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QUAI DE LA VALLÉE. LES CAFÉS
(D'après Tableau
de Paris, par Louis-Sébastien Mercier, paru en 1782)
Quai de la vallée. Oh ! Quand elle vous sera servie dans de beaux plats d'argent, souvenez-vous, de grâce, de la bouche infâme du quai de la vallée. Cette bouche inconcevable exerce publiquement son métier sous les yeux de tout le monde, et tout le monde mange des pigeons engavés de cette manière. Je vous demande pardon, lecteur, de vous avoir tracé ce tableau dégoûtant ; mais j'ai mieux aimé offenser un instant votre délicatesse, que de ne pas vous donner une recommandation utile. Tout le gibier et toute la volaille arrivent à la vallée. Il y a des officiers de volaille, tout comme des officiers de marée. Le cornet attaché au-dessous du ventre, la plume sous la perruque, ils couchent par écrit la moindre mauviette ; un lapereau a son extrait mortuaire en bonne forme avec la date du jour. C'est une merveilleuse chose, que la création de ces offices ; tout cela est d'institution royale. On ne mange un lièvre que d'après l'exercice solennel de la charge de l'officier en titre. Il faut voir, la veille de la s Martin, des rois et du mardi-gras, toutes les demi bourgeoises venir en personne marchander, acheter une oie, un dindon, une vieille poule qu'on appelle poularde ; on rentre au logis la tête haute et la provision à la main ; on plume la bête devant sa porte, afin d'annoncer à tout le voisinage que le lendemain on ne mangera ni du bœuf à la mode, ni une éclanche ; et l'orgueil est satisfait plus encore que l'appétit. On ne mange la volaille à bon marché que quand le roi est à Fontainebleau. Les pourvoyeurs ne tirent plus de Paris ; les grands consommateurs sont à la cour, et le peuple alors a plus de facilité pour atteindre au prix d'un poulet. Cafés. Dans le plus grand nombre des cafés, le bavardage est encore plus ennuyeux : il roule incessamment sur la gazette. La crédulité parisienne n'a point de bornes en ce genre ; elle gobe tout ce qu'on lui présente ; et mille fois abusée, elle retourne au pamphlet ministériel. Tel homme arrive au café sur les dix heures du matin, pour n'en sortir qu'à onze heures du soir ; il dîne avec une tasse de café au lait, et soupe avec une bavaroise : le sot riche en rit, au lieu de lui offrir sa table. Il n'est plus décent de séjourner au café, parce que cela annonce une disette de connaissances, et un vide absolu dans la fréquentation de la bonne société : un café néanmoins, où se rassembleraient les gens instruits et aimables, serait préférable, par sa liberté et sa gaieté, à tous nos cercles qui sont parfois ennuyeux. Nos ancêtres allaient au cabaret, et l'on prétend
qu'ils y maintenaient leur belle humeur : nous n'osons plus guère aller
au café ; et l'eau noire qu'on y boit, est plus malfaisante que le vin
généreux dont nos pères s'enivraient : la tristesse et
la causticité règnent dans ces salons de glaces, et le ton chagrin
s'y manifeste de toute part : est-ce la nouvelle boisson qui a opéré cette
différence ? En général, le café qu'on y prend
est mauvais et trop brûlé ; la limonade dangereuse ; les liqueurs
malsaines, et à l'esprit de vin : mais le bon parisien, qui s'arrête
aux apparences, boit tout, dévore tout, avale tout. Chaque café a
son orateur en chef ; tel, dans les faubourgs, est présidé par
un garçon tailleur ou par un garçon cordonnier ; et pourquoi
pas ? Ne faut-il pas que l'amour-propre de chaque individu soit à peu
près content ? On courtise les cafetières : toujours environnées
d'hommes, il leur faut un plus haut degré de vertu, pour résister
aux tentations fréquentes qui les sollicitent. Elles sont toutes fort
coquettes ; mais la coquetterie semble un attribut indispensable de leur métier. |
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