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BOULEVARDS PARISIENS. NOS GRAND-MERES
(D'après Tableau
de Paris, par Louis-Sébastien Mercier, paru en 1782)
Un coup d'œil très agréable encore est celui qu'offre le jardin des tuileries, ou plutôt les Champs-Élysées, dans un beau jour de printemps. Les deux rangs de jolies femmes qui bordent la grande allée, serrées les unes contre les autres sur une longue file de chaises, regardant avec autant de liberté qu'on les regarde, ressemblent à un parterre animé de plusieurs couleurs. La diversité des physionomies et des atours, la joie qu'elles ont d'être vues et de voir, l'espèce d'assaut qu'elles font lorsque sur leurs visages brille l'envie de s'éclipser ; tout ajoute à ce tableau diversifié qui attache les regards et fait naître mille idées sur ce que les modes enlèvent ou ajoutent à la beauté, sur l'art et la coquetterie des femmes, sur ce désir inné de plaire, qui fait leur bonheur et le nôtre. Les vertugadins de nos mères, leurs étoffes tailladées de falbalas, leurs épaulettes ridicules, leurs enceintes de cerceaux, cette multitude de mouches, dont quelques-unes ressemblaient à de véritables emplâtres, tout cela est disparu, excepté la hauteur démesurée de leurs coiffures : le ridicule n'a pu corriger ce dernier usage ; mais ce défaut est tempéré par le goût et la grâce qui président à la structure de l'élégant édifice. Les femmes, à tout prendre, sont mieux mises aujourd'hui qu'elles ne l'ont jamais été : leur ajustement réunit la légèreté, la décence, la fraîcheur et les grâces. Ces robes d'une étoffe légère se renouvellent plus souvent que ces robes où brillaient l'or et l'argent ; elles suivent, pour ainsi dire, les nuances des fleurs des diverses saisons. Il n'y a que la main de nos marchandes de modes, pour métamorphoser
avec une si prodigieuse diversité la gaze, le linon et les rubans. Si
les femmes pouvaient quitter ce choquant enduit de blanc et de rouge trop prononcé,
elles auraient détruit le mauvais goût de leurs mères,
et jouiraient de tous les avantages que la nature a versés sur elles
: elles n'ont pas besoin de diamants et de parure, affiches du luxe et de l'opulence
; les diamants partagent l'attention que l'on doit à leur beauté réelle,
et le charme le plus piquant d'une belle est d'ignorer qu'elle le soit. Nos grand-mères. Leurs filles, formées de bonne heure, concouraient à faire régner dans les maisons les charmes doux et paisibles de la vie privée ; et l'homme à marier ne craignait plus de choisir celle qui, née pour imiter sa mère, devait perpétuer la race des femmes soigneuses et attentives. Que nous sommes loin de ces devoirs si simples, si attachants ! Une conduite réglée et uniforme ferait le tourment de nos femmes ; il leur faut une dissipation perpétuelle, des liaisons à l'infini, tous les dehors de la représentation et de la vanité. Elles ne sont jamais bien dans toutes ces courses, parce qu'elles veulent être absolument où la nature ne veut pas qu'elles soient ; et tant qu'elles auront perdu le gouvernement de la famille, elles ne jouiront jamais d'un autre empire. Autre observation : les domestiques faisaient alors partie de la famille ; on les traitait moins poliment, mais avec plus d'affection ; ils le voyaient et devenaient sensibles et reconnaissants. Les maîtres étaient mieux servis, et pourvoient compter sur une
fidélité bien rare aujourd'hui. On les empêchait à la
fois d'être infortunés et vicieux ; et pour l'obéissance,
on leur accordait en échange bienveillance et protection. Aujourd'hui,
les domestiques passent de maison en maison, indifférents à quels
maîtres ils appartiennent, rencontrant celui qu'ils ont quitté sans
la moindre émotion. Ils ne se rassemblent que pour révéler
les secrets qu'ils ont pu découvrir : ils sont espions ; et comme on
les paie bien, qu'on les habille bien, qu'on les nourrit bien, mais qu'on les
méprise, ils le sentent, et sont devenus nos plus grands ennemis. Autrefois
leur vie était laborieuse, dure et frugale ; mais on les comptait pour
quelque chose, et le domestique mourait de vieillesse à côté de
son maître. |
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