|
|
|
||||||||||||
LES HALLES
(D'après un article,
paru en 1782)
Un coup d'œil unique est celui que présentent au point du jour la halle aux fleurs et la halle aux fruits dans le printemps et l'été : on est surpris, enchanté ; c'est une des choses les plus curieuses à voir : Flore et Pomone se donnant la main, n'ont jamais eu de plus beau temple. Les richesses printanières revivent dans l'automne, et les trois saisons n'en font plus qu'une. Les meilleures pêches se trouvent aux environs de Paris ; c'est le soin qu'on donne à leur culture, qui les rend excellentes. Un bouquet de violettes, dans le coeur de l'hiver, vaut deux louis ; et quelques femmes en portent. Le litron des premiers petits pois se vend quelquefois cent écus : un traitant l'achète ; mais du moins, c'est un jardinier qui, pour prix de ses soins, récolte cet argent : j'aime mieux qu'il soit entre ses mains, que de le voir passer à un bijoutier. Si les fournitures qui arrivent à la halle manquaient un seul jour, les denrées doubleraient de prix ; au troisième jour, la ville serait affamée. Les vivres sont renchéris d'une manière exorbitante ; c'est l'effet du luxe de la table des riches : ils enlèvent tout, et il faut ensuite que le pauvre se dispute le fretin. La concurrence soutient ce reste vil presqu'au même prix que ce qu'il y avait de meilleur. Il faut partout aujourd'hui des entrées et des entremets à profusion, et l'on ne mange pas le quart de ce qui est servi. Tous ces plats coûteux sont dévorés par la valetaille. Un laquais est beaucoup mieux nourri qu'un petit bourgeois. Celui-ci n'ose toucher à la marée ; il en respire l'odeur, et voilà tout. Les valets de monseigneur sont rassasiés de bonne chère. Quand les maîtres d'hôtels ont pris dans de larges hottes tout ce qui leur convient, les servantes arrivent avec leurs tabliers ; c'est un débat éternel. Ce qui se vend par fragments, se vend trois fois plus cher, chaque petit ménage rivalisant avec son voisin. Les poissardes font la loi ; si l'on veut dîner, il faut payer ce qu'elles demandent : aussi n'y a-t-il pas au monde de peuple plus mal nourri que le peuple de Paris. A dîner, la soupe, le bouilli ; le soir, la persillade ou le boeuf à la mode ; le gigot ou l'éclanche, le dimanche ; presque jamais de poisson ; rarement des légumes, parce que l'accommodage en est toujours cher : voilà sa nourriture habituelle ; ainsi vivent les trois quarts et demi des habitants de cette ville, dont le séjour est si envié des provinciaux, qui ne font pas chez eux une si maigre chère. Plus les classes sont indigentes, plus il leur en coûte pour se nourrir. Il y a de pauvres ménages, où un cervelat de trois sols compose toute la bonne chère, parce que les facultés n'ont pu s'étendre au-delà. Or la viande malsaine du cervelat se vend sur le pied de dix-huit sols la livre : le prince le plus opulent ne paie point à ce prix-là ce qui est servi sur sa table. Les parisiens se sont amusés, pendant quelques années, des expressions burlesques et des jurements des poissardes : on copiait leur ton. Vadé s'est distingué en ce genre ; mais les calembours sont venus, et ont tout anéanti. On ne se souvient plus de Vadé ; on ne parle que du marquis de... et de Jeannot. J'ai vu s'éclipser la gloire de l'auteur de la pipe cassée ; je tremble pour celle de l'auteur de la comtesse-tation. |
|
|||||||||||||
:: HAUT DE PAGE :: ACCUEIL |
|