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Perruquiers. Porteurs de sel. Poissons de mer.
(D'après Tableau
de Paris, par Louis-Sébastien Mercier, paru en 1782)
Perruquiers. Nous n'avons plus, il est vrai, le ridicule d'ensevelir notre tête sous une chevelure artificielle, de coiffer le front de l'adolescence d'un énorme paquet de cheveux ; le crâne chauve et ridé de la vieillesse n'offre plus ce bizarre assortiment ; mais la rage de la frisure a gagné tous les états : garçons de boutiques, clercs de procureurs et de notaires, domestiques, cuisiniers, marmitons, tous versent à grands flots de la poudre sur leurs têtes, tous y ajustent des toupets pointus, des boucles étagées ; l'odeur des essences et des poudres ambrées vous saisit chez le marchand du coin, comme chez le petit-maître élégant et retapé. Quel vide il en résulte dans la vie des citoyens ! Que d'heures perdues pour des travaux utiles ! Combien les friseurs et les friseuses enlèvent de moments à la courte durée de notre existence ! Lorsqu'on songe que la poudre dont deux cents mille individus blanchissent leurs cheveux, est prise sur l'aliment du pauvre ; que la farine qui entre dans l'ample perruque du robin, la vergette du petit-maître, la boucle militaire de l'officier, et l'énorme catogan du batteur de pavé nourriraient dix mille infortunés ; que cette substance extraite du bled dépouillé de ses parties nutritives passe infructueusement sur la nuque de tant de désœuvrés : on gémit sur cet usage, qui ne laisse pas aux cheveux la couleur naturelle qu'ils ont reçue. Douze cents perruquiers, maîtrise érigée en charge, et qui tiennent leurs privilèges de S Louis, emploient à peu près dix mille garçons. Deux mille chamberlants font en chambre le même métier, au risque d'aller à Bicêtre. Six mille laquais n'ont guère que cet emploi. Il faut comprendre dans ce dénombrement les coiffeuses. Tous ces êtres-là tirent leur subsistance des papillotes et des bichonnages. Nos valets de chambre perruquiers, le peigne et le rasoir en poche pour tout bien, ont inondé l'Europe ; ils pullulent en Russie et dans toute l'Allemagne. Cette horde de barbiers à la main leste, race
menteuse, intrigante, effrontée, vicieuse, provençaux et gascons
pour la plupart, a porté chez l'étranger une corruption qui lui
a fait plus de tort que le fer des soldats. Nos danseurs, nos filles d'opéra,
nos cuisiniers ont bientôt marché sur leurs traces et n'ont pas
manqué d'asservir à nos modes et à nos usages les nations
voisines. Voilà les conquérants qui ont fait prévaloir le
nom français dans toutes les contrées, et qui ont été les
vengeurs de nos revers politiques. Nos voisins pourraient donc faire un traité sur
la pernicieuse introduction des friseurs parmi eux, et sur l'avantage qui aurait
résulté d'une proscription prompte et raisonnée. Que de larmes, que de sang versé depuis l'établissement de
la gabelle ! Il a fallu des gibets et des roues pour maintenir le privilège
exclusif de la vente du sel. Il forme aujourd'hui la principale richesse des
monarques français ; mais il entretient sur les frontières et
même dans l'intérieur du royaume une guerre sanglante. On ne voit
jamais le crime dans l'infraction de cette loi ; et le pauvre contraint crie à l'injustice,
maudit le jour, et connaît le désespoir. Le même minot de
sel qu'on vous force à payer soixante et soixante-une livres, ne se
vend ailleurs qu'une livre dix sols ; et c'est tout ce qu'il vaut intrinsèquement.
Quelle foule de réflexions naissent de ce rapprochement ! Les entrées du poisson nuisent à l'impôt, parce qu'il n'est pas assez modéré. Le parisien qui veut se régaler de marée, est obligé de se transporter à Dieppe ; et le bourgeois, quand il devient un peu cossu, fait d'abord ce voyage-là tout seul ; ensuite il y mène sa ronde femme. Ils restent en extase devant l'océan, et ils n'ont pas tort ; mais ils croient avoir touché les colonnes d'Hercule, et se hâtent de rentrer dans leurs foyers. Ils sont si transportés, si enchantés de leur voyage, que le reste de leur vie ils en parleront tous les soirs à leur souper devant leurs filles et la servante ébahie. |
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