RUE D'ANJOU (au
Marais)
(D'après Histoire
de Paris rue par rue, maison par maison, paru en 1875)
Notice, écrite en 1856. Il ne s'est produit
depuis lors de changements dans la rue d'Anjou qu'au point de vue de la circulation.
La petite rue de Beauce, entièrement libérée de ses grilles,
la remet en communication avec le Temple par la rue de Bretagne et la relie
au marché des Enfants-Rouges par la ruelle des Oiseaux. De plus, la
ruelle de Sourdis n'est plus fermée ; elle mène, en faisant coude,
jusqu'à la rue Charlot.
Les Parties casuelles :
L'explorateur zélé que nous
avons dû envoyer cinq ou six fois rue d'Anjou, au Marais, n'y a trouvé qu'une
seule maison neuve, et c'est précisément le n° 7, où l'on
prétend qu'était l'hôtel Bertin. D'autres chroniqueurs,
il est vrai, le placent au n° 20, qui n'a jamais existé dans
la rue. Soubise, prince de Soubise, quelle est la porte dont ton carrosse
prenait si souvent le chemin, dans cette rue d'Anjou ? Il est certain que
Lemierre, Marmontel, Cailhava, le marquis de Bièvre, l'évêque
d'Orléans, Mlle Raucourt, la Guimard et bien d'autres étaient
les familiers de l'hôtel des Parties casuelles, où M. et Mme
Bertin donnaient la comédie bourgeoise. Ce trésorier, commissaire
général des finances, avait une maison tout aussi éventuelle
que les contributions dont le recouvrement le regardait : il recevait un
peu de tout, voire même un fort adroit filou qui, en un tour de main,
vola un soir toutes les boîtes à mouches de ces dames et toutes
les tabatières des invités, réduit se priser au cornet.
Quant à nous, pour faire les honneurs de
cette maison hospitalière, c'est au n° 6 d'à présent
que nous entrons. Nicolas de Bautru, qui en jouissait sous le ministère
de Colbert, s'était rendu adjudicataire en l'année 1643 : son
prédécesseur était Jean Colon, conseiller au parlement.
Après Bautru, comte de Nogent, maréchal de camp, le propriétaire
fut Philippe de la Vieuville, grand audiencier de France, puis Nicolas Lefèvre,
trésorier de la maison de la reine Marie Leczinska, lequel vendit en
1740 à Louis-Charles Bertin de Blagny, chargé de l'encaissement
général des revenus casuels du roi Louis XV. A la mort de ce
financier, membre de l'Académie des inscriptions, le Bertin, secrétaire
du roi, qui lui succéda eut compte à faire avec ses frères,
Antoine-Louis Bertin, qui avait été mousquetaire, Nicolas Bertin
de Morancey, qui avait été capitaine au régiment de Picardie,
et avec son beau-frère, Guillaume de Froidefond de Sauvaignau, au nom
et comme tuteur d'une fille née de son mariage avec feu Anne-Geneviève
Bertin. Leur propriété de la rue d'Anjou n'était considérable
que parce qu'elle ouvrait aussi rue de Berri (Charlot), où elle ne
faisait plus qu'une avec quatre maisons de même provenance.
M. de Sartines en famille :
Cet hôtel a pour frère jumeau le
n° 8, dont l'origine était absolument la même quand M. de Mongelas,
secrétaire du roi, s'en rendit acquéreur l'an 1696. L'indivision
se serait encore maintenue, selon toute probabilité, si Pierre Thomé, écuyer,
trésorier général des galères de France, n'eût
pas prêté de l'argent sur les deux maisons au comte de Nogent et à la
comtesse, née de Caumont-Lauzun, qui marièrent une de leurs filles
au marquis de Biron. M. de Mongelas eut pour héritière sa nièce
Mme Coignet, née Hardy du Plessis, et celle-ci eut pour héritiers
: Mme Beaumé de la Soulage, femme d'un colonel commandant en second la
Guadeloupe ; M. Étienne Hardy du Plessis de Mongelas, consul à Cadix,
et Mme de Sartines, née Hardy du Plessis. Le ministre, plus célèbre
comme lieutenant de police, qui avait épousé cette dernière
fréquentait beaucoup la maison lorsqu'il y avait des parents par alliance.
Depuis environ quarante ans l'immeuble est à M. et Mme Cosson Saint-Charles,
et l'ancien bailliage du Temple, dont relevait l'hôtel, ne le vit pas mieux
tenu lorsqu'un ministre en était le familier.
Les bâtiments, cours et jardins de la double
maison dont nous venons de tracer l'historique, furent marqués par Lacaille
en 1714 sur son plan de Paris, planche XV, avec la ruelle de Beauce, faisant
suite à la rue de Sourdis, pour bordure, et nulle autre des 14 maisons
qu'il reconnaissait à la rue, où s'allumaient le soir 8 lanternes,
n'avait le même honneur. L'ancien Paris a légué au nouveau,
jusqu'à présent, la rue petite et noire de Beauce, qu'il garde
précieusement sous plusieurs grilles, dont les clefs sont confiées à un
portier conservateur, payé par les propriétaires riverains.
Le marquis de Vallière :
Le parrain de la rue était Gaston de France,
duc d'Anjou, fils de Henri IV, roi qui avait voulu ouvrir une place à l'endroit
où Louis XIII fit percer cette rue et plusieurs autres. Mais ensuite,
pendant un demi-siècle, on l'appela rue de Vaujour, du nom de la famille
qui occupait l'hôtel. Le 16 mai 1667, la baronnie de Vaujour, en Anjou, était érigée
en duché-pairie en faveur de Mlle de la Vallière et de Marie-Ange,
légitimée de France, sa fille, qui dans la suite fut mariée
au prince de Conti. La duché-pairie de Vaujour passa alors à Louis-César
La Baume Le Blanc, marquis de la Vallière, qui obtint en 1723 de nouvelles
lettres d'érection en duché-pairie, sous le nom de la Vallière,
pour lui, ses enfants et ses descendants mâles ; ce La Vallière
avait demeuré dans la rue, qui avait repris le nom d'Anjou dès
qu'on avait tenu à ne plus mettre en vue celui de Vaujour.
Le comte du Deffant :
Du même âge que cette voie publique sont ses numéros 3 et
5, qu'un échevin fit construire sur un emplacement qui avait appartenu
aux Blancs-Manteaux. Les locataires en faisaient vis-à-vis, dans le temps
de Bertin de Blagny, à son voisin, le comte du Deffant.
La duchesse de Beauvillier. MM. de Saint-Germain.
Le Cabinet de M. de Sabran :
L'hôtel de la duchesse de Beauvillier, rue
du Grand-Chantier, donnait en aile rue d'Anjou, où deux portes le séparaient
d'une maison qui en dépendait. Le Caruyer de Saint-Germain, capitaine
de cavalerie, avait lui-même une des. grandes maisons de la rue, et le
financier Forget de Saint-Germain une autre sur la même ligne, au-dessus
d'après notre ordre numérique et attenante à la ruelle
Sourdis. Les prédécesseurs du financier avaient été la
famille Guérapin de Tauréal et Gaspard Dodun, contrôleur
général des finances, mort en 1678 ; son successeur fut le marquis
de Sabran, brigadier des armées du roi, dont on vanta la galerie, principalement
composée de tableaux, gouaches, miniatures et dessins de Petitot et
de Hall.
La Déesse de la Liberté :
Un des immeubles dont nous venons d'ébaucher l'histoire inédite, le 17, peut aussi se féliciter en a parte de l'abri bientôt séculaire
qu'il prête à un magasin d'épiceries. Sous le règne
de Louis XVI, une jeune fille était femme de chambre chez une marquise
qui habitait la rue ; le marquis l'éleva jusqu'à lui, et puis en
régala un garçon perruquier, dont il fit son mari, en les établissant
l'un et l'autre dans les épices. Le peuple, qui n'était pas toujours
de l'avis du marquis, trouva cependant, après lui, que l'épicière était
un beau brin de femme ; la preuve, c'est qu'il fit d'elle une déesse de
la Liberté, à la fête de la Raison. La déesse qui
parut ainsi, dans un char attelé de huit bœufs, en tunique blanche,
en bonnet phrygien, en cothurnes, vit encore ; dame ! elle a bien ses quatre-vingt-deux
ans. On la nomme Mme veuve Prévost, et l'épicier chocolatier a
laissé son nom sur la porte.
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