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LA MODE SOUS LE PREMIER EMPIRE
(D'après Les Modes de Paris 1797-1897,
par Octave Uzanne, paru en 1898)
On commence à proclamer que plus une femme est jolie, moins elle a besoin d'ornements ; que sa mise doit être simple, quoique élégante, et que la perfection de la parure consiste dans la sobriété des passementeries, dans le goût et la grâce et non pas dans la singularité de la mise, dans la nouveauté des costumes, dans la richesse des étoffes, ni enfin dans le luxe inutile et ruineux des Le fichu à la mode doit dissimuler la gorge et faire ressortir les épaules ; on ne noue plus son mouchoir pour en faire une bourse, mais on met son argent dans une résille d'or qu'on attache à sa ceinture. Les robes à pluie d'or et d'argent, qui faisaient florès dans les premiers temps du règne, ne sont plus considérées comme de bon genre ; mais un voile, un schall à lames d'argent sont regardés comme du meilleur ton, soit pour figurer dans un bal, soit pour briller aux spectacles. Les dames dansent le Bolero ou la Chica, et bien qu'elles aiment le plaisir à la folie, elles prétendent d'un air fatigué et navrant que tout est ennuyeux, fade et mourant dans les distractions du dehors. Dans les beaux jours, tout Paris est à la promenade ; les rentiers prennent le frais vers les boulevards du Marais ; les auteurs vont bouquiner sur les quais ; les mères de famille promènent leurs nourrissons vis-à-vis le Panorama ou sur le boulevard Montmartre ; les élégantes, qui tiennent à étaler leurs riches équipages et leurs modes nouvelles, vont au Bois de Boulogne ; les femmes plus modestes, qui se contentent de faire admirer leurs charmes, vont à la terrasse des Feuillants et aux Champs-Élysées ; là, regardées tour à tour par les jeunes gens à cheval et par les piétons, elles ont le plaisir de se moquer des belles qui vont au Bois. – On s'étouffe à Coblentz pour regarder le beau sexe assis de chaque côté du boulevard. Depuis Tivoli jusqu'au Colisée, depuis le Colisée jusqu'au Jardin Turc, on n'aperçoit que des élégantes bourgeoises, des grisettes de tous les quartiers ; aux Champs-Élysées, officiers et jeunes mondains à cheval, matadors en carrick, luttent de vitesse et de noble allure, tandis que les L'heure des agréables au Bois de Boulogne est, en 1807, de midi à trois heures. Il fut un instant de mode d'aller prendre des glaces au café de Foy, mais le bon ton veut alors qu'on les fasse apporter chez soi. Ces glaces se servent, été comme hiver, à déjeuner, à dîner, à souper, à toute heure. Comme spectacle, on ne saurait se passer d'aller voir Olivier et l'incomparable Ravel, les deux faiseurs de tours à la mode. On applaudit Talma aux Français, Mme Henry à l'Opéra-Comique ; le vaudeville est négligé ; on court en foule aux répétitions de l'Opéra ; on se fait voir avec orgueil dans les loges aux représentations du vendredi ; on déclare passer des heures divines à l'Académie des arts, et pour se donner un instant de folie, on se rend incognito chez Brunet. Dans les cercles, le soir, on réunit une foule de gens de tout âge, beaucoup d'hommes et peu de femmes ; plus la foule est grande, plus la réunion est considérée comme brillante ; les étrangers sont bien accueillis et fêtés, on se promène ; les conversations sont particulières ; il n'y a que les traits d'esprit ou les calembours qui, pour un instant, se colportent et généralisent le rire. Le fin du fin de la galanterie d'alors est de négliger toutes les femmes d'un salon pour se ranger autour de la plus belle, en la regardant avec insistance, en l'entourant, en discourant sur ses appas, en la poussant et la pressant de manière à lui faire perdre haleine. – L'heure de la gavotte arrive ; on crie : bravo ! on applaudit à l'avance. Zéphyr s'élance, il va prendre par la main la maîtresse de la maison ; un piano est disposé ; tout le monde se range en cercle, on monte sur les chaises, les entrechats excitent l'enthousiasme. La belle, fatiguée, heureuse, souriant à tous, va prendre un instant de repos sur son lit à la grecque pendant que le danseur suprême reçoit les compliments de la plupart des jeunes gens qui demeurent ébahis. On murmure, on s'extasie :
Que de jolis tableaux de Paris il y aurait à faire sur le monde et les mœurs de l'Empire, qui ont été trop peu étudiés par les écrivains de cette fin de siècle ! De la rue au salon, du théâtre au cabaret, de la femme de Cour à la grisette, du vieux grognard au chauvin civil, on aurait à analyser d'innombrables personnages, des traits de caractère très typiques. La postérité aime à suivre Napoléon sur tous les champs de bataille de l'Europe, les historiens ont marché sur les traces de nos drapeaux victorieux ; mais nous avons trop négligé de regarder au cœur de la France pendant ces années de gloire, nous n'avons pas assez chiffonné la gavotte parisienne, pas assez observé l'esprit, les modes et les mœurs de la nation depuis le Consulat jusqu'au retour des Bourbons. Le moment serait venu de faire vivre ce tableau. Un mari échaudé, devenu économiste, fit circuler vers 1807 un paradoxal Etat de la Dépense annuelle d'une Petite-Maîtresse de Paris, d'après ses notes de ménage. Nous le reproduisons ici sans y rien changer, comme document comico-sérieux. Le voici :
Ajoutez à cela le train de maison, les gens et la table, les cadeaux extraordinaires, les billets de loterie, les pertes à la bouillotte, et l'on arrive à plus de cent mille écus, chiffre respectable, même de nos jours, pour les gentils Les schalls étaient toujours le fond de la toilette d'une femme ; ils étaient chers et recherchés, moins rares cependant que sous le Directoire. Dans l'origine, les kachemires étaient une chose extraordinaire et un objet d'envie ; peu à peu ils se répandirent universellement dans le royaume de la mode et servirent à mille usages comme turbans, redingotes, robes, et même s'utilisèrent dans la décoration mobilière. Ces schalls d'Orient apportaient la couleur et un chatoyant effet de draperie dans les spectacles lorsqu'ils tombaient avec négligence sur le devant d'une loge ; les élégantes gracieuses en tiraient tous les partis possibles, soit dans la danse antique, soit à la promenade ou encore au sortir du théâtre ; elles le drapaient habilement sur la tête, sinon le roulaient sur les seins, en comprimant d'un délicieux mouvement de mains leur gorge haletante et frileuse. Le schall de kachemire jouait un rôle considérable dans la haute et riche société parisienne. « C'est sur le point de la parure et des modes que les Françaises sont sujettes à faillir et perdent tout ce que leur caractère a d'intéressant, tout ce que leur conduite a de respectable, écrivait lady Morgan dans son livre sur la France. C'est là que finit l'économie et que commence une extravagance qui ne connaît point de bornes. Le mérite du divin kachemire et du joli mouchoir de poche brodé succède en un instant aux discussions financières et aux arguments politiques : – « Et combien de kachemires avez-vous, ma chère ? » est une question que les belles pupilles de ces grands vizirs de femmes d'État, MM. de Chateaubriand et Fiévée, font avec le plus d'importance et traitent avec plus de gravité que s'il s'agissait des nouveaux traités politiques de leurs maîtres. Cette élégante production de l'industrie indienne est un objet indispensable pour toutes les Françaises, et elles y attachent tant de prix qu'on serait tenté de croire qu'il existe un charme magique dans son tissu. Je n'oublierai jamais, poursuit l'ancienne Miss Owenson, le sentiment mêlé de compassion et de surprise que je causai à une de mes amies de France quand je l'assurai que je n'avais jamais eu qu'un seul kachemire. « – Ah, mon Dieu ! s'écria-t-elle, mais c'est inconvenable ! Ma belle, il faut en acheter un avec ce que vous produira votre premier ouvrage..., un kachemire, c'est une terre, n'est-ce pas? » Ce que n'ajoute pas suffisamment lady Morgan, ce qu'elle ne pouvait comprendre en sa qualité d'Anglaise, c'est qu'un kachemire était considéré comme un héritage à transmettre dans sa famille. « C'est un meuble », disait-on,
Le carrick de drap et le witzchoura à capuchon exclurent le schall de la mode, dans les dernières années de l'Empire ; le witzchoura, vêtement disgracieux qui cachait la taille, ne convenait ni aux femmes trop petites, ni à celles chargées d'embonpoint ; les fourreurs seuls le firent valoir et débitèrent ce vêtement à un prix exorbitant. Les fourrures et principalement l'hermine se portèrent avec profusion de 1810 à 1814 ; on ne voyait que douillettes d'hermine, witzchouras, spencers, redingotes, manchons d'hermine ; les femmes se couvraient autant qu'elles s'étaient découvertes. Costumes charmants, au reste, et que les gravures de La Mésangère ont reproduit comme des merveilles de goût et d'élégance. Ces modes de l'Empire, il faudrait nous y attarder, regarder un à un ces charmants habillements qui durant dix ans varièrent tant de fois, dans des dispositions si souvent heureuses que nous aurions à décrire plus de mille costumes divers, sans donner encore une idée complète de ces fantaisies exquises. Il nous faudrait examiner l'influence qu'eut Marie-Louise sur les habillements féminins après le second mariage de Napoléon, et comment celui-ci sut maintenir la suprématie de la toilette française. Mais ces études et ces considérations de futile apparence nous entraîneraient au delà des bornes prescrites, un volume tout entier y suffirait à peine, il nous faudrait entrer dans des descriptions minutieuses, qu'il serait nécessaire d'égayer d'une centaine de
planches en couleur indispensables à la compréhension du texte. Ces modes insaisissables et charmantes, quel écrivain femme, apte à manier une plume d'aile de papillons, aura nous en détailler les charmes et l'inconstance; car, il faut bien le dire, le style aussi a un sexe, une grâce et une souplesse spéciales à la femme et ce serait à un bas bleu qu'il conviendrait de broder la fantaisie sur ce sujet si fugitif, qui est inséparable de l'art de plaire. Consolons-nous de cet à peu près qui est encore le résumé le plus complet qui – en si peu de pages – ait été écrit sur le sujet. La Bruyère ne disait-il pas déjà, en 1650 : « Une mode a détruit à peine une autre mode, qu'elle est abolie par une plus nouvelle, qui cède elle-même à celle qui la suit et qui ne sera pas la dernière... Telle est notre légèreté ! » Les modes du premier Empire, on peut déjà s'en convaincre, auront été les plus exquises de ce siècle ; jamais nous n'en verrons de plus variées, de plus ingénieuses et de moins banales. C'est un plaisir infini de regarder ces innombrables costumes, tous dessinés par Vernet ou Boilly, qui en ont fait des chefs-d'œuvre. Les femmes, dans le frou-frou soyeux des délicieuses modes d'alors, s'enveloppèrent de grâce, et nous éprouvons encore comme la sensation de leur attirance, de leur troublante séduction sous ces costumes souples, légers, douillets que portèrent si allègrement les amazones de l'amour de ces années héroïques et glorieuses.
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