Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places, quartiers de Paris : comment ils ont évolué, comment ils sont devenus le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places, quartiers de Paris dont un grand nombre existe encore.
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PLACE DES VOSGES

(D'après Les rues de Paris. Paris ancien et moderne : origines, histoire, monuments, costumes, mœurs, chroniques et traditions, sous la direction de Louis Lurine, paru en 1844)


Place des Vosges, Place Royale

La place des Vosges a été dénommée place Royale à l'origine, puis place des Fédérés, le 19 août 1792 ; place de l'Indivisibilité, le 4 juillet 1793 ; place des Vosges, le 26 fructidor an VIII ; place Royale, le 27 avril 1814 ; place des Vosges, le 14 mars 1848, et place Royale, de 1852 à 1870. La partie située au nord du jardin, dénommée rue des Vosges, par arr. préf. du 22 janvier 1862, a été de nouveau réunie à la place par arr. préf. du 26 décembre 1893. Le jardin public situé au milieu de la place a été créé en 1866. Origine du nom : Donné en l'an VIII parce que le département des Vosges avait été le premier à acquitter la totalité de ses contributions. Victor Hugo résida près de 16 ans au n°6 de la place des Vosges.

L'Hôtel des Tournelles, dont le nom seul rappelle tant de formidables souvenirs, occupait un des plus vastes emplacements du vieux Paris. Pierre d'Orgemont, chancelier de France, avait jeté les fondements de cet hôtel en 1390 ; Pierre d'Orgemont, son fils, évêque de Paris, le vendit au duc de Berri, frère de Charles V, pour la somme de quatorze mille écus d'or ; le duc de Berri le céda, en 1404,

La Place Royale vers 1660 (place des Vosges)
au dur d'Orléans, à titre d'échange ; en 1417, il devint la propriété du roi. Il fut qualifié, dans les titres, de Maison royale des Tournelles.

Charles VI, pendant sa démence, et le duc de Bedfort, régent de France pour le roi d'Angleterre, habitèrent l'hôtel des Tournelles. Bedfort comptait si bien sans le roi et sans le peuple de France, qu'il fit rebâtir l'hôtel des Tournelles, pour son usage particulier. A cet effet, il acheta aux religieuses de Sainte-Catherine, moyennant la somme de deux cents livres, une douzaine d'arpents qui faisaient partie de leur culture ; cette vente fut annulée en 1437. Les bons religieux reprirent les douze arpents sans être forcés de rendre les deux cents livres.

Une partie de l'hôtel des Tournelles portait le nom spécial d'hôtel du Roi. L'entrée de l'hôtel du Roi fut décorée d'un écusson aux armes de France, peint par Jean de Bourgogne, dit de Paris. Louis XI y fit construire une galerie qui traversait la rue Saint-Antoine, et qui aboutissait à l'Hôtel-Neuf de madame d'Etampes. Louis XII mourut aux Tournelles.

L'emplacement de l'hôtel des Tournelles servit à établir le Marché-aux-Chevaux, qui fut, en 1578, le théâtre d'une lutte violente entre les mignons de Henri III et les favoris du duc de Guise. Dieu merci ! tout cela disparut un peu plus tard, pour céder le terrain aux constructions de la place Royale. Voilà bien, si j'ai bonne mémoire, tout ce que l'on trouve dans le livre de Dulaure, à propos de l'hôtel des Tournelles.

Ce terrible hôtel des Tournelles était à la fois une citadelle, une maison royale, une prison, une ménagerie, une maison des champs, quelque chose qui tenait du Louvre et de la Bastille : on en contait mille fables remplies d'inquiétudes et de terreurs. La tour de Nesle, d'odieuse mémoire, n'occupait pas plus vivement les imaginations et les souvenirs. Vous le savez déjà, le duc de Bedfort l'avait habité, quand Paris fut tombé au pouvoir des Anglais. Un parc de vingt arpents entourait cette maison sur laquelle le Parisien osait à peine jeter les yeux.

Mais enfin, les Anglais furent chassés de ce royaume qui ne leur avait que trop obéi, chacun reprit en France sa place légitime, le roi aussi bien que le peuple. Soudain vous eussiez vu le roi Charles VII ramener sa bannière triomphante dans ces murailles réparées, vous eussiez retrouvé le bruit et l'éclat des fêtes, et les nuits joyeuses et toutes les pompes de la majesté royale et galante du roi Charles et de ses successeurs. Figurez-vous François Ier le roi chevalier, remplissant ces murailles de tout le bruit des fêtes, de tous les chef-d'œuvres des arts, et des premiers efforts de la poésie, et des bruits de la guerre, et de l'oisiveté de la paix, et de la grâce passionnée de ses nombreux amours.

Là régnait en souveraine la duchesse d'Etampes ; là le Primatice, Cellini et les plus grands artistes de l'Italie, apportaient les chef-d'œuvres les plus beaux et les plus rares parmi leurs chef-d'œuvres ; là aussi a régné, a vécu Diane de Poitiers, la très belle. Sous le fils de François Ier l'Hôtel des Tournelles jeta son plus vif et son dernier éclat. Plus que jamais la cour était brillante, le roi jeune et passionné, les Guise eux-mêmes et les Montmorency se courbaient devant la majesté royale.

Plus que jamais aussi les femmes les plus admirées et les jeunes accouraient de toutes parts à ces fêtes de chaque jour. Car c'était là une des révolutions heureusement tentées par le roi François Ier et à laquelle son fils Henri II avait été fidèle, s'en rapporter aux belles dames pour parer, pour orner, pour enchanter la cour.

Que de fêtes, que de joutes d'amour et d'esprit en l'honneur des dames, que de tournois ! A l'un de ces tournois où toute la cour était présente le 10 juillet 1559, au plus bel instant de la joie générale, sous les yeux et sous l'admiration de sa belle maîtresse et de bien d'autres dont il portait les couleurs, le roi Henri II se mit à jouter avec M. de Montgommeri, capitaine de la garde écossaise. Le coup de l'Écossais fut si violent, que la lance pénétra dans le crâne du roi de France. Ainsi mourut à peine âgé de quarante ans, au milieu d'une fête, et sous les yeux d'une maîtresse

Le tournois du 10 juillet 1559, Place Royale
adorée, un des derniers rois de la maison de Valois.

Depuis ce fatal tournoi et à dater de la mort de Henri II, l'hôtel des Tournelles devint comme un lieu frappé de malédiction, dans lequel mille terreurs superstitieuses assiégeaient non plus les passants, mais les habitants de ces royales demeures. Charles IX, l'avant-dernier des Valois, esprit inquiet et malheureux, âme faible et cruelle, prince déshonoré par le plus alleux des crimes qu'il n'eût jamais commis tout seul, fit porter l'ordre au parlement (1565), que l'on eût à démolir l'hôtel des Tournelles, et à tracer sur ce vaste emplacement comme une ville nouvelle qui fit oublier toute cette histoire d'Anglais vainqueurs, de trahisons, de galanteries, de cruautés.

Cet ordre d'un roi ; qui ne fut que trop bien obéi dans des circonstances plus difficiles, s'exécuta lentement. L'hôtel des Tournelles tomba pierre à pierre, et comme si le parlement eût regretté tant de souvenirs entassés dans ces murs. Il fallait attendre le règne de Henri IV, pour que ce nouvel emplacement de Paris prît enfin une physionomie nouvelle.

Aussi bien, une fois que le plan de la place Royale eut été conçu, et que les plans eurent été discutés et arrêtés en présence même de M. de Sully, la place Royale s'éleva comme par enchantement. Le plan de cette cité nouvelle était plein de grandeur et de majesté. La place devait avoir neuf pavillons à chacune de ses trois faces ; ces pavillons devaient être supportés par une suite d'arcades, larges de huit pieds et demi, hautes de douze pieds, ornées de pilastres doriques, formant autant de corridors couverts d'une voûte surbaissée de pierres et de briques.

Les plus grands architectes, peintres et sculpteurs, sont choisis par Henri IV. Jacques II Androuet Du Cerceau, Louis Métezeau, Le Vau, Le Brun, Mignard ... entre autres, adopteront un style proche de celui de la Renaissance. Chef d'œuvre d'équilibre et d'élégance, avec ses 108 mètres de côté. La place Royale est entourée de 36 pavillons de deux étages sur arcades (9 de chaque côté. La hauteur des façades est égale à leur largeur et la hauteur des toitures correspond à la moitié de celle des façades. Les toits bleus en ardoises d'Angers sont fortement pentus et les fenêtres sont encadrées de pierres blanches et de briques rouges.

C'était l'idée première du Palais-Royal, et une généreuse idée dans ces temps qui n'avaient guère d'autre souci que la bataille. Figurez-vous quelle dut être la joie du Parisien, quand, à la place de cette ruine presque féodale, il put se promener tout à l'aise dans ce bel et noble espace, à l'abri du soleil en été, de la pluie en hiver, ouvert à la promenade, au repos, aux doux loisirs ; c'était peut-être la première fois qu'on s'occupait ainsi et dans un si grand détail du bien-être du public ; car au milieu de la place on avait semé du gazon et des fleurs, on avait amené des eaux jaillissantes, et en 1639 Richelieu y fit édifier la statue équestre du roi Louis XIII, fondu par Daniel de Volterre, sur un piédestal de marbre blanc, avec cette louange en latin que là révolution française a brisée en brisant la statue :

« A la glorieuse et immortelle mémoire du très grand et très invincible Louis le Juste, treizième du nom, roi de France et de Navarre. Armand, cardinal et duc de Richelieu, son premier ministre dans tous ses illustres et généreux desseins, comblé d'honneurs et de bienfaits par un si bon maître, lui à fait élever cette statue en témoignage de son zèle, de son obéissance et de sa fidélité, 1639. »

Le roi Henri IV, frappé en 1610 par un misérable, mourut trop vite pour achever son œuvre de la place Royale. Il avait encore une ou deux guerres a accomplir, après quoi il se fut abandonné à la joie d'embellir Paris sa bonne ville. Dans les millions de l'épargne qui était déposée à la Bastille, plus d'un million eut été employé à l'embellissement de sa ville capitale. Celui-là mort, la place Royale, se protégea elle-même ; elle s'embellit, elle se compléta, elle se défendit non pas par le nombre mais par le nom, par le crédit, par la fortune personnelle de ses habitants.

La première fête que donna Paris en 1612, deux ans après la mort de son roi Henri IV, se donna à la place Royale en l'honneur du nouveau roi, afin de célébrer par des cérémonies jusqu'alors sans exemple, l'inauguration de la place Royale et les fiançailles du roi Louis XIII avec Anne d'Autriche. La reine régente avait commandé au duc de Guise, au duc de Nevers et au comte de Bassompierre, d'être les tenants d'un carrousel, qu'ils feraient brillant et émouvant de leur mieux avec cette condition que les hommes ne jouteraient pas contre les hommes ; du reste on laissait à tout gentilhomme le droit d'être magnifique en ses armes, chevaux et vêtements.

La reine voulait aussi que la place Royale, depuis peu bâtie par son maître et seigneur le roi Henri IV, fut le théâtre de ces joutes galantes. A ces trois là se joignirent le prince de Joinville et le comte de la Chataigneraie. Les uns et les autres ils prirent le titre de chevaliers de la gloire, ils se placèrent l'arme au poing en ce palais de la félicité, déliant quiconque y voudrait pénétrer de vive force. Les susdits chevaliers de la gloire avaient nom : Alcindor, Léontide, Alphée, Lysandre, Argant ; le lieu de la lice n'était autre que la place Royale de l'abrégé du monde.

Le 25 du mois portant le mont du dieu Mars, leur dieu favori, avait été choisi pour le jour du combat. A cet appel, tout seigneur vieux ou jeune, riche ou pauvre, qui pouvait acheter un pourpoint brodé en or, ou l'avoir à crédit, se fit un honneur d'y répondre. Cette fois, plus que jamais, la place Royale se remplit de

La Place Royale (Place des Vosges)
fête et de joie. Le splendide palais de la félicité s'éleva comme par enchantement au centre de la place ; tout autour furent dressés des échafauds qui montaient Jusqu'au premier étage ; quatre échafauds avaient été réservés pour le roi et ses sœurs, pour la reine sa mère, pour la princesse Marguerite, pour les juges du camp, à savoir le connétable et quatre maréchaux de France.

Quelle foule avide et brillante et parée ! A toutes les fenêtres des maisons, sur les entablements des combles, au pavillon du roi, au pavillon de la reine, partout, sans compter ce peuple entassé sur le pavé derrière les gardes. Ce grand spectacle ne dura pas moins de deux jours, tant était grand le nombre de gentilshommes qui voulaient avoir l'honneur d'y jouer leurs rôles.

Les cinq tenants, Alcindor, Léontide, Alphée, Lysandre, Argant, firent leur entrée suivis ou précédés d'une armée véritable de cinq cents hommes, les archers, les trompettes, les hommes d'armes, les musiciens, les hallebardiers, les esclaves, les pages, les mores, les turcs, les allusions. Venaient ensuite, tirés par deux cents chevaux, un rocher chargé de musique, et le Pinde tout entier du haut duquel plusieurs divinités chantaient des vers.

L'Olympe une fois passé, arrivaient les chevaliers du soleil conduits par le prince de Conti, Arislée, puis les chevaliers de lys guidés par le duc de Vendôme, les deux Amadis représentés par le comte d'Ayen et le baron d'Uxelles ; Henri de Montmorency, le fils du connétable, marchait seul et s'appelait Persée : pauvre et noble jeune homme, qui lui eût dit qu'il mourrait de la main du bourreau ?

Le duc de Retz commandait aux chevaliers de la fidélité, le duc de Longueville s'appelait le chevalier du phénix ; on avait aussi annoncé les quatre vents, mais il ne s'en trouva que trois à l'appel, le vent du nord, le chevalier de Balagny, s'étant fait tuer l'avant-veille dans un duel. Comme aussi les nymphes de Diane étaient représentées par quatre beaux cavaliers qui plus tard devinrent tous les quatre maréchaux de France ; ajoutez des chevaliers de l'univers, et neuf Romains choisis dans les grands hommes de Plutarque.

Figurez-vous les plus grands noms de la France engagés dans ce vaste tournoi, jeunes gens pleins d'ardeur, intrépides soldats, galants seigneurs recherchés dans toutes les ruelles : c'était à qui dans cette foule illustre déploierait le plus de magnificence, d'invention et de bonne humeur. Chaque troupe voulait avoir son miracle, son pacte, sa métamorphose.

Dans cette place Royale déserte aujourd'hui, silencieuse, dont le bourgeois du Marais (le plus calme des bourgeois) foule d'un pas timide les dalles sonores, cent mille personnes se tenaient dans l'attitude du recueillement et de l'admiration. Les figurants des diverses troupes étaient au nombre de deux mille, et mille chevaux et vingt grandes machines, et des éléphants, des rhinocéros, des ours, un monstre marin.

 


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