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LES TRÉSORS DE MONTMARTRE
(D'après Chroniques
et légendes des rues de Paris.
Édouard Fournier, 1864)
Le bruit de cette découverte se répandit bientôt, et ce fut alors de tous les points de Paris, une affluence de gens de toutes sortes, qui, par le nombre plus que par la piété, rappelaient la longue foule des anciens pèlerins. La reine Marie de Médicis, avec plusieurs dames de la plus grande qualité (Sauval, Antiq. de Paris, t. 1, p. 352. – D. Marier, Sancti Martini de Campis historia, p. 321), vint les premières, toute la cour suivit, et pour que dans la province et à l'étranger ceux qui ne pouvaient pas voir la miraculeuse chapelle eussent au moins le moyen de s'en faire une idée, une grande image fut publiée avec ce titre : Représentation d'une chapelle souterraine qui est trouvée à Montmartre, près Paris, le mardi 12e jour de juillet 1611, comme on faisait les fondements pour agrandir la chapelle des Martyrs, Paris, 1611, in-fol. Biblioth. impériale, département des estampes, Hist. de France par es-tampes, t. IV, année 1611). Après tout ce bruit, et tout ce concours, il ne fut plus guère question de la crypte de Montmartre. On l'oublia comme tout s'oublie. Quand le plâtrier en eût fait un puits à plâtre, il n'y eut personne pour se rappeler qu'elle méritait bien un regret. C'était cependant, il n'en faut pas douter, un très précieux monument. Paris n'en possédait pas de plus ancien ; les Thermes seuls étaient d'une époque plus reculée. « Si, disait M. Edmond Leblant, le savant épigraphiste, dans un travail qu'il fit en 1856 sur cette chapelle souterraine (Athenaeum français du 16 février 1856, p. 135-138), si mon opinion est partagée, on verra dans la crypte de Montmartre un sanctuaire creusé aux premiers siècles sur la place, alors sans, doute bien connue, où saint Denis et ses compagnons avaient souffert peur la foi, et dans les inscriptions murales les actes de visite de pèlerins qui y sont venus prier. » Dans la première moitié du XVIe siècle, pour peu qu'on eût encore songé à la crypte des Martyrs, on l'aurait bien vite oubliée et dédaignée pour une découverte bien autrement importante dont la nouvelle se mit à courir Paris dès la fin de décembre de l'année 1737 (V. dans les Amusements littéraires ou Corresp. politique, histor., etc., de La Barre de Beaumarchais, t. I, p. 58 et 76, deux lettres du mois de janvier 1738 ; et le Dict. histor. de la ville de Paris, par Hurtault et Magny ; t. III, p. 577). Il ne s'agissait plus de chapelle et de reliques, mais d'un incalculable trésor. On parlait de deux figures de bronze de cinq pieds quatre pouces de haut, dont l'une représentait Osiris et l'autre Isis, ce qui venait donner un triomphant argument à ceux qui tenaient pour l'existence du culte isiaque dans l'ancienne
II était de forme ronde, dix-huit arcades de marbre le soutenaient, au milieu s'élevait un vaste autel d'argent orné de douze statues d'or tenant des boucliers et des épées, d'argent. Une autre chapelle était auprès, où se voyaient huit statues aussi d'argent, représentant des femmes de la plus belle taille, etc., etc. Qui donc avait fait cette merveilleuse trouvaille ? Un pauvre oculiste nommé Dubois, qui, s'étant un jour égaré sur le versant qui regarde Clignancourt, dans les touffes de verdure dont était alors entourée la fontaine Saint-Denis, avait aperçu l'entrée d'un souterrain, y avait pénétré, et, trouvant toutes ces merveilles sur son chemin, ne s'était arrêté qu'après une marche de sept heures, « pendant laquelle il avait, disait-on, beaucoup souffert de la fraîcheur. » Le souterrain, lui faisait-on dire, était parfaitement bien voûté ; il se dirigeait du côté de Paris, et venait aboutir en ligne droite à l'église Saint-Leu, dans la rue Saint-Denis. Tout cela n'était, bien entendu, que mensonge ; l'effet d'une berlue subite tombée sur les yeux de notre oculiste. La crédulité avait commencé, l'exagération avait continué, et la mystification avait fait le reste. Vint un honnête homme de savant qui rétablit les faits dans leur naïve vérité, et que resta-t-il de tout cet échafaudage de merveilles ? La découverte d'assez insignifiants débris d'une villa romaine, de laquelle auraient peut-être dépendu des thermes, beaucoup moins importants bien entendu que ceux de Julien à Lutèce ; et quelques brimborions d'antiquités. « Il n'y a, écrivit-il dans le mémoire en forme de lettre qu'il voulut bien consacrer sérieusement à cette chose si peu sérieuse (Mercure de France, janvier 1738, p. 47-53), il n'y a de vraisemblable en tout cela que la rencontre qu'on a pu faire de quelques médailles de bronze, de morceaux de marbre ou d'albâtre, en remuant les terres ». Le plus curieux de ces débris était un grand tronçon d'albâtre, avec un fragment d'inscription, sur lequel on pouvait lire quelques mots signifiant peut-être Leutetia civitas. Le savant dont, je parle ici était ce bon abbé Lebeuf, dont on s'apprête à réimprimer le chef-d'œuvre, l'Histoire du diocèse de Paris, prodige d'érudition, où, malgré les progrès de la science moderne, ou ne trouvera guère à ajouter et moins encore à corriger. C'était un homme comme on n'en voit plus. Il ne vivait que pour la science et dans la science. L'arracher au passé, c'était le faire sortir de son plus beau rêve, et il ne marchait dans le présent que comme un homme qui n'est pas bien éveillé. Il ne connaissait rien du monde, et ce qu'il en comprenait ne semble pas le lui avoir fait beaucoup estimer, comme vous allez voir. « Nous avions, écrit l'abbé Barthélemy à madame du Deffand (Correspond. inéd. de Madame du Deffand, de la duchesse de Choiseul, de l'abbé Barthélemy, etc., 1858, in 8°, t. II, p. 176), nous avions été, lui et moi, députés par l'Académie à Clichy, pour voir quelques antiquités qu'on venait de découvrir. Je ne sais par quel hasard nous y allâmes avec M. de Malesherbes, M. foutu, et, je, crois, le président de Cotte. Il avait plu, on trouvait plaisant de s'éclabousser, de se poursuivre à coups de mottes de terre, et de faire toutes les polissonneries possibles. L'abbé Lebeuf marchait lentement, et je lui dis : « Que pensez-vous de ces jeux-là ? » Il me dit tout naturellement « C'est apparemment là ce qu'on appelle le ton de la bonne compagnie. » Quelle profondeur de méprisante ignorance à l'égard du monde dans ces simples paroles, du savant ! Il y a dix-sept ans, en 1846 (V. les journaux du commencement de juillet 1846) un nouveau bruit de trésors découverts courut dans Montmartre et descendit jusque dans Paris, où l'on s'en émut quelque temps. Ce bruit disait qu'on était sur la trace des richesses de l'abbaye, sauvées par la dernière abbesse, madame de Montmorency-Layal (la rue de Laval lui doit son nom ; les rues de Bellefonds, de Rochechouart, de La Rochefoucauld, de la Tour-d'Auvergne ont eu pour marraines les abbesses qui avaient précédé madame de Laval), et cachées par elle avec l'aide d'un vieux domestique dans un souterrain placé sous la serre du château bien connu des Montmartrois, les Folies-Montigny. Le seigneur, M. le comte Chartraire de Montigny, arrêté et exécuté pendant la Révolution, n'avait rien dit de ce secret, que peut-être même il n'avait pas connu ; madame de Montmorency, l'abbesse, n'en avait pas davantage parlé, avant de porter, elle aussi, sa tête sur l'échafaud ; mais le vieux domestique, nommé Beuchot, avait enfin tout révélé. Près de mourir, il avait indiqué à une dame qui le soignait l'endroit où le trésor était caché. Cette dame ne tenta rien pour la découverte jusqu'au jour où le terrain, receleur fut devenu une propriété commu-nale. Les démarches à faire près des propriétaires l'effrayaient. Enfin, l'acquisition faite
par la commune lui permettant de ne plus s'adresser qu'à celle-ci,
elle se décida. Une somme de 600 fr. fut déposée par
elle à la
mairie de Montmartre, comme premier dédommagement des dégâts
indispensables. Les fouilles commencèrent. Qu'en résulta-t-il
? Je crois qu'on cherche encore. |
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