Vie quotidienne a Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de la vie quotidienne d'autrefois à Paris, consignant les activités, moeurs, coutumes des Parisiens d'antan, leurs habitudes, leurs occupations, leurs activités dont certaines ont aujourd'hui disparu. Pour mieux connaître le Paris d'autrefois dans sa quotidienneté.
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Jouissances, dangers, avantages, esprit raffiné
(D'après Tableau de Paris, par Louis-Sébastien Mercier, paru en 1782)

Jouissances.
un citadin riche trouve à son réveil les marchés fournis de tout ce que cent mille hommes ont pu ramasser à cinquante lieues à la ronde, pour flatter ses goûts. Il n'a que l'embarras du choix ; tout abonde ; et pour quelques pièces d'argent, il mangera le poisson délicieux, l'huître verte, le faisan, le chapon et l'ananas, qui croissent séparément sur des terrains opposés. C'est pour lui que le vigneron renonce à boire le jus bienfaisant qu'il garde soigneusement pour une bouche étrangère : c'est pour lui que les espaliers sont taillés par des mains adroites et vigilantes.

Veut-il charmer sa douce oisiveté ? Le peintre lui apporte son tableau ; les spectacles lui offrent leur musique, leurs drâmes, leurs assemblées brillantes. Il faut qu'il soit bien né pour l'ennui, s'il ne trouve à varier ses amusements ; il est des ouvriers de sensualité, qui décorent la coupe de la volupté, et qui savent raffiner des plaisirs déjà jugés exquis.

Dangers.
M
ais malheur au cœur neuf et innocent, échappé de la province, qui sous prétexte de se perfectionner dans quelqu'art, ose visiter sans mentor et sans ami cette ville de séduction ! Les pièges de la débauche qui usurpe insolemment le nom de volupté, vont l'environner de toutes parts : à la place du tendre amour, il ne rencontrera que son simulacre ; le mensonge de la coquetterie, les artifices de la cupidité sont substitués aux accents du cœur, aux flammes du sentiment ; le plaisir est vénal et trompeur. Ce jeune homme qui a quitté un père, une mère, une amante, plongé dans une multitude confuse, sera heureux s'il ne perd quelquefois que sa santé ; si échappant à la ruine de ses forces, il ne va pas grossir le troupeau de ces âmes sans vigueur et sans nerf, qui ne sont plus livrées qu'à un mouvement machinal. Ainsi tout est compensé ; et pour acquérir des connaissances rares ou neuves, il en coûte cher quand on veut toucher à l'arbre de la science.

Il y aurait une pièce de théâtre très morale à faire, le père de province. Un malheureux père, souvent abusé par une perspective décevante, combat mollement les désirs de son fils, lui ouvre la route de la capitale, séduit le premier par l'idée d'une prochaine fortune. Le fils part avec un cœur rempli des vertus filiales ; mais la contagion va le saisir : bientôt le père infortuné ne reconnaîtra plus le fils dans lequel il se complaisait ; celui-ci aura appris à tourner en ridicule les vertus qui lui étaient les plus chères ; et tous les liens qui l'attachaient à la maison paternelle, il les aura oubliés ou brisés, parce qu'il aura vu la ville où ces nœuds sont si légers qu'ils n'y existent plus, ou qu'ils y sont tournés en ridicule.

Avantages.
C
'est à Paris que l'on trouve les ressources que l'on chercherait vainement dans les provinces pendant plusieurs années. On a bien raison de dire que la fortune est aveugle : car une simple recommandation vous pousse quelquefois beaucoup plus loin que les travaux les plus assidus. Tout dépend quelquefois de la première maison où vous entrez. ô jeune homme ! Tandis que ton visage est frais, va caresser la fortune. Elle est femme, elle chérit les premières années de la vie humaine : si tu attends plus tard, tu ne seras point favorisé.

Mais il y a une si grande presse dans le temple de la fortune, rempli d'ambitieux ! Ils se coudoient et se croisent mutuellement dans leur marche. Il faut se faire jour à travers le flux et le reflux. à peine a-t-on vaincu la foule prodigieuse des obstacles, à peine a-t-on mis un pied devant l'autel de la déesse, qu'on se trouve avoir la barbe grise, et qu'il faut tout abandonner. Je n'ai jamais fait un pas vers l'idole : aussi suis-je toujours à la même distance ; et il est trop tard aujourd'hui pour avancer.

Esprit raffiné.
P
eut-être y a-t-il dans la capitale vraiment trop de ce qu'on appelle esprit. On justifie tout, et le vice même. Notre malice, c'est-à-dire, le raffinement de nos passions, l'art de les justifier, aurait-elle pour mesure l'étendue donnée à notre faculté de penser ? Notre raison perfectionnée nous apprendrait-elle en même temps à perfectionner le vice ? Ne nous servirions-nous pas d'une logique ingénieuse pour voiler l'artifice, et le progrès de nos goûts intéressés ? Ne deviennent-ils pas plus attrayants, plus tyranniques par la méthode même qui nous apprend ces subtilités ? Quoi, la science serait accompagnée d'un poison subtil ! Je crains d'approfondir cet objet. Non, la science vraie est bonne. Il y en a de fausses, et ce sont celles-là qui excitent la cupidité ; il en est d'innocentes dans les siècles les plus corrompus.

Pour qui les arts ?

Hélas ! tandis que l'imagination cherche et invente, se consume dans son vol actif et soutenu, tandis que le bon sens médite, calcule, que l'esprit de sagacité perfectionne... c'est donc pour que l'indolence jouisse dédaigneusement de tous ces arts créés avec tant de travaux ! Cela est bien triste à penser. Quoi, tout est fait pour l'œil de la mollesse, pour les plaisirs du voluptueux oisif ! Quoi, c'est pour le réveiller de sa léthargie et de son ennui, que les nobles enfants des arts mettent au jour leurs admirables productions !


 

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