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LES COLLEGES, etc.
(D'après Tableau
de Paris, par Louis-Sébastien Mercier, paru en 1782)
Les collèges et les écoles gratuites de dessin propagent l'abus de ce reflux éternel de tant de jeunes gens sur les arts de pur agrément, pour lesquels souvent ils ne sont pas nés. Cette pernicieuse routine des petits bourgeois de Paris dépeuple les ateliers des professions mécaniques, bien plus importantes à l'ordre de la société. Ces écoles de dessin ne font que des barbouilleurs ; et ces collèges de plein exercice, pour ceux qui n'ont point de fortune, répandent dans le monde une foule de scribes qui n'ont que leur plume pour toute ressource, et qui portent partout leur indigence et leur inaptitude à des travaux fructueux. Le plan actuel des études est très vicieux, et le meilleur écolier remporte au bout de dix années bien peu de connaissances en tout genre. On doit être vraiment étonné de voir des gens de lettres ; mais ils se forment d'eux-mêmes. Cent pédants veulent apprendre à des enfants la langue latine avant qu'ils sachent leur propre langue, tandis qu'il faut d'abord en savoir une à fond pour en bien apprendre une autre. Comme on s'est lourdement mépris dans tous les systèmes d'étude ! Il y a dix collèges de plein exercice ; on y emploie sept ou huit ans pour apprendre la langue latine ; et sur cent écoliers, quatre-vingt-dix en sortent sans la savoir. Tous ces régents ont une couche épaisse de pédanterie, qu'il leur est impossible de secouer ; on la reconnaît même après qu'ils ont renoncé au métier. Leur ton est ce qu'il y a de plus ridicule et de plus insupportable au monde. Le nom de Rome est le premier nom qui ait frappé mon oreille. Dès que j'ai pu tenir un rudiment, on m'a entretenu de Romulus et de sa louve : on m'a parlé du Capitole et du Tibre. Les noms de Brutus, de Caton et de Scipion me poursuivaient dans mon sommeil ; on entassait dans ma mémoire les épîtres familières de Cicéron ; tandis que, d'un autre côté, le catéchiste venait le dimanche, et me parlait encore de Rome, comme de la capitale du monde, où résidait le trône pontifical, sur les débris du trône impérial : de sorte que j'étais loin de Paris, étranger à ses murailles, et que je vivais à Rome que je n'ai jamais vue, et que probablement je ne verrai jamais. Les décades de Tite-Live ont tellement occupé mon cerveau pendant mes études, qu'il m'a fallu dans la suite beaucoup de temps pour redevenir citoyen de mon propre pays, tant j'avais épousé les fortunes de ces anciens romains. J'étais républicain avec tous les défenseurs de la république ; je faisais la guerre avec le sénat, contre le redoutable Annibal ; je rasais Carthage la superbe, je suivais la marche des généraux romains et le vol triomphant de leurs aigles dans les gaules ; je les voyais sans terreur conquérir le pays où je suis né ; je voulais faire des tragédies de toutes les stations de César ; et ce n'est que depuis quelques années, que je ne sais quelle lueur de bon sens m'a rendu français et habitant de Paris. Il est sûr qu'on rapporte de l'étude de la langue latine
un certain goût pour les républiques, et qu'on voudrait pouvoir
ressusciter celle dont on lit la grande et vaste histoire : il est sûr
qu'en entendant parler du sénat, de la liberté, de la majesté du
peuple romain, de ses victoires, de la juste mort de César, du poignard
de Caton qui ne put survivre à la destruction des lois, il en coûte
pour sortir de Rome, et pour se retrouver bourgeois de la rue des noyers. C'est
cependant dans une monarchie que l'on entretient perpétuellement les
jeunes gens de ces idées étrangères, qu'ils doivent perdre
et oublier bien vite, pour leur sûreté, pour leur avancement et
pour leur bonheur ; et c'est un roi absolu, qui paie les professeurs pour vous
expliquer gravement toutes les éloquentes déclamations lancées
contre le pouvoir des rois ; de sorte qu'un élève de l'université,
quand il se trouve à Versailles, et qu'il a un peu de bon sens, songe
malgré lui à Tarquin, à Brutus, à tous les fiers
ennemis de la royauté. Alors sa pauvre tête ne sait plus où elle
en est : il est un sot et un esclave né, ou il lui faut du temps pour
se familiariser avec un pays qui n'a ni tribuns, ni décemvirs, ni sénateurs,
ni consuls. |
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