens une tranchée parallèle ; mais il reste de leurs jardins quelques arbres séculaires, notamment le cèdre dont parle cette monographie.

Historique du Bord de l'eau. La Conférence. La Guinguette. Périer frères :
P
armi les gloires du premier empire figure le général Billy, tué à Iéna le 14 octobre 1806. Une ordonnance de l'empereur, datée du palais de Varsovie, trois mois plus tard, a donné le nom du général au quai de la Savonnerie, dit aussi de Chaillot, qui s'était même appelé quai de la Conférence et plus anciennement chemin de Nijon, à cause d'une maison de plaisance ainsi nommée, qui appartenait aux ducs de Bretagne. L'établissement de cette chaussée riveraine de la Seine avait été commencé en l'Année 1572, sous une autre dénomination, celle de quai des Bons-hommes, provenant du monastère des religieux minimes dits les Bons-Hommes, qu'Anne de Bretagne, femme de Charles VIII, avait établis à Nijon. Mais l'année à laquelle remonte le terrassement est aussi celle de l'abominable massacre de la Saint-Barthélemy.

La Seine, complice involontaire des crimes d'une horrible nuit, s'en accusa elle-même, dès la matinée du lendemain, en rejetant des cadavres dont elle avait bu le sang. Rien que sur le quai en construction, transformé par cette alluvion en champ de bataille de la veille, dit huit cents corps gisaient inanimés. Le prévôt des marchands fit couvrir à la hâte d'un peu de terre ces sinistres épaves de naufrage, et l'écho de l'histoire eut à retentir pour toujours du plus terrible des ouragans que la conjuration d'Amboise eût successivement déchaînés. Quel que soit le parti vaincu, la victoire due à la surprise efface-t-elle jamais sa tache originelle ?

Ce n'est pourtant pas sous Charles IX, c'est sous Napoléon Ier que la Seine a refait son lit un peu plus bas sur cette rive, un peu plus haut sur la rive gauche. La chaussée était donc plus étroite par ici à l'époque où le bac des Invalides, qu'on appelait le Pont-Volent, servait encore à passer là. Au milieu de l'eau se tenait, sous Louis XVI, la patache des fermiers du roi ; dans ce bateau couvert veillaient, un certain nombre de préposés, chargés de faire payer des droits aux marchandises à fleur d'eau et d'arrêter la contrebande qui, çà et là, les obligeait à des plongeons.

Le port aux pierres de Saint-Leu et le port au marbre empiétaient sur la même rive en ce temps-là, et ils avaient pour vis-à-vis, pendant l'été, de petits bains isolés, où l'on payait 12 sols pour s'immerger avec sécurité dans une ondé courante que tous les affluents souterrains de Paris avaient attiédie au passage et généreusement épicée. Enfin des mariniers animaient également ces parages aquatiques, dans les beaux jours, en donnant le dimanche des fêtes, où la musique servait d'intermède à des joutes, et que la soirée couronnait d'un feu d'artifice.

Le titre de la Conférence a été restitué au quai qui précède celui de Billy, pour nous rappeler que là s'élevait, en effet, la porte de la Conférence. Paris y finissait, du côté des Champs-Élysées, dés le temps où se négociait, dans une conférence mémorable, l'alliance matrimoniale et politique qui a fait dire : « Il n'y a plus de Pyrénées. » Les droits d'entrée s'y percevaient dans une roulette, bureau mobile. C'est au siècle d'après que les commis se sont fixés plus loin, dans la maison qui porte le n° 2, quai de Billy, et qui n'a pas cessé depuis longtemps d'être à la Ville.

Une crûe nouvelle de Paris ayant poussé les mêmes employés jusqu'à la barrière des Bons-Hommes, ce bureau à son tour est resté en arrière ; on l'a transformé en guinguette, pour y prélever un impôt, encore plus indirect que tous les autres, sur les amourettes populaires qui s'y donnaient le bal au cabaret.

L'ancienne guinguette est contiguë à la Pompe à feu de Chaillot, qui alimente d'eau de Seine tous les quartiers nord-ouest de la capitale. Les frères Pépier ont établi en 1778 cette Pompe à feu, la première qui ait fait son service à Paris. Par abonnement 50 livres par an donnaient droit, dans le principe, un muid d'eau par jour. L'usine se trouve par le fait sur le territoire de l'ancien village de Chaillot, comme toutes les propriétés du quai de Billy et de la rue Bizet, sur, laquelle elle donne aussi. Les plus beaux jardins qu'on y remarque descendent même des fauteurs de Chaillot.

Un immeuble actuellement à la disposition du sieur Souty, fabricant de pain d'épice, répondais sous le premier empire au nombre 6. On avait alors un motif pour ne pas lui donner d'avancement, mais n'en a-t-on pas abusé ? Le sujet a reculé jusqu'au n° 10. Aussi bien le gouvernement de la Restauration n'aurait-il pas dû réparer cette disgrâce par une promotion et décernez un réverbère d'honneur à une maison qui avait conspiré contre le gouvernement consulaire ? Les plus, anciens voisins ne se souviennent d'avoir vu accoudé sur l'appui de ses fenêtres à balustres qu'un fournisseur de drap pour les armées, incapable de souhaiter le renversement d'un régime qui se montrait si favorable au renouvellement de sa marchandise. Le prédécesseur du locataire inoffensif avait été, par contre, Georges Cadoudal.

Georges Cadoudal. Mme de Pompadour. Sophie Arnoult. La Savonnerie. Mlle de la Vallière :
C
e chouan célèbre, secrètement attiré à Paris par l'entremise de Brune, a été reçu non seulement par Bourienne, ministre de la guerre mais encore par le premier-consul, qui ne demandait pas mieux que de l'attacher à sa fortune. On ne manquait pas alors de lui offrir 100,000 francs de pension, ou le grade de général en Italie, en échange du servent de ne plus s'occuper de politique ; malheureusement il a subordonné ses services à la condition que le premier-consul, se contentant de jouer le rôle de Monk, favoriserait le rétablissement de la monarchie légitime. Le ton sur lequel cette clause était tout de suite écartée ne lassant aucun doute sur les vues ambitieuses du premier citoyen de la République, la reprise des négociations a été rendue impossible par le brusque départ de Cadoudal, pour l'Angleterre, où il était du moins en sûreté.

Toutefois il n'a pas tardé a repasser la Manche incognito et à se cacher dans cette maison du quai de la Savonnerie avec le comte Armand de Polignac. L'un et l'autre y ont mis le plan d'une attaque à force ouverte sur le tapis, dans de mystérieuses entrevues avec Pichegru et Moreau. Or ce dernier temporisait toujours. Il n'y avait pourtant pas lieu de remettre à un moment plus favorable l'exécution de leur projet, s'il consistait à se jeter sur le premier-consul au milieu de sa garde. L'aventureux breton, âme de ce complot, n'a guère passé moins de sept mois de l'an XII à Paris, et les retards en pareil cas rendent l'impunité impossible. Comme il revenait de la montagne Sainte-Geneviève, le 9 mars 1804, on l'a arrêté en chemin. Puis la peine de mort a été prononcée et appliquée.

Dans la grande propriété qui s'étend du 12 au 22 Mme de Pompadour a régné sans partagé ; seulement le pavillon coquet qu'y avait occupé la belle marquise, dont le nom reste à un genre dans l'ameublement, le costume, les arts et la littérature, a fini par paraître lui-même rococo et a été sacrifié, après avoir servi d'habitation au général Malarmet. Un pensionnat de demoiselles s'y est ébattu pendant près d'un demi-siècle et, depuis lors, par les religieuses de Jésus-Christ.

Colombier du même genre au n° 24, sous le règne de Louis-Philippe. Les tourterelles en apprentissage y voletaient du dortoir à la classe et du réfectoire au jardin ; avais l'oisellerie à l'usage de ces jeunes élèves avait beau les tenir en gardé contre le plus adroit des oiseleurs, elles en rêvaient nuit et jour. Où, leur virginale imagination faisait-elle l'école buissonnière quand la maîtresse avait le plus à se louer de leur apparente application ? Elles demandaient alors tout bas, et avec quelles instances ! à la broderie, la révélation du chiffre qui s'entrelacerait avec le leur ; au piano, la partie principale des morceaux dont l'accompagnement venait plus facilement à bout de la langueur ou de l'irritation de leurs petits doigts ; à la grammaire, le genre dont chacune d'elles manquait, comme par hasard, pour former le premier des pluriels, le plus modeste de tous les nombres, un couple ; au dessin lui-même, au dessin, d'arrêter les traits indécis d'une figure d'étude entrevue ; ou devinée, académie s'estompant dans la brume de l'innocence qui en venait aux prises arec la curiosité.

N'ignoriez-vous pas, mesdemoiselles, de qui avait été le salon ce parloir aux vieilles dorures, où de chastes visites vous comblaient d'aise ? Cette ancienne maîtresse de maison, dont vous savez par cour quel fut l'appartement, comme si vous l'aviez eue elle-même pour aïeule, lui disait-on madame la présidente ou madame la chanoinesse ? Ni l'un ni l'autre, chères enfants à qui maintenant on ne cache plus grande chose : elle faisait partie du chapitre de l'Opéra, comme première chanteuse, et sa plus grosse prébende était encore le canonicat de ses amours.

Quelque nombreuses que fussent les pensionnaires, l'amour au singulier qui leur trottait en tête aurait trouvé tout de suite son idéal, son type dans la collection de leur devancière. Elle céda pourtant à l'a propos plus qu'à la préméditation. C'était une femme d'esprit, qui n'avait pas besoin de se coiffer de champagne pour jeter son bonnet par-dessus les moulins ; elle se grisait toujours la dernière, même à table, et ne gardait un amant qu'en prenant a son tour la bonne fortune pour elle. Reine du théâtre et du petit souper, elle recevait de l'amour un tribut ayant si peu de rapport avec l'encan que la vénalité y était à peine soupçonnée !

Sophie Arnoult, qui n'a passé qu'une vingtaine d'années à l'Opéra, n'y a pas été remplacée pour la vivacité des reparties. Les plus jolies choses du monde ne la contentaient pas sans un bon mot. Cet accessoire la consolait parfois de la banqueroute du principal. Elle pardonnait si peu à un galant de n'avoir eu d'esprit d'aucune sorte qu'on a vu plusieurs fois s'ouvrir, en même temps que la porte de sa petite maison, quai de la Conférence, une des croisées d'au-dessus, d'où elle faisait pleuvoir un congé si amer que c'était à ne plus y revenir. Là aussi son amant en titre (qui sait lequel ?) la surprit une rois avec un chevalier de Malte, et comme l'offensé, malgré ses propres habitudes d'inconstance, ne laissait pas de se fâcher tout rouge, la complice du coupable reprit, en ces termes, le dessus : – Qu'est-ce à dire ? palsambleu ! Monsieur est chevalier de Malte ; il accomplit son vœu en combattant les infidèles.

Elle était liée en 1740, dans la chambre où l'amiral Coligny avait été tué la nuit de la Saint-Barthélemy ; elle se retira à Luzarches au commencement de la Révolution et mourut sous le Consulat.

Un cèdre projette sur le quai l'ombre de ses rameaux toujours verts devant l'ancien pavillon de Sophie Arnoult ; le jardinier qui l'a planté, il y a soixante-seize ans, existe encore. Une longue avenue de 163 mètres demeure ce qu'elle était alors. Le pavillon se détache d'un autre bâtiment du même temps ; le fronton, les quatre colonnes, les bustes de Néron et d'Agrippine, voisins de la grille d'ouverture, d'autres bustes encore sous une voûte et incrustés dans la façade du petit corps de bâtiment, tout a gardé l'aspect de l'autre siècle.

Au lieu d'une maîtresse de pension, un agent de change occupe depuis peu la maison principale, qu'il a fait restaurer, ainsi que les jets d'eau du jardin. Mme la comtesse Potocka en est propriétaire ; or nous nous rappelons qu'une princesse du même nom a passé une soirée fort singulière, avec Mme de Genlis, toutes les deux s'étant déguisées en servantes, et que ces dames, en dansant un menuet à la guinguette du Grand-Vainqueur, y ont fait la conquête du coureur de M. de Brancas, lequel ne voulait plus se séparer de la comtesse de Genlis. Lors de l'Exposition universelle, un café restaurant s'est installé passagèrement dans le joli pavillon.

L'ancien n° 30 était la Savonnerie, manufacture de tapis créée par Henri IV, améliorée par l'influence de Colbert, restaurée par le duc d'Antin à la fin du règne de Louis XV et réunie depuis aux Gobelins. Une chapelle de Saint-Nicolas et un hospice pour les enfants avaient été fondés tout à côté, par Marie de Médicis. Aujourd'hui l'édifice de la Manutention militaire tient la place de la Savonnerie et de l'ancien dépôt des marbres du roi.

Le n° 40 de notre époque n'est qu'un chantier de bois à brûler ; une porte et un pavillon y conservent néanmoins quelque chose d'aristocratique. Force à été de couper la maison, qui arrivait jusqu'au milieu du quai. Une des maîtresses de Louis XIV y résida-t-elle ? On nous le dit. La chose est d'autant plus possible que les dépendances du couvent de Chaillot, où se réfugia Mlle de la Vallière, devaient s'étendre jusque-là.

Le devant du 54 est tout moderne ; mais les masures du fond ont eu pour locataires des maraîchers, avant que des constructions neuves succédassent aux plants de légumes, dans tout ce qui, fait face à l'île des Cygnes.


 

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