|
|
|
||||||||||||
LES TUILERIES
(D'après Tableau
de Paris, par Edmond Texier, paru en 1852-1853)
Au résumé, la Petite-Provence est pour les enfants et les invalides un délicieux séjour. On y trouve des bancs que le soleil favorise ; on y trouve des fleurs précoces, un gazon prématuré, et je ne sais quelle tiédeur dans l'air qui fait souvenir des environs de Montpellier. – En un mot, on est mieux là qu'ailleurs pour s'essayer aux premières sensations de la vie ou pour achever d'exister. Mais le temps nous presse. Quittons la Petite-Provence par l'issue que protège le groupe de Rémus et Romulus avec leur bonne louve nourricière, et revenons à la grande allée. Nous avons tout entrevu, sinon tout visité. Nous aurions beaucoup
Le jardin des Tuileries est le cadre splendide qui renferme les plus belles images de la vie parisienne ; tout y est doux, frais et brillant ; on y rencontre peu d'hommes sérieux ; c'est l'empire de la jeunesse dans toutes ses expressions et a tous les degrés. Si les Italiens ont pu répéter : Voir Naples et mourir ! les Parisiens peuvent s'écrier avec un orgueil aussi légitime : Voir les Tuileries, et y vivre jusqu'à quatre-vingt-dix ans ! Le jardin des Tuileries a été dans presque tous les temps le théâtre de fêtes officielles. Sans remonter à la fête de l'Être Suprême, dont l'ordonnateur fut Maximilien Robespierre, le jardin s'est illumine pour tous les gouvernements qui se sont succédé depuis soixante ans. Les lampions ont fumé sous ces magnifiques touffes de verdure pour toutes les dynasties, hélas ! Sous la Restauration, des concerts publics avaient lieu dans la grande allée qui conduit de la rue de Rivoli au quai, à l'anniversaire de la Saint-Louis ou de la Saint-Charles, sous le gouvernement de Juillet à l'anniversaire de la Saint-Philippe. Qui pourrait calculer le nombre de chants, tour à tour patriotiques et factieux, dont les échos de la terrasse ont gardé le souvenir ! Un mot sur les sculptures du jardin. Les deux groupes qui accostent la grille d'entrée, et dont l'un représente la Victoire et l'autre Mercure, appartiennent à Antoine Coysevox, de Lyon. Les chevaux, de tournure demi-héraldique, piaffent sur des trophées ; les ailes qui palpitent à leurs flancs avec des mouvements d'élévation, leur donnent de vagues apparences d'hippogriffes. Ces deux groupes sont d'une exécution rapide et vivante. En avançant de quelques pas, on arrive à quatre piédestaux carrément assis, et qui portent quatre fleuves, la Seine, la Marne, le Tibre et le Nil : le Nilet le Tibre d'après l'antique ; la Seine, par Nicolas Coustou ; la Marne, par Van Cluves. La double terrasse qui regarde ces groupes est occupée par des piédestaux chargés de statues d'après l'antique. Ce sont les neuf Muses, avec les flûtes, les masques, les compas, les lyres, les stylets, les tablettes et les couronnes ; signes de leurs différents attributs. La plupart de ces copies, d'un travail mou et lâche, ne valent rien où à peu près. A droite se tient, à l'entrée de l'allée, un Scipion l'Africain, deux Thermes, une Flore qui soulève une corbeille, une Vertumne, la tête couverte d'un manteau, un groupe de Silène et Bacchus, copie antique de la villa Borghèse. En face de ces statues est l'Annibal punique de Sébastien Stoldtz, élève de Girardon. Une Cérès
A deux pas de la Vénus, une statue de Bacchus dans la fleur de l'âge ; et, dans les espaces vides pratiqués entre les massifs, le Sanglier d'Érymanthe, debout, hérissé, formidable. Le groupe des Lutteurs, enlacés comme des serpents, les membres liés par les étreintes du combat, les bras armés de la palestre. A droite de l'allée des Marronniers, une copie d'après l'antique, Centaure prisonnier de l'Amour, en opposite des Lutteurs ; Castor et Pollux, les Dioscures renversant la flamme d'une torche. Apollon poursuivant Daphné. Nous sommes au second bassin. Énée et Anchise, ingénieusement enlacés ; Aricie et Caecina Paetus, poses épiques ; l'Enlèvement de Cybèle et l'Enlèvement d'Orythée, puis la Phaéthuse de Théodon, improprement appelée Daphné. Jamais on n'a rendu avec une plus suave douceur la faiblesse forcée, les timidités prises d'assaut, et les impuissantes angoisses. Vers l'allée des Orangers, on rencontre deux groupes modernes, Thésée abattant le Minotaure, de Ramey, et le Prométhée enchaîné, de Pradier, deux belles académies, mais des académies ! Au bas de la terrasse du bord de l'eau est le Soldat de Marathon, de Cortot, expirant sur son bouclier et levant de la main la palme du triomphé, et Alexandre combattant, étude sèche de Nanteuil. Plus bas, la copie en bronze, d'après l'antique, de Cléopâtre, qu'on a eu le tort de retirer de la niche où elle reposait comme en un caveau tumulaire. La sculpture contemporaine s'est installée sur la terrasse qui regarde le château. La plupart de ces héros nus sont plutôt des bonshommes déshabillés, il faut bien en convenir, si j'excepte le Philopoemen de David, nerveux, frémissant, tourmenté ; le Caton d'Utique de Roman, terminé par Rude, et que les bourgeois prennent pour Abd-el-Kader ; le Phidias de Pradier, trois marbres estimables, je ne vois plus que le Thémistocle de Lemaire, drapé dans un manteau trop court ; le fameux Spartacus de M. Foyatier, un héros gras ; le Laboureur au regard hébété, le Cincinnatus mal casqué et le Périclès de M. Debay, adolescent bellâtre qui porterait assez bien le chapeau tuyau de poêle et le par-dessus Humann. Vis-à-vis ces figures, et comme des antithèses, apparaissent le Joueur de flûte, l'Hamadryade, la Flore, de Coysevox, le Chasseur au repos et les Nymphes, de Coustou. Tout cela n'a pas la sévère beauté de l'antique, mais tout cela vit et respire. Dieux et déesses, ou plutôt marquis et duchesses du galant Olympe du dix-huitième siècle. A côté, le Rémouleur, admirable fonte des Keller, d'après l'antique, et la Vénus accroupie, – la force et la grâce. – Dans les carrés de gazon défendus par des grilles, Vénus pudique, Anlinoüs, Laocoon, Diane et Apollon. La grande allée des Orangers se termine, à ses deux extrémités, par un Météagre, copie de l'antique, en marbre, par Legros, et par un Hercule Commode épaulé sur sa massue, copie en bronze verdâtre. Au bas de la terrasse du bord de l'eau sont les deux grands lions de Barye ; deux bêtes vivantes, deux chefs-d'œuvre. Un critique distingué, M. Louis de Cormenin,
a fait remarquer avec raison que le jardin des Tuileries possède
des sculptures du dix-septième
et du dix-huitième siècle, des sculptures modernes
et des copies d'après l'antique, mais que ni le moyen âge
ni la renaissance n'y sont représentés, lacune fâcheuse. « Que
ne fait-on faire, dit l'écrivain que nous
venons de citer, des copies d'après Jean Cependant il n'est en France, dans le monde entier, qu'un jardin qui puisse être comparé à celui des Tuileries pour les richesses que l'art y a entassées, c'est Versailles. Mais encore, quelle dissemblance ! L'un est un corps plongé dans le sommeil, pour ne pas dire un cadavre ; l'autre est un corps brillant de jeunesse et de vie, qui semble devoir exister éternellement. C'est que Versailles n'est plus qu'un souvenir. L'écusson du nec pluribus impar a été brisé, et les morceaux même en ont disparu ; Versailles n'est plus qu'une résidence fossile, tandis que le jardin des Tuileries, ce jardin de tous et de chacun, au centre de Paris, vit, à lui seul, de toutes les vies de la capitale ; à lui seul, il est tout le dix-neuvième siècle. Napoléon III a qualifié d'œuvre nationale la réunion des Tuileries au Louvre. Siège du pouvoir central sous tous les régimes de 1789 à 1870. L’arasement des Tuileries a été une amputation brutale, une mutilation de l'œuvre. Aucune loi n'a décidé de supprimer les Tuileries. De même, aucune décision délibérée n'a été prise par la Commune de les incendier. Ce fut une voie de fait, due à une poignée d'éléments incontrôlés. Au Sénat, en 1882, Jules Ferry, ministre de l'éducation nationale et des beaux-arts, s'est engagé solennellement au nom du gouvernement à reconstruire les Tuileries soit à l'identique soit sous une forme plus ramassée.
|
|
|||||||||||||
PAGES 1/4 | 2/4 | 3/4 | 4/4
:: HAUT DE PAGE :: ACCUEIL |
|