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RUE BOURG L'ABBÉ
IIIème arrondissements de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison
par maison, par Charles Lefeuve, paru en 1875)
Notice écrite en 1858. Le boulevard Sébastopol avait déjà enlevé à la rue Bourg-l'Abbé tout un côté ; mais la rue de Palestro n'était pas encore percée, dent les nos 17, 19, 21 et 23 actuels appartenaient à la rue disparue. Précédemment, rue Neuve du Bourg l'Abbé. Origine du nom : Le Bourg l'Abbé, dépendance de l'Abbaye de Saint-Martin des Champs. Où s'en va l'Argent mal acquis. – Comment se range un mauvais Sujet. – L'Hôtel de Mauroy. – Un Couple d'Amis. – Une Etape de royales Amours. – Extrait de l'Almanach du Commerce et des Papiers terriers sous Louis XIV. – La Poterne du Bourg de l'Abbé. – La Simplesse de l'Amour loéal. Sous le règne de Louis XV, M. Vinet, juge-enquêteur dont la femme, avait eu pour premier mari, le coureur des vins de la reine, office unique et d'un prix plus élevé, dont elle avait fait son deuil, car il avait fallu le vendre pour convoler dans les enquêtes. Le nouveau ménage s'était installé rue Bourg-l'Abbé, dans une vaste maison qui porte de nos jours le n° 41 ; mais Vinet avait pris des renseignements fort minutieux sur l'apport exact de la veuve, au préjudice d'autres informations. La dame eût cru manquer à la mémoire de son premier époux, en ne conservant pas du défunt jusqu'à l'amant qu'il lui avait souffert de son vivant : c'était pour elle un legs, un ex-voto. Or ce galant, ancien cornette ne servant : plus que le jeu et les belles, ressemblait au héros d'un conte de Bocace, Roger de Jéroli ; le plus mauvais sujet de Salerne qui était de bonne famille, mais dont les fredaines, les sottises et les escroqueries avaient pour conséquence de lui fermer la porte de ses parents. Dans le DÉCAMÉRON. (IVe journée, nouvelle 10), nous voyons comment en usa avec Roger de Jéroli la femme de Mazzéo, dès la première de leurs entrevues « Après s'être amusée comme on le fait dans un tête-à-tête amoureux, la dame profita de cet agréable moment pour sermonner le jeune homme ; elle le pria de renoncer, pour l'amour d'elle, à ses filouteries et autres méchantes actions : qui l'avaient perdu de réputation, en s'obligeant, pour mieux l'y engager, à lui donner de l'argent de temps en temps. » Même morale administrée depuis trois ans au ci-devant porte-étendart de cavalerie, par cet autre amour médecin, qui lui en dorait la pilule, en la multipliant par des présents. Me Vinet voulut s'opposer, comme de juste, aux visites de ce parasite à double titre ; mais le mauvais sujet se prétendit le cousin du défunt, chez lequel il avait laissé un rond de serviette à son chiffre. Les régals continuèrent ainsi rue Bourg-l'Abbé ; seulement le sigisbé faisait mine d'en rendre quelque chose au second mari, sous forme de collations à la campagne, et puis il s'arrangeait pour perdre aux cartes, chaque fois qu'il faisait sa partie, sauf à prendre des mesures contraires quand il jouait avec la dame. Bref, c'était un ménage à trois, non moins curieux que celui de Mazzéo ; le soi-disant cousin n'avait plus de sergents à ses troussés que comme moyen de comédie, quand il voulait tirer une lettre de change plus forte qu'à l'ordinaire sur la maîtresse qu'il exploitait de plus en plus. Au bout de quelques années, Me Vinet, qui comptait moins souvent avec son coffre-fort qu'avec son cœur, constant à sa manière, fut forcée de donner congé de l'appartement du premier et fit monter tables et lits au second étage, sur le derrière de la maison, pour diminuer les charges du trio. Les visites quotidiennes de l'amant y devinrent hebdomadaires, puis mensuelles, mais plus rançonneuses que jamais, en dépit de la gêne croissante. La belle s'en chagrina et en mourut, laissant un testament en faveur de l'ingrat qui l'avait ruinée aux trois-quarts. Me Vinet fut par suite obligé, à l'âge de 40 ans, de vendre son office, pour acquitter une portion du legs fait sur les propres de sa femme, et quant au légataire universel, il ne se gêna pas pour traiter l'époux survivant de dissipateur hypocrite et de banqueroutier domestique. La maison d'à côté fut l'hôtel de Mauroy, famille noble de la Champagne, et fit retour à l'Etat par suite de l'émigration d'Anne-Joseph de Mauroy, né le 14 juin 1710, un des fils du lieutenant-général marquis de Mauroy. Le primidi de la seconde décade, pluviôse an II, furent vendues deux maisons ci-devant à l'émigré Mauroy, portant alors rue Bourg-l'Abbé les n°s 30 et 31, section des Amis de la Patrie, tenant à droite au citoyen Orselle, à gauche au citoyen Dupont et dans le fond à la veuve Abraham. L'adjudicataire était le citoyen Brunot ; toutefois un bail consenti en 1789 par M. de Mauroy, pour neuf années, à Blaise Laugier, parfumeur, non seulement suivit son cours, mais encore fut renouvelé tant au nom de Laugier, qui resta là 30 ans, qu'au nom de Sichel, qui acheta son fonds de commerce, et le même contrat de louage sort encore son exécution à notre époque. Le fils de Blaise Laugier et M. de Beaufort, amis intimes qui ne se quittaient pas, qui s'étaient fait une douation mutuelle de leurs biens au dernier vivant, disposaient de l'immeuble, sous Louis Philippe, et c'était moins une toupie qu'un couple d'amis fraternels : on ne savait plus, dans le quartier, lequel des deux avait mis l'immeuble dont il s'agit dans leur communauté. Suivent de petites maisons plus que séculaires, dont les portes se passent probablement de portiers : Deux vastes cours, trois corps de bâtiment composent le n° 29 ; celui du milieu date de l'année où fut rétabli le calendrier grégorien fermant l'ère républicaine, et les deux autres passent pour l'un des anciens pied-à-terre des royales amours de Gabrielle d'Estrées. Le fait est que des escaliers tournent encore dans les caves, mais s'y arrêtent court, qui avaient, pour issue de longs passages souterrains. Une marine, peinture ancienne, décore la chambre de M. Rolland, dont le magasin de jouets d'enfants en gros remonte à environ 80 ans. Au 21 est le passage du même nom que la rue, percé en 1828. La grande porte du 19, son ensemble et son âge dénoncent un vieux hôtel de magistrat. En plein règne de Louis XIV, il y avait dans cette rue : un traiteur, à l'enseigne du Louis ; un marchand de chevaux, nommé Lebreton, à la Croix-de-Fer, une maison du Lion-dArgent, où se tenaient des joailliers forains de Saint-Claude, et un Lion-d'Or, pour des marchands de Dieppe, et le bureau des coches de Montreuil, Calais, Dunkerque et Saint-Orner, à l'image de l'Ecu-Dauphin. Il s'y suivait, peu de temps après, une quinzaine de propriétés dans cet ordre sans solution de continuité : Mlle de Lisle, aux Quatre-Vents, encoignure de la rue Grenéta. – La même. De Laporte, magistrat, à la Croix-d'Or, porte cochère (c'était l'une au moins des deux maisons qu'eut plus tard la famille de Mauroy). – Liseau, procureur, à l'Agneau-Pascal. – Le maire et consorts, au Chef-aint-Jean. – Bilannois, à Notre-Dame-des-Vertus, porte cochère. – Granger, huissier, au Persan. – De Monceaux, substitut, au Petit-Saint-Jean. Santeuil. – Belmet, au Roi-Henri. – Chevallier. – Lacas, plombier, à Saint-Michel. – La fabrique de Saint-Nicolas-des-Champs. – Lalien. Le même. – Santeuil, porte cochère. – Aubry. Les premières desdites maisons appartenaient en 1786 à : Jubert, – le même, – le Mis de Mauroy, – le même, – Dupont, – Salambrié, – Beaugé, – Pacage. En vertu d'un arrêt de 1854, la rue ne bat plus à peine que d'une aile : l'autre s'est entièrement fondue au soleil d'un nouveau boulevard. En revanche, il arrive jusqu'à nous deux versions sur l'origine. Le bourg de l'Abbé dépendait de l'abbaye Saint-Martin et faisait groupe sous les rois de la seconde race, d'après certains auteurs ; d'autres soutiennent que ces premiers confondent le bourg de l'Abbé avec le beau Bourg, et que si celui-ci était à l'abbé Saint-Martin, celui-là relevait, au contraire, de Saint-Magloire. Un livre très curieux de M. Bonnardot, les Anciennes Enceintes de Paris, nous apprend que la poterne Bourg-l'Abbé était située rue de ce nom, un peu au-dessus de la rue aux Ours ; par ainsi, quand Philippe-Auguste a fait entrer dans notre ville une portion du bourg dont il s'agit, le mur de l'enceinte urbaine a surgi où est maintenant ce boulevard neuf qui nous a déjà fait tomber plus de la moitié des maisons de la vieille rue Bourg-l'Abbé. Cette rue, maintenant à l'agonie, a été jeune, ingénue, amoureuse, et l'amour y venait si franc, si partagé et si durable que c'était à se croire entre bergers et bergères. La naïveté pastorale de leurs mœurs faisait dire en ce temps-là des gens de la rue Bourg-l'Abbé : – Ils ne demandent qu'amour et simplesse !
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