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Argenterie, gaieté, compagnie, besoins
factices, du temps.
(D'après Tableau
de Paris, par Louis-Sébastien Mercier, paru en 1782)
Argenterie. Et au milieu de cet incroyable manque de signes, ce que Paris renferme en meubles d'or et d'argent, en bijoux, en vaisselle plate, est immense. Cette richesse néanmoins est nulle et oisive. Ajoutez ce que les églises contiennent d'argenterie : ce sont des monceaux de métal. Les temples et leurs décorations ont coûté horriblement cher à la patrie. Et comment le culte simple fondé par les apôtres a-t-il pu se convertir en un luxe ? Calculez ensuite ce que les fabriques de galons, les étoffes de soie, or et argent, emportent de ces précieuses matières. Dans les maisons des particuliers, vous voyez des pyramides de vaisselle plate. On se plaint de la disette des espèces monnayées, et voilà que nous avons dénaturé nos richesses pour les métamorphoser en meubles. On ne peut faire aucune entreprise, aucun travail, sans une somme d'argent monnayé ; et tout se prend néanmoins sur cette même somme, et on l'enlève, et on l'attire par tous les moyens imaginables, et il n'en reste plus entre les mains des particuliers ; et cette richesse métallique, qui dort à côté de nous, devient une richesse stérile, parce qu'elle n'a aucun cours. Et comment subvenir ensuite aux dépenses extraordinaires, lorsqu'on ne sait que se servir des mêmes écus, les pomper et les re-pomper ; c'est-à-dire, substituer l'action la plus difficile et la plus fatigante, à une création simple et aisée ? Nous avons des biens immenses, et nous sommes
toujours dans la détresse, parce que nous ne savons pas doubler
notre puissance en créant les signes de notre richesse métallique
; ce qui nous empêche de donner aux terres des préparations
nouvelles, de perfectionner les arts, d'augmenter la population, et
de nous rendre respectables à nos
voisins. Ayons toujours des tabatières d'or, des étuis
d'or, des surtouts d'argent, des anges, des saints d'argent, des vierges
d'argent, et point de papier-monnaie, et bientôt nous nous trouverons
pauvres ; car La Fontaine nous l'a dit : mettez une pierre à la
place ; elle vous vaudrait tout autant. L'or et l'argent qui ne circulent
pas, c'est-à-dire, qui n'enfantent
pas les signes qu'ils peuvent enfanter, sont comme s'ils étaient
enfouis dans les mines de la terre. Une prompte et rapide circulation
manque à nos
finances et encore plus à notre commerce. Les ris naissent de la modération des désirs
: on ne la connaît plus : on tombe dans la réserve,
de là dans la sécheresse
; et l'abus de l'esprit vient encore rétrécir les cœurs.
Les visages voudraient se montrer épanouis ; mais une vraie
inquiétude
trahit le tourment intérieur de l'âme. Si l'on jouit
encore, c'est dans des parties obscures et secrètes, où l'on
est seul, où le
libertinage prend la place de la volupté ; on y est quelquefois
distrait, jamais heureux. On ne peut s'empêcher de craindre qu'il ne tourne absolument en ridicule la vertu, la raison, la frugalité, la tempérance : on doit craindre que l'homme, dans cette ville, n'oublie tout à fait sa propre dignité, et ne s'abaisse devant l'idole de la fortune, pour l'intérêt de ces mêmes voluptés qui ne sont pas des besoins, et qui commandent plus impérieusement que ceux de la nature. Du temps. Ici il trouve à s'instruire et à se former ; là il goûte les douceurs de la société ; ailleurs il se ménage, s'intrigue, conduit des espérances, cultive des services ; dans cet endroit il s'anime d'une émulation nécessaire pour acquérir une fortune honnête ; dans celui-ci il se sent piqué de l'aiguillon propre à cultiver, à orner son esprit ; dans cet autre il étudie le cœur humain, il en voit jouer les ressorts ; il met sagement à profit les découvertes qu'il en tire ; il apprend à connaître l'homme. Mais ce que Pline disait de Rome, on peut le dire de Paris. (...). C'est une chose étonnante de voir comment le temps se passe. Prenez chaque journée à part, il n'y en a point qui ne soit remplie ; rassemblez-les toutes, vous êtes surpris de les trouver si vides. Il y a des personnes désœuvrées qui ont bien de la peine à tuer leurs vingt-quatre heures, et qui emploient tous les artifices imaginables pour en venir à bout. |
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