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LA DOUANE. LE TRÉSOR ROYAL
(D'après Tableau
de Paris, par Louis-Sébastien Mercier, paru en 1782)
La douane, sous les ordres de Nicolas Salzard, est un pays peuplé de commis sourds, de portefaix au visage rouge, au corps enviné, courant sur des ballots confusément épars ; là, un pauvre étranger se perd, ne sait à qui s'adresser : il implore en vain tous ceux qui passent, on ne l'écoute pas ; il est réduit à n'avoir ni bas, ni chemises, pendant huit jours ; il faut qu'il déterre sa valise ou sa malle, ensevelie sous trois à quatre mille caisses qui portent les unes sur les autres. On dirait que le feu a pris dans la ville, et qu'on a entassé pêle-mêle tout ce qu'on a pu sauver : à peine pourra-t-il la reconnaître ; elle aura changé de physionomie ; elle sera déchirée et entr'ouverte, couverte de boue et sans adresse : il reste debout du matin jusqu'au soir, avant de la revoir et de la posséder ; et il risque encore de la perdre sur les épaules du portefaix agile et robuste, qui, dans le labyrinthe des rues, court et oblige l'étranger à le suivre, au lieu de marcher sur ses traces. Il faut donner dix fois sa signature, et payer dans six bureaux avant de tenir son juste au corps et son bonnet de nuit. Votre garde-robe est soumise à l'inspection la plus sévère ; et le commis de Nicolas Salzard saura combien vous avez de culottes. C'est la mort du commerce que cette redoutable douane ; on dirait que tous les effets de l'univers lui appartiennent, et qu'elle vous fait grâce en vous rendant vos coffres et vos balles. C'est un grand plaisir que de voyager en France ! Votre valise est ouverte à la frontière de chaque province ; on la retourne sens dessus dessous, dès que vous avez fait trente lieues, et le tout pour satisfaire l'infatigable curiosité de Nicolas Salzard. Trésor royal. La facilité prompte avec laquelle on enlevé les grosses sommes
qui y sont déposées, fait contraste avec l'effort perpétuel
et pénible d'une armée de cent cinquante mille commis qui, l'épée
dans une main, la plume dans l'autre, exigent avec violence les parcelles qui
doivent composer ce prodigieux amas d'espèces, lesquelles se fondent
ou s'envolent, dès qu'elles ont touché le bassin du réservoir.
Il est presque toujours à sec, malgré la pompe aspirante et foulante,
dont le jeu terrible ne saurait être interrompu, mais qui fatigue à l'excès
le corps politique, jusqu'à ce qu'il tombe de lassitude et d'épuisement. à cette époque,
la France est en nage ; la sueur lui découle du front : supportera-t-elle
encore longtemps ce violent exercice ? A-t-on bien calculé le degré de
ses forces réelles ? Le jeu qui les met en action ne se ralentit pas,
je le sais ; mais, pour me servir d'une expression populaire, (car je les aime
beaucoup) ira-t-elle toujours aussi vite que le violon ? |
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