Monuments, édifices de Paris
Cette rubrique vous narre l'origine et l'histoire des monuments et édifices de Paris : comment ils ont évolué, comment ils ont acquis la notoriété qu'on leur connaît aujourd'hui. Pour mieux connaître le passé des monuments et édifices dont un grand nombre existe encore.
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NOTRE DAME DE PARIS
(D'après Paris, 450 dessins inédits d'après nature, paru en 1890)


L'aire de plomb de Notre-Dame de Paris

Avant de quitter la galerie supérieure pour redescendre au grand portail, il faut jeter un dernier coup d'œil sur la terrasse ou aire de plomb, dominée par le pignon du grand comble, orné de sa belle horloge, et par la flèche qui en émerge à un point correspondant au centre du transept, c'est-à-dire de la croix latine. Cette cour aérienne n'est pas déserte comme on le croirait ; c'est, au point de vue de la décoration sculpturale, une basse-cour fantastique, habitée par un troupeau d'animaux aux formes bizarres, qui se distinguent à peine des démons et des gnomes. Aigles dévorant des chapelets de fruits, panthères et léopards féroces, loups à la dent cruelle, vautours à quatre pattes, serpents volants, chats énormes et jusqu'à un éléphant microscopique, tout s'y trouve, animé d'une bonne foi mystique qui défend au grotesque de prendre le pas sur la terreur. Au centre, et les dominant du haut d'un pinacle isolé, un ange calme et doux tient le doigt sur sa bouche close, et semble imposer le silence à ces créatures effrayantes et domptées, tandis qu'au-dessus de lui sonne la trompette du jugement dernier. L'emplacement de toutes ces figures, modelées avec un art naïf, est savamment calculé pour résister aux vents qui, à cette hauteur, soufflent avec violence.

Redescendons maintenant sur le sol du Parvis. Comme on l'a déjà vu, trois portes donnent accès dans la cathédrale ; la plus vaste, celle du milieu, s'appelle la porte du Jugement ; à gauche, au pied de la tour du nord, s'ouvre la porte de la Vierge ; à droite, la porte Sainte-Anne s'ouvre au pied de la tour du midi.

Divisée en deux parties par un trumeau, qui supporte l'effigie du Christ tenant le livre de vie, la porte du Jugement contient un résumé sculptural de l'Ancien Testament et de la morale évangélique. Aux deux côtés du Christ se rangent les douze Apôtres, les Vertus qui conduisent en paradis, les Vices qui précipitent en enfer. Plus haut, le Fils de l'homme est assis dans sa gloire. Autour de lui, les Anges et les Puissances du ciel, les Prophètes, les Martyrs, les Docteurs et les Vierges. Sous les pieds du Christ, l'Humanité sort du sépulcre au son de la harpe. A sa droite, les Élus gardés par les Anges ; à gauche, les Réprouvés tombent dans les flammes, entraînés par les Démons.

Au-dessus de la partie basse du stylobate se déroulent deux rangées de six bas-reliefs chacune, vingt-quatre en totalité. Les Vices occupent les médaillons de la zone inférieure, figurés par de petites scènes qui les mettent en action ; les douze Vertus, personnifiées par des femmes assises, reconnaissables à leurs attributs, sont classées sous chaque Vice avec des nuances d'opposition curieusement contrastées, dans l'ordre suivant : la Foi – l'Idolâtrie – l'Espérance – le Désespoir – la Charité – l'Avarice – la Justice – l'Injustice – la Sagesse – la Folie – l'Humilité – l'Orgueil – le Courage – la Lâcheté – la Patience – la Colère – la Douceur – la Dureté – la Concorde – la Discorde – l'Obéissance – la Révolte – la Persévérance – l'Inconstance.

En dehors des ébrasements du portail, qui sont profonds, à la même hauteur que les sujets allégoriques du stylobate, on aperçoit deux bas-reliefs carrés qui paraissent rapportés. A droite, un personnage de grande taille, privé de la tête et du bras droit, appuyé sur une pique, traverse un torrent. Bien que Guilhermy, le savant monographe de Notre-Dame, ait renoncé à deviner le nom de ce personnage, sa haute taille et l'appui que lui donne un grand bâton désignent assez clairement le géant saint Christophe. Le second bas-relief représente Job, assis sur son fumier, s'entretenant avec sa femme et ses trois amis. A gauche, c'est le sacrifice d'Abraham, et, au-dessous de celui-ci, Nemrod, monté tout armé sur une haute tour, lance son javelot contre le soleil.

On a voulu voir dans ces bas-reliefs, dont le sujet est emprunté aux livres saints, un symbolisme astronomique et même hermétique, renfermant le secret de la pierre philosophale. Ce sont là des rêveries aussi déraisonnables que celles de l'Allemand Niebuhr sur l'histoire romaine. Sur le stylobate des Vertus et des Vices reposent les statues des douze apôtres, dont les supports restaurés sont empruntés aux porches de Notre-Dame de Chartres. Sur les pieds de la porte sont rangées, d'un côté, les vierges sages avec leurs lampes allumées et les vierges folles avec leurs lampes éteintes et renversées.

La voussure de ce prodigieux portail, devant lequel on passerait en contemplation des heures entières sans se lasser, est la plus considérable qui existe dans l'architecture gothique. Elle contient, en six rangées concentriques de figures, les Élus, les Patriarches. La Mort, montée sur le cheval pâle de l'Apocalypse, porte en croupe l'Enfer qui tombe à la renverse ; c'est un entassement prodigieux de

Portails de la façade de Notre-Dame de Paris

démons, de serpents et de damnés, soumis à d'effroyables supplices. Au-dessus de ces scènes démoniaques, que traversent la Guerre et la Famine, s'étagent les vierges, les martyrs, les saints et les anges, formant la cour céleste qui entoure Jésus-Christ dans toute sa gloire.

Ces compositions sculptées, dont l'abondance et la variété offrent un objet d'études inépuisables, furent autrefois peintes et dorées ; mais on n'a pas tenté la restauration de cette ornementation polychrome, qui eût cependant ajouté aux tableaux multiples qui animent ce vaste ensemble le prestige de la couleur. Cependant le nimbe du Christ conserve des traces de dorure ; au temps de Charles VIII, le trône du Christ était en or et garni d'ornements en or plaqué, ainsi que l'atteste la relation d'un évêque arménien nommé Martyr, qui voyageait en France entre les années 1489 et 1496.

On a déjà fait remarquer que la tour du Midi est un peu plus faible de proportion que la tour du Nord ; par une singularité en sens inverse, la porte de la Vierge, percée au bas de la plus grosse tour, s'ouvre dans une baie un peu moins haute que celle de la tour la moins grande. Cette différence est rachetée par un fronton triangulaire que soutiennent deux colonnes. Au-dessus du pilier trumeau se dresse une Vierge de pierre sculptée au XVe siècle, provenant de l'ancienne église de Saint-Aignan au Cloître ; elle a été placée là en 1818 ; elle y remplace une belle statue du XIIIe siècle représentant la Vierge portant son fils dans ses bras et foulant aux pieds le dragon, laquelle a été reléguée, on ne sait quand ni pourquoi, dans les magasins de l'église du chapitre, à Saint-Denis.

La statue actuelle est surmontée d'un coffret qui représente l'arche d'alliance. Les prophètes forment cortège à la Vierge, particulièrement ceux qui ont annoncé la gloire de Marie à travers le monde. De chaque côté des statues de saints et de saintes, appartenant à l'Église de Paris, sont distribuées sous les signes du zodiaque, figurés par les travaux correspondant aux douze mois de l'année. Chose à remarquer : ce zodiaque, quoique sculpté au XIIIe siècle, commence l'année au mois de janvier, conformément à l'année ecclésiastique, tandis que l'année civile, avant la réforme du calendrier édictée sous Charles IX, ne commençait qu'à Pâques.

La description détaillée de cette porte nous entraînerait trop loin ; il suffit de dire que, dans ce monument dédié à Notre-Dame, tandis que la porte centrale enferme l'histoire générale selon les traditions des livres saints, la porte du Nord est spécialement consacrée à l'hagiographie particulière de la Vierge et à sa glorification comme la médiatrice qui a racheté et réconcilié l'humanité déchue par le péché originel.

La porte de la Vierge, comme la porte Sainte-Anne ou du Midi, est garnie d'admirables ornements ou pentures en fer forgé, qui recouvrent les vantaux de bois. Travaillées en arabesques légères, fleurs et feuillages, rinceaux et animaux, elles tiennent le premier rang parmi les pièces capitales de la serrurerie aux XIIe et XIIIe siècles. Elles ressortent gracieusement sur l'enduit rouge dont on a recouvert les vantaux. Ces merveilles de l'art du fer forgé sont si belles que le peuple ne voulut pas croire qu'elles eussent été exécutées par le marteau d'un simple forgeron. Celui-ci aurait eu recours au diable, ce qui lui valut le surnom de Biscornette. Mais l'assistance du malin ne servit de rien pour la porte centrale par laquelle sort le saint sacrement les jours de solennité ; Biscornette ne parvint

Portail méridional de Notre-Dame de Paris
jamais à la ferrer, Il paraît que les architectes de nos jours usaient de sortilèges plus puissants, car ils ont ferré la grande porte avec des pentures très habilement copiées sur les portes latérales.

Celle du Midi, qui s'appelle la porte Sainte-Anne et repose en partie, comme nous l'avons déjà dit, sur le sol de l'ancienne église Saint-Étienne, paraît elle-même la partie la plus ancienne de Notre-Dame, car on y reconnaît les traces du style roman dans lequel le plan primitif avait été conçu au temps de Maurice de Sully ; elle présente une évidente analogie avec les façades de Saint-Denis élevées par Suger. C'est à peu près dix ans après la mort de ce dernier que Maurice de Sully entreprit de reconstruire sa cathédrale, et l'on conjecture que la porte Sainte-Anne fut entreprise en même temps que l'abside. L'architecte inconnu qui éleva la façade se crut sans doute obligé de respecter en la porte Sainte-Anne comme un témoin de la première pensée de son prédécesseur.

Le stylobate de la porte Sainte-Anne est orné d'arcatures ogivales bordées de billettes, et leurs fonds semés de fleurs de lis en creux. Au-dessus de cette base s'élevaient de chaque côté quatre statues, accompagnées de colonnettes, de chapiteaux, qu'enveloppent des branches entières de chêne, d'orme et de vigne, et surmontées de dais qui reproduisent en miniature de petits châteaux forts, dont les détails sont très intéressants pour l'archéologie militaire, du moyen âge. Les statues actuelles, qui représentent saint Pierre, saint Paul, le roi David, Salomon, Bethsabée, la reine de Saba, etc., remplacent des statues détruites, extrêmement anciennes, que l'abbé Lebœuf estimait provenir de quelque édifice antérieur à Notre-Dame elle-même.

La figure adossée au pilier trumeau est celle de saint Marcel, évêque de Paris, mort le 1er novembre 436 ; elle date du XIIIe siècle, mais la tête est restaurée. Le pied droit du saint évêque foule la tête d'un monstre à deux pattes griffues et à queue de serpent ; cette bête monstrueuse sort du linceul qui enveloppe le corps d'une femme couchée dans son tombeau. La Légende dorée raconte cette histoire. Une femme de race noble, mais perdue de vices, mourut et fut portée en grande pompe à son cercueil ; un horrible serpent prit gîte dans le tombeau de cette malheureuse et dévora son cadavre.

Saint Marcel, averti par la frayeur publique, se présenta en priant devant le monstre, qui sembla demander grâce en baissant la tête et en agitant la queue ; il suivit ensuite le saint évêque pendant près de trois milles, à la vue de tout le peuple. Alors saint Marcel lui commanda d'aller habiter le désert ou de se replonger dans les eaux ; et depuis l'on n'en a plus vu aucune trace. Cette légende parisienne permet d'imaginer qu'au Ve siècle de notre ère la région de la Bièvre, à laquelle demeure attaché le nom de saint Marcel, était encore occupée par de profonds marais ou pouvait subsister à l'état isolé quelqu'un de ces énormes sauriens qui habitèrent longtemps le bassin de Paris.


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