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LA SORBONNE
(D'après Tableau
de Paris, par Louis-Sébastien Mercier, paru en 1782)
Elle rit elle-même de sa théologie, et connaît très bien le vide et le ridicule de ses thèses et de ses censures. Elle hasarde de dire que Moïse était meilleur naturaliste que Buffon ; mais elle n'en croit rien. La théologie a tout gâté dans le monde ; elle a redoublé les terreurs de l'homme, au lieu de les calmer ; elle l'a rendu superstitieux, au lieu de le rendre raisonnable. La Sorbonne a dû briller dans les siècles de ténèbres, parce qu'elle avait alors des connaissances fort au-dessus du commun des hommes. Mais dans les siècles de lumière elle a voulu répondre à tout, et de là sont nés les sophismes les plus extravagants. Elle a défiguré toutes les sciences, en voulant asservir à ses décisions la morale, l'histoire, la physique ; elle a voulu tout arranger, comme la législatrice de toutes les idées ; et ses travaux bizarres ont enfanté les contradictions les plus étonnantes. Ce serait un livre curieux, que le rapprochement de tout ce qu'elle a dit et imprimé depuis trois siècles ; jamais le déraisonnement chez les peuples les plus ignorants et les plus superstitieux n'a déployé le tableau d'une plus grande et d'une plus insigne folie : c'est qu'elle a voulu perpétuellement subtiliser, et qu'elle a voulu même en savoir plus que les autres docteurs chrétiens. Ainsi l'on a vu l'extravagance combattre l'extravagance ; qu'on juge du résultat d'une pareille lutte. Elle aurait entièrement dénaturé dans l'homme la faculté de penser, si quelques sages ne fussent venus rectifier ces viles erreurs, et se moquer de sa théologie, autant que les membres de la Sorbonne s'en moquent intérieurement eux-mêmes. Mais comme ce sont des places lucratives, les arguments de toutes couleurs, les thèses et les censures iront leur train. Si tant de gens se font tuer pour quelque argent, faut-il s'étonner que d'autres déraisonnent sciemment à un plus haut prix ? Tout ce qu'il y a de remarquable aujourd'hui en Sorbonne, c'est le mausolée du cardinal de Richelieu, qui forma la Sorbonne et l'académie française ; deux corps qui pensent aujourd'hui à peu près de même, et qui se combattent ; le tout pour fixer les regards, et pour exister. Les docteurs musulmans sont plus raisonnables que les nôtres. Ils prétendent que Mahomet a déclaré que de douze mille
paroles contenues dans l'alcoran, il n'y en a que quatre mille de véritables.
Quand ils rencontrent quelques passages extravagants, quelques folies palpables,
au lieu de s'entêter à justifier ces inepties, ils les rangent
au nombre des huit mille mots qui renferment des faussetés. Par ce moyen,
ils se sauvent de toute dispute, qui tournerait à leur confusion ; et
révoquant les contradictions et les incompatibilités, ils conservent
l'honneur de la raison humaine. Si la Sorbonne avait su en agir ainsi, elle
n'aurait pas enfanté dans son délire les thèses anciennes
qui l'ont rendu odieuse, et les thèses modernes qui l'ont rendu ridicule
; mais elle consent à passer pour absurde, pourvu qu'on ne discontinue
pas de la payer. |
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