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LE CLOÎTRE – Rue des Chantres
(D'après Paris,
450 dessins inédits d'après nature,
paru en 1890)
Jetons un coup, d'œil sur le curieux quartier qui forme à gauche de la façade de Notre-Dame de Paris, un pâté de maisons anciennes et
Cette clôture, qui n'avait rien d'infranchissable, et qu'on appelait le cloître Notre-Dame, comprenait trente-trois maisons canonicales, qui portaient chacune le nom d'un chanoine, mais qui étaient dans le commerce, et qui, de fait, étaient habitées par un certain nombre de séculiers, la plupart magistrats. Quoique la Cité ait été éventrée au nord par le percement de la rue d'Arcole et par le prolongement du quai aux Fleurs, enlevant les maisons qui de ce côté plongèrent longtemps leurs fondations dans la Seine jusqu'à la rencontre du port Saint-Landry, les rues qui subsistent entre la rue du Cloître et le quai actuel demeurent les unes silencieuses et calmes ; comme la rue Massillon, la rue Chanoinesse, d'autres tristes et sinistres comme la rue des Chantres, la rue de la Colombe et la rue des Ursins. Ce coin de Paris a souvent tenté les romanciers. Dans la rue Chanoinesse Balzac a logé Mme de la Chanterie, et le nom de la rue Basse-des-Ursins est devenu inséparable du souvenir de Rodin depuis le Juif Errant d'Eugène Sue. Cette rue, qui s'appelle aujourd'hui la rue des Ursins tout court, est réellement si basse, car elle était naguère en contre-bas du port Saint-Landry, aujourd'hui remplacé par
cette portion du quai aux Fleurs qui s'appelait encore quai Napoléon il y a vingt ans, qu'elle semble un véritable fossé de fortifications entre une escarpe et une contrescarpe. Les premières maisons, qui commencent au coin de la rue des Chantres, ne sont pas masquées du côté de la rivière ; le n° 7 mérite qu'on le regarde ; Racine, dans sa jeunesse, habita cette masure ; les archéologues y recherchent au n° 9 une tourelle du temps de Dagobert, et plus loin, vers la rue de la Colombe, les restes humiliés de l'ancienne chapelle Saint-Aignan, servant aujourd'hui d'écurie et de grenier à foin, gardent encore quelques détails d'architecture. Mais la suite de la rue, dans la partie où une rangée de maisons s'interpose entre elle et le quai, prend une physionomie étrange ; comme nulle voiture ne se hasarde dans sa courbe tortueuse, les riverains se sont installés sur la voie publique comme chez eux ; c'est là qu'ils travaillent à la fabrication des jardinières rustiques et des instruments de jardinage ; un teinturier en soies et cotons montre ses cuves en ébullition par les deux battants d'une porte charretière qui ne se ferme guère que la nuit ; les femmes causent ou lavent leur linge et leur marmaille au milieu du ruisseau ; pas de bruit, pas de chants, on se croirait dans une ville morte. Le nom de la rue lui est venu par la proximité de l'hôtel appartenant à la famille des Ursins qui donna un chancelier à la France sous le règne des premiers Valois, et qui surplombait la rivière ; il a disparu depuis longtemps. A l'angle de la rue des Chantres et du quai, on voyait encore il y a peu d'années une maison canonicale vulgairement dénommée maison d'Héloïse et d'Abeilard. Sur le mur d'un jardinet qui s'appuyait au quai on lisait ces deux vers de mirliton inscrits en caractères d'affiche : Héloïse, Abeilard habitèrent
ces lieux, avec la date de 1118. Il ne reste plus rien ni de l'ancienne bicoque, ni du jardinet, ni de l'inscription. Une maison moderne, ouvrant sur le quai par deux portes bâtardes numérotées 9 et 11, en recouvre depuis 1849 le terrain et l'écrase de
ses cinq étages. L'architecte a cependant consacré la tradition en inscrivant dans le linteau de gauche une tête d'homme et dans le linteau de droite une tête de femme, qui représentent Héloïse et Abeilard, sans garantir les ressemblances. Mais la tradition, qu'en faut-il penser ? Il est à peu près certain que Fulbert, chanoine de la cathédrale, demeurait dans le Cloître ; voilà tout. Quant à l'emplacement de sa maison, il est fort problématique ; on peut même considérer comme fausse l'attribution actuelle ; les anciens historiens de Paris sont muets là-dessus. C'est Prudhomme qui, le premier à notre connaissance, en fit mention dans son Miroir de l'ancien et du nouveau Paris, publié en 1804. D'où provenaient ces deux médaillons dont personne n'avait jamais parlé avant Prudhomme, c'est-à-dire avant les premières années du XIXe siècle ? La date suffit à nous mettre sur la voie ; les médaillons de la rue des Chantres rappellent le prétendu tombeau d'Héloïse et d'Abeilard au cimetière du Père-Lachaise et doivent provenir de la même main : celle d'Alexandre Lenoir, qui, avec la meilleure intention du monde, a embarrassé l'histoire de l'art de tant de monuments apocryphes.
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