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L'ORTHOGRAPHE PUBLIQUE
(D'après Tableau
de Paris, par Louis-Sébastien Mercier, paru en 1782)
Elle est extrêmement vicieuse sur les enseignes, les écriteaux et dans les autres inscriptions des boutiques ; là l'ignorance est gravée en lettres d'or. Peut-être serait-il à propos de suivre l'idée d'un personnage de Molière, et de créer sérieusement un censeur qui rectifiât ces fautes grossières. Le peuple s'accoutumerait à respecter l'orthographe, et la langue n'y perdrait pas. Il est important que cette langue qui est devenue celle de l'Europe, ne souffre aucune altération, surtout dans ses principaux signes ; car à la longue le peuple qui fait loi quant à l'idiome, peut corrompre une langue et lui substituer un jargon misérable. Les premières erreurs consistent dans l'orthographe : d'ailleurs l'étranger, certain de trouver partout des inscriptions exactes, prendrait une leçon en se promenant dans la ville ; et cette distinction flatteuse pourrait facilement appartenir à la capitale d'un peuple dont toutes les nations étudient la langue. L'ignorance produit quelquefois des rapports bizarres, et dont on s'amuse, parce que les riens ont droit avant tout d'intéresser le parisien. Un nommé Ledru a fait sa fortune avec l'inscription de son enseigne, laquelle portait : Ledru pose des sonnettes dans le cul de sac. L'écrivain, perché sur sa haute échelle, avait mis un gros point après le mot cul, et avait rejeté de sac à l'autre ligne, ce qui parut facétieux ; et tout le monde voulut employer le sieur Ledru, qui posait des sonnettes dans le cul. Il n'en fallut pas davantage pour lui attirer la vogue. Tout Paris a vu un chirurgien, près de la place Maubert, faire graver sur son tableau : un tel, reçu à S Côme, oculiste pour les yeux. Mais ce qui est bien pis que des fautes d'orthographe ou des expressions ridicules, c'est l'impudence de certains polissons qui barbouillent nos blanches murailles de figures indécentes et de mots obscènes. La police, qui fait enlever les boues et les ordures, devrait faire effacer en même temps ces turpitudes ; car ce n'est pas assez que le tombereau des immondices nettoie la ville, il ne faut pas encore que l'œil de nos femmes et de nos filles, en sortant de chez elles, rencontre de pareilles images, beaucoup plus révoltantes que des rues mal balayées. Les marchands d'estampes étalent aussi des gravures d'une indécence
caractérisée ; et je ne sais pourquoi dans nos maisons nous commençons à adopter,
sous les yeux de la jeunesse, ces images licencieuses. Nous en écartons
encore les livres propres à allumer l'imagination, et nous tapissons
nos demeures de ces travaux d'un burin peu circonspect. En me promenant sur
les quais, j'ai vu une gravure représentant des patineurs, et au-dessous
de l'estampe j'ai lu ces vers sans nom d'auteur, et qui me paraissent mériter
d'être conservés. sur un mince cristal l'hiver conduit leurs pas,
le précipice est sous la glace. telle est de nos plaisirs la légère
surface. glissez, mortels ! N'appuyez pas. |
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