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TABLES D'HÔTES
(D'après un article,
paru en 1782)
Les tables d'hôtes sont insupportables aux étrangers ; mais ils n'en ont pas d'autres. Il faut manger au milieu de douze inconnus, après avoir tourné un couvert : celui qui est doué d'une politesse timide, ne peut venir à bout de dîner pour son argent. Le centre de la table (vers ce qu'on appelle les pièces de résistance) est occupé par des habitués, qui s'emparent de ces places importantes, et ne s'amusent pas à débiter les histoires qui courent. Armés de mâchoires infatigables, ils dévorent au premier signal. Leur langue épaisse, et inhabile à articuler, sait en revanche faire descendre dans leur estomac les plus gros et les meilleurs morceaux. Ces athlètes, semblables à Milon de Crotone, dégarnissent la table de plats ; et il faut les maudire au bout de quelques minutes, ainsi que Sancho-Pança maudit son perfide médecin. Malheur à l'homme lent à mâcher ses morceaux ! Placé entre ces avides et lestes cormorans, il jeûnera pendant le repas ; en vain il demandera sa vie aux valets qui servent ; la table sera nette avant qu'il ait pu se faire servir. Leurs oreilles accoutumées aux demandes réitérées, ne s'épouvantent point des cris et des menaces : il faut savoir manger, c'est le plus court ; car il est impossible de se faire obéir. Quand ces vautours, ayant dévoré la part de leurs voisins, ont rempli les cavernes profondes de leurs intestins d'une manière également gloutonne et impolie, alors de mangeurs ils deviennent parleurs impitoyables ; ils font retentir de leurs glapissements les voûtes enfumées de ces salles à manger, et la confusion dans les sujets et les discours répond à l'impropriété des expressions et à l'indécence des propos. Ce serait d'ailleurs un miracle, si l'on sortait de ce lieu sans avoir attrapé sur ses habits quelques éclaboussures des plats portés en poste par des mains grossières et maladroites. Il y a ensuite les gargotes que l'on appelle arche de Noé, où l'on donne à manger pour vingt-deux sols. Là, les personnes peu fortunées prennent régulièrement leurs repas ; et puis, elles se répandent aux promenades et dans les spectacles, et se vantent d'avoir dîné ailleurs ; comme s'il était honteux de dîner à peu de frais lorsqu'on n'est pas riche. |
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