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PLACE DE L'HÔTEL-DE-VILLE
(D'après Les
rues de Paris. Paris ancien et moderne : origines, histoire, monuments, costumes,
mœurs, chroniques et traditions, sous la direction de Louis
Lurine, paru en 1844)
Près de trois siècles s'étaient écoulés ; le 2 juillet 1682, le peuple de Paris était réuni sur la place de l'Hôtel-de-Ville. L'attitude de la population était grave, ferme, imposante. On s'entretenait sans colère des querelles qui divisaient la cour et le parlement. On touchait au terme de cette guerre civile, accomplie avec une si singulière tranquillité, de cette guerre où les bourgeois de Paris se
On s'entretenait des prouesses que M. de Turenne et M. le prince de Condé faisaient à la tête des armées ; on parlait du siège d'Étampes, de l'arrivée de M. le prince, qui venait de se replier sur Paris, des négociations de la cour et de l'assemblée que tenaient en ce moment même, à l'Hôtel-de-Ville, les magistrats de la bourgeoisie. Le peuple, dans cette circonstance, comme dans toutes les principales journées de la Fronde, montrait un sens admirable ; il pesait la cour et le parlement, Mazarin et ses adversaires, Turenne et Condé, les hommes et les évènements, avec une indifférence parfaite, prompt seulement à s'émouvoir et à se montrer lorsqu'il s'agissait de ses droits. A contempler cette réunion d'hommes, il semblait que la curiosité les eût appelés dans cet endroit ; il était impossible d'apercevoir les traces d'un autre sentiment. Le canon grondait cependant, les détonations se rapprochaient et devenaient plus distinctes, le combat touchait aux portes de la ville, M. le prince et ses troupes tentaient de se jeter dans le faubourg Saint-Antoine. Les deux grands capitaines qui dirigeaient cette sanglante partie d'échecs avaient fait preuve d'une égale habileté et acquis une gloire égale ; l'armée de Turenne, renforcée par le maréchal de La Ferté, allait pourtant s'assurer la victoire. Les Parisiens jugeaient les coups, sans prendre parti pour l'une on pour l'autre cause. Une femme triompha de cette apathie. C'était mademoiselle de Montpensier ; sa parole ardente et animée entraîna sur ses pas ces masses inertes ; le peuple ouvrit à M. le prince les portes de Paris, et le combat remua tout le faubourg Saint-Antoine ; du haut de la Bastille, le canon, sous les ordres de Mademoiselle, foudroyait l'armée royale. Cette journée sauva, dit-on, la gloire de Condé ; elle témoigna aussi de la force de ce peuple que les grands sont toujours forcés d'invoquer dans leurs petites querelles. Après la bataille, les Parisiens se réunirent encore sur la place de l'Hôtel-de-Ville ; pendant qu'on délibérait au dedans, ils avaient agi au dehors, et longtemps à la base de la façade, vers l'est, on a vu les marques laissées sur la pierre noircie par les feux qu'on alluma le soir, en chantant des Mazarinades. Mais, quel spectacle attend cette foule qui remplit au loin les abords de la place de l'Hôtel-de-Ville ? Pourquoi ce déploiement de force inaccoutumé ? D'où vient que la terreur est sur tous les visages ? Cependant, les mouvements de ce peuple ne révèlent aucune agitation ; nous ne sommes plus aux temps de troubles et d'émeute ; la Ligue et la Fronde n'ont plus que des souvenirs historiques ; nous sommes parvenus à la moitié de ce dix-huitième siècle qui se distingua par de si merveilleux raffinements de luxe et d'élégance. Aux croisées, aux balcons, à la façade de l'Hôtel-de-Ville même, nous apercevons au-dessus de la multitude qui couvre le pavé, des femmes brillantes de parures, des seigneurs étincelants de broderies ; nous croyons reconnaître les dames et les gentils-hommes qui embellissent habituellement les salons de Versailles. La cour à la place de Grève ! qui donc a pu l'y attirer et l'y conduire ? Depuis plusieurs jours, sur la place de l'Hôtel-de-Ville, on avait disposé un espace de cent pieds, entouré de palissades plantées en carré ; il n'avait d'issue que dans un coin et une communication avec l'Hôtel-de-Ville : au milieu se dressait un échafaud. Cet espace était gardé intérieurement par le lieutenant de robe-courte et sa compagnie, et extérieurement par les soldats du guet à pied ; le guet à cheval était sur la place aux Veaux. Les avenues de la Grève étaient gardées de distance en distance par des détachements de gardes-françaises, ainsi que le chemin du Palais à Notre-Dame. Dans tous les quartiers et principaux carrefours de la ville, il y avait des postes, et l'on avait pris toutes les précautions nécessaires pour assurer l'ordre et la tranquillité publique. C'était le lundi 28 mars 1757. On amena en grande pompe et entouré de gardes et d'officiers de justice, un homme : sa taille était d'environ cinq pieds, il était mince, sa figure n'avait aucune expression remarquable, il paraissait douloureusement résigné, mais sans faiblesse ; ses traits étaient sans pâleur, malgré la souffrance qui semblait avoir brisé son corps ; il était âgé de quarante-deux ans. Placé près de l'estrade, contre laquelle il s'appuya, il attendit longtemps certains préparatifs ; on le déshabilla et on le plaça nu et couché sur l'échafaud, qui était élevé d'environ trois pieds et demi au-dessus du sol, long et large de près de neuf pieds. Le patient fut lié et retenu par des cercles de fer, posés au-dessous des bras et au-dessus des cuisses. Il considérait ses membres avec attention, il contempla les apprêts sans s'émouvoir, et jeta sur la foule qui se pressait autour de l'enceinte un regard plein de fermeté. Il était cinq heures du soir ; le supplice commença. La main droite, qui tenait un couteau, fut brûlée ; les atteintes de la flamme arrachèrent un cri horrible, et le condamné regarda ensuite froidement le membre calciné. Le greffier s'approcha de lui dans cet instant, et le somma de nouveau de nommer ses complices ; il protesta qu'il n'en avait pas. Ici nous laisserons parler l'épouvantable procès-verbal de ces faits : « Au même instant ledit condamné a été tenaillé aux
mamelles, bras, cuisses et gras des jambes, et sur lesdits endroits a été jeté du
plomb fondu, de l'huile bouillante, de la poix brûlante, de la cire et
du soufre fondus ensemble, pendant lequel supplice ledit condamné s'est écrié à plusieurs
fois : – Mon Dieu, la force, Damiens fut attaché durant A chaque tenaillement, on l'entendait crier douloureusement ; mais, de même qu'il l'avait fait lorsque sa main avait été brûlée, il regarda chaque plaie, et ses cris cessaient aussitôt que le tenaillement était fini. Enfin, on procéda aux ligatures des bras, des jambes et des cuisses, pour opérer l'écartèlement. Cette préparation fut très longue et très douloureuse. Les cordes étroitement liées, portant sur les plaies si récentes, cela arracha de nouveaux cris au patient, mais ne l'empêcha pas de se considérer avec une curiosité singulière. Les chevaux ayant été attachés, les tirades furent réitérées longtemps avec des cris affreux de la part du supplicié. L'extension des membres fut incroyable ; mais rien n'annonçait le démembrement. Malgré les efforts des chevaux, qui étaient jeunes et vigoureux, peut-être trop, cette dernière partie du supplice durait depuis plus d'une heure, sans qu'on pût en prévoir la fin. Les médecins et chirurgiens attestèrent aux commissaires qu'il était presque impossible d'opérer le démembrement, si l'on ne facilitait l'action des chevaux, en coupant les nerfs principaux qui pouvaient bien s'allonger prodigieusement, mais non pas être séparés, sans une amputation. Sur ce témoignage, les commissaires firent donner ordre à l'exécuteur de faire cette amputation, d'autant plus que la nuit approchait et qu'il leur parut convenable que le supplice fût terminé auparavant. En conséquence de cet ordre, aux jointures des bras et des cuisses, on coupa les nerfs au patient ; on fit alors tirer les chevaux. Après plusieurs secousses, on vit se détacher une cuisse et un bras. Le supplicié regarda encore cette douloureuse séparation ; il parut conserver la connaissance après les deux cuisses et un bras séparés du tronc, et ce ne fut qu'au dernier bras qu'il expira. Les membres et le corps furent jetés sur un bûcher. » Ce supplice est le plus horrible de tous ceux qu'ait vus la place de l'Hôtel-de-Ville. Là, dans des temps de barbarie, s'étaient dressés des bûchers ; là, le 16 juillet 1676, la marquise de Brinvilliers avait eu la tête tranchée, son corps avait été brûlé ; cette exécution fournit même à madame de Sévigné le texte d'une des lettres les plus gaies qu'elle ait écrites ; on y lit cette phrase : « Elle monta seule et nu-pieds sur l'échafaud, et fut un quart-d'heure miraudée, rasée, dressée et redressée par le bourreau. » Malgré ces formidables traditions, les actes que nous venons de rappeler resteront comme un monument d'abominable cruauté ; ils se passaient à l'époque où la nation française se vantait d'être la plus polie de l'univers. Au siècle de Louis XIV succédait l'avènement de cette philosophie qui entreprit d'éclairer le monde, et c'était à ces clartés, à la face de tout un peuple, qu'on déployait ce faste de férocité ! Le supplicié s'appelait : Robert-Françoiss Damiens ! Il avait frappé d'un coup de couteau le roi Louis XV. L'atrocité du supplice fit disparaître l'indignation causée par son attentat. Le soir, les courtisans racontèrent avec complaisance tous les détails de cette longue torture ; une jeune duchesse se fit remarquer par la grâce et la vérité avec lesquelles elle retraçait les moindres phases de l'agonie de Damiens. Pendant plusieurs mois, on alla visiter le lieu du supplice et chercher les marques qu'il avait laissées. Trente-trois ans plus tard, la foule accourait encore aux pieds de l'Hôtel-de-Ville ; une garde nombreuse se pressait encore à toutes les avenues. Des portes du Châtelet, pour s'avancer vers la place de Grève, sortait, entre deux haies de soldats, un personnage dont la démarche et le maintien témoignaient de quelque distinction ; il y avait en lui les habitudes du militaire et du courtisan ; il paraissait âgé de quarante-cinq ans. C'était Thomas de Mahi, Marquis de Favras, saisi dans la nuit du 24 au 25 décembre 1789, sur dénonciation du procureur, syndic de la Commune et que la chambre du conseil du Châtelet de Paris, la compagnie assemblée, avait condamné à être amené et conduit dans un tombereau, après amende honorable, à la place de Grève, pour y être pendu et étranglé, jusqu'à ce que mort s'en suive, par l'exécuteur de la haute justice, à une potence placée sur ladite place de Grève. Le matin, il avait remis lui-même au greffier, après la lecture de l'arrêt, sa croix de Saint-Louis. Lorsqu'il sortit du Châtelet, les spectateurs battirent des mains ; ces applaudissements se répétèrent devant Notre-Dame, au moment de l'amende honorable ; il les subit avec sérénité ; cette joie du peuple ne sembla ni l'affliger, ni l'irriter. Favras était accusé : « D'avoir formé, communiqué à des militaires, banquiers et autres personnes, et tenté de mettre à exécution un projet de contre-révolution en France, qui devait avoir lieu en rassemblant les mécontents des différentes provinces, en donnant entrée dans le royaume à des troupes étrangères, eu gagnant une partie des ci-devant gardes-françaises, en mettant la division dans la garde nationale, en attentant à la vie de trois des principaux chefs de l'administration, en enlevant le roi et la famille royale, pour les mener à Péronne, en dissolvant l'assemblée nationale, et en marchant en force vers la ville de Paris, ou en lui coupant les vivres pour la réduire. » Voici le récit d'un contemporain : « Conduit à la Grève, Favras est monté à l'Hôtel-de-Ville, où il a fait un testament de mort qu'il a dicté pendant quatre heures. La nuit étant venue, on a distribué des lampions sur la place de Grève, et on en a mis jusque sur la potence. Il est descendu de l'Hôtel-de-Ville, marchant d'un pas assuré. Au pied du gibet, il a élevé la voix, en disant :« Citoyens, je meurs innocent, priez Dieu pour moi. » Vers le second échelon, il a dit d'un ton aussi élevé : « Citoyens, je vous demande le secours de vos prières, je meurs innocent. » Au dernier échelon, il a dit : « Citoyens, je meurs innocent, priez Dieu pour moi. » Puis, s'adressant au bourreau : « Et toi, fais ton devoir. » On a appelé Favras le dernier des marquis ; victime de la fureur révolutionnaire. Vingt-quatre ans auparavant, Lally, bâillonné, avait eu la tête tranchée sur la place de Grève. Le 14 juillet 1789, Jacques de Flesselles, le dernier prévôt des marchands, soupçonné de cacher des armes dans l'Hôtel de Ville, sera tué d'un coup de pistolet sur les marches de l'édifice. Sa tête traversera Paris au bout d'une pique. Au petit matin, le 23 juillet 1789, à l’Hôtel de ville, Bailly et le Comité permanent, qui a pris le nom de municipalité, sont fort en peine. Ils voudraient sauver Foulon en l’emprisonnant à l’abbaye. Mais la place de Grève s’emplit d’une foule
Foulon est emporté et pendu à la lanterne qui fait face à la maison commune. Deux fois la corde casse et le vieillard retombe sur les genoux comme un pantin désarticulé. Des ouvriers veulent le tuer pour abréger son supplice. On les écarte. Après un quart d’heure d’attente le malheureux, pendu une troisième fois, meurt enfin. Un furieux lui coupe la tête, bourre la bouche de foin et au bout d’une pique promène ce trophée. Peu d’instants après, le gendre de Foulon, Bertier de Sauvigny, arrêté à Compiègne par deux maçons, est amené à l’Hôtel de ville. On lui reproche d’avoir, en sa qualité d’intendant de Paris, nourri les régiments étrangers appelés par la cour. On l’accuse d’avoir volé le roi. C’est un honnête homme, intelligent, mais de façons roides, sans beaucoup d’amis. Quand son cabriolet passe devant l’église Saint-Merri, on lui pousse au visage, avec des hurlements cannibales, la tête de son beau-père souillée de sang et de boue Le 25 avril 1792, une foule considérable
se presse vers la place de Grève à Paris pour assister à la
première décapitation
mécanique, celle d'un voleur avec violence appelé Nicolas-Jacques
Pelletier dont la condamnation avait été prononcée le
24 janvier 1792. La foule, déçue de voir avec quelle rapidité et
efficacité se passe l'exécution, hua le bourreau. Les annales
de cette place de l'Hôtel-de-Ville sont sanglantes.
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