Vie quotidienne a Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de la vie quotidienne d'autrefois à Paris, consignant les activités, moeurs, coutumes des Parisiens d'antan, leurs habitudes, leurs occupations, leurs activités dont certaines ont aujourd'hui disparu. Pour mieux connaître le Paris d'autrefois dans sa quotidienneté.
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LES RENTIERS
(D'après Tableau de Paris, par Louis-Sébastien Mercier, paru en 1782)

On appelle ainsi ceux qui ont accumulé leurs capitaux sur leur tête, ont fait le roi leur légataire universel, et lui ont vendu leur postérité à raison de dix pour cent. Ils ont déshérité frères, neveux, cousins, amis, et quelquefois leurs propres enfants : ils ne se marient point, et végètent en attendant leur quartier, et se disant avec volupté chaque matin, qu'ils ne sont pas encore morts. Tous les six mois, ils vont signer leur quittance chez le notaire du coin, qui certifie qu'ils sont en vie. Ce qui leur revient, ils le replacent sur-le-champ ; et cet argent, fait pour alimenter le commerce et soutenir l'industrie, va se perdre éternellement dans les coffres royaux. Ces coffres attirent tout ce qu'ils peuvent attirer ; ils sont toujours ouverts pour les emprunts ; ils ne se lassent point d'aspirer tout l'or qu'on leur présente.

La soif de l'hydropique, comme on sait, redouble en buvant : on prend toujours ; on sait que les maladies épidémiques soulageront les paiements de l'hôtel de ville : on sait qu'il y a à gagner beaucoup en jouant, pour ainsi dire, de concert avec la mort, et que sa faux rapide moissonne, dans tel intervalle, plus de têtes que n'en comportent les tables de probabilités, dressées par des calculateurs qui ne sont pas financiers. Les payeurs des rentes savent ce que rapportent au trône les hivers humides et longs ; et les princes, non moins affamés d'argent, voudraient bien imiter le monarque, qui ne chassera jamais les médecins de ses états, ainsi que fit jadis le sénat de Rome. Mais comment un gouvernement sage a-t-il pu ouvrir la porte aux nombreux et incroyables désordres qui naissent des rentes viagères ? Les liens de la parenté rompus, l'oisiveté pensionnée, le célibat autorisé, l'égoïsme triomphant, la dureté réduite en système et en pratique ; voilà les moindres inconvénients qui en résultent.

Un rentier n'aperçoit plus que l'hôtel de ville ; et pourvu qu'il ne se ferme point, peu lui importe ce qui l'environne ; il est nécessité à raisonner faux toute sa vie, parce qu'il veut que son débiteur possède tout, envahisse tout, afin que sa petite rente, par-là même, lui soit plus assurée. N'est-ce point cet appât, donné trop facilement à l'amour de soi-même et aux jouissances personnelles et exclusives, qui fait qu'il n'y a plus de parents, plus d'amis, plus de citoyens ; tout à fonds perdu : amitié, amour, parenté, tendresse, vous êtes aussi à fonds perdu ! Neuf, dix pour cent ; et après moi le déluge. Voilà l'axiome meurtrier et triomphant ! Je conseille aux rentiers d'aller manger leur pension dans l'air pur et libre de la campagne ; on vit moins dans les capitales, c'est un fait constaté par l'expérience ; on y suit un genre de vie qui renverse l'ordre journalier des heures et l'ordre des saisons : l'état des morts l'emporte toujours sur celui des naissances.

Je leur conseille d'attraper leur royal débiteur, en vivant le plus longtemps qu'ils pourront ; mais ce n'est qu'en s'éloignant de sa capitale, qu'ils réaliseront le projet de gagner sur lui. Le nombre des filles qui ont passé l'âge de se marier est innombrable à Paris : elles ont signé des contrats de rente viagère, ce qui les empêche de signer un contrat de mariage ; car la première réflexion que l'on fait, roule sur l'inévitable misère des enfants qui seraient issus d'un tel nœud. Un contrat viager isole toujours un particulier, et l'empêche de remplir les devoirs de citoyen.


 

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